Biographe en soins palliatifs : "libérer la parole permet à la personne d'être elle-même jusqu'au bout"

Anne-Françoise Derly est biographe en soins palliatifs. Un métier où l'écoute active est la clef. Les patients se racontent et l'enjeu pour Anne-Françoise est d'écrire un livre dans lequel famille et amis reconnaîtront leur être cher lorsqu'il aura disparu.

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Lorsque la fin de vie arrive, lorsqu'elle est annoncée, se raconter devient urgent. Anne-Françoise Derly est biographe et propose ses talents aux patients du service de soins palliatifs du centre hospitalier intercommunal de Compiègne-Noyon, dans l'Oise.

Curieuse de la vie d'autrui et grande amatrice de biographies, qu'elle considère comme "un moyen de voir le cheminement de vie" des autres, Anne-Françoise Derly a su "appréhender les bienfaits de l'écriture au fil du temps" en se racontant dans des journaux intimes.

Le besoin de transmettre

Un jour, elle entend parler de la biographie hospitalière à travers l'association Passeurs de mots et d'histoires. Elle décide tout d'abord de se former à l'écriture biographique avant de contacter l'association qui avait une petite expérience en milieu hospitalier. "Spontanément, je suis allée vers ce genre de récit parce que je trouvais qu'il y avait un sens décuplé dans cette période de vie. Ça peut être en fin de vie ou pour des personnes hospitalisées en soins palliatifs pour des maladies neurodégénératives qui n'engagent pas le pronostic de vie immédiatement, mais qui sont aux prises avec une maladie grave", explique-t-elle.

"Il y a cet aspect transmission, [la volonté de] rester au sein de la famille à travers le livre, de laisser une trace."

Anne-Françoise Derly, biographe en soins palliatifs

Dans ce cas-là, les personnes biographiées racontent leur histoire "en allant à l'essentiel et ont besoin de transmettre des choses. Ils n'ont par exemple pas eu le temps de raconter telle expérience de vie à leurs enfants, ils n'ont jamais réussi à dire à leurs enfants qu'ils les aiment, ou ils ont peur que leurs enfants les oublient après leur mort. Il y a cet aspect transmission, [la volonté de] rester au sein de la famille à travers le livre, de laisser une trace", résume Anne-Françoise Derly.

Un aspect que la biographe comprend très bien. Plus jeune, elle laissait de petits mots dans les murs creux qui étaient ensuite cimentés. "Je me mettais à la place de celui qui, un jour, les trouverait, comme une filiation d'humanité en fin de compte, quelque chose qui reste dans le temps. En fait, à travers l'écrit, on reste, on pose ce qu'on a voulu dire et on demeure. C'est aussi cette proposition [que je fais] aux personnes atteintes d'une grave maladie, quand ils savent que leur vie ne sera pas très longue et qui prendront ainsi place dans la mémoire familiale à travers cette histoire."

Un livre sur mesure

Il y a quelque temps, Anne-Françoise Derly a écrit la biographie d'une maman de deux petites filles. Elles se sont entretenues à cinq reprises au cours des dix derniers jours de sa vie. Le service de soins palliatifs du centre hospitalier intercommunal de Compiègne-Noyon l'a contactée parce que "cette dame avait une espérance de vie assez courte, elle était très fatiguée et laissait deux enfants déjà orphelines de père. Elle était donc très angoissée par la perspective de partir en laissant des enfants à qui elle ne pourrait pas tout dire, car [elles sont encore] à un âge tendre. Il y a toute l'adolescence, l'âge adulte pendant lequel la maman ne serait plus là. Cette transmission était quelque chose d'impérieux pour elle", souligne-t-elle.

Chacun des cinq entretiens avec cette patiente a duré une heure. "On a essayé de faire en sorte que les rendez-vous ne l'épuisent pas trop, mais soient assez nombreux pour qu'elle puisse dire tout ce qu'elle avait à dire", appuie Anne-Françoise Derly. Après la phase d'écriture, la patiente a pu relire et approuver le texte, comme c'est toujours le cas. Le livre a ensuite était imprimé sur un beau papier et relié par une relieuse d'art. "C'est vraiment un façonnage sur mesure selon ce que la patiente m'avait indiqué et les préférences de ses enfants. Donc ça devient vraiment un objet-livre", souligne la biographe.

