À l'université de technologie de Compiègne, une doctorante étudie une créature fascinante : un champignon capable de dépolluer les sols contaminés aux hydrocarbures. Pour l'instant expérimentale, cette technologie est en train d'être domptée pour pouvoir être utilisée d'ici à quelques années.
Devant l'objectif du microscope, les minuscules filaments d'un champignon s'étendent vers des particules de sol polluées, sous l'œil attentif de Salomé Bertone, doctorante à l'université de technologie de Compiègne (UTC).
La scène ne parait peut-être pas spectaculaire de prime abord et pourtant l'enjeu est immense : dans un futur proche, ce champignon pourrait permettre de dépolluer des sols lourdement contaminés par les hydrocarbures issus des industries et autres activités humaines.
Quand la nature est plus forte que la pollution
L'histoire commence dans les années 90, quand des chercheurs étudient le fait que certains champignons