"Je suis à l'affût des mots, du vocabulaire, des silences"

Le métier d'Anne-Françoise Derly demande d'être dans un état d'écoute active très intense. "Je suis à l'affût des mots, du vocabulaire de la personne, de son phrasé et des silences qui disent beaucoup. Quand on est face à une personne très fatiguée, ça demande d'autant plus d'implication", constate-t-elle. "Il faut être à l'écoute de ces petites choses et y aller progressivement, parce qu'on raconte l'intimité", souligne-t-elle.

"Il faut du temps pour écrire quelque chose qui ressemble à la personne et qui suive l'objectif de transmission émis au départ par la personne biographiée."

Anne-Françoise Derly, biographe en soins palliatifs

La patiente souhaitait également que la biographe lui lise son texte pour voir la progression du récit. "Le travail d'écriture est très long par rapport à la fluidité de la parole, donc il faut du temps pour écrire quelque chose qui ressemble à la personne et qui suive l'objectif de transmission émis au départ par la personne biographiée", explique Anne-Françoise Derly. Selon elle, ce qui caractérise une bonne biographie hospitalière est le fait que les personnes qui ont connu le patient le reconnaissent en lisant le texte.

"Mettre en avant les désirs du patient jusqu'au bout"

Laurence Birkui de Francqueville est cheffe de service de l'unité de soins palliatifs au centre hospitalier intercommunal de Compiègne-Noyon. "Nous avons eu l'occasion d'accompagner des patients qui avaient envie de transmettre quelque chose à leurs proches. À l'époque, nous avions pris nos crayons et nous nous étions installés aux côtés de différents patients, de mamans qui voulaient transmettre des lettres à leurs enfants ou leurs conjoints", raconte-t-elle.

"Nous nous sommes demandés s'il existait un métier qui pouvait répondre à ces questions-là parce que ça nous semblait fondamental. La rencontre avec Anne-Françoise a été une découverte. C'est un très beau chemin que nous faisons avec elle et que nous allons poursuivre."

Laurence Birkui de Francqueville, cheffe de service de l'unité de soins palliatifs au centre hospitalier intercommunal de Compiègne-Noyon

Le service proposé par Anne-Françoise Derly est donc intégré au parcours de soin des patients. "On n'est plus dans la technique, mais dans une approche non médicamenteuse, relationnelle, au plus proche de la vérité de la personne malade. C'est vraiment prendre le patient dans sa globalité. C'est ce qu'on appelle, en soins palliatifs, la prise en charge globale. La biographie nous permet aussi de mettre en avant les désirs du patient jusqu'au bout", appuie Laurence Birkui de Francqueville.

Appel aux dons

"Libérer la parole permet à la personne d'être elle-même, d'être vivante jusqu'au bout. On touche à quelque chose de l'ordre de la spiritualité quand on transmet quelque chose par l'écriture. C'est laisser une trace et c'est un lien entre le maintenant, l'avant et l'après. C'est aussi garder mémoire de tout ce qu'on a fait, réalisé, et de qui on a été. Ça me semble fondamental dans cette période si importante", souligne la cheffe de service.

Les biographies sont proposées gratuitement aux patients. Actuellement, l'association Prendre soin ensemble recherche des dons pour financer ce service de A à Z. Pour tous renseignements, il est possible de contacter l'association à l'adresse mail suivante : prendresoinensemble@outlook.fr. Les dons peuvent être envoyés à l'ordre de "Association Prendre Soin Ensemble", en spécifiant "biographie hospitalière" au dos du chèque ou sur un courrier joint, le tout adressé par courrier postal à l'adresse suivante :

Association Prendre Soin Ensemble
17, rue Hurtebise
60200 Compiègne

durée de la vidéo : 00h13mn00s
Anne-Françoise Derly, biographe en soins palliatifs et invité d'Hauts féminin. ©France Télévisions

Retrouvez l'intégralité de l'émission Hauts féminin avec Anne-Françoise Derly, biographe en soins palliatifs, et les autres épisodes de l'émission sur france.tv.

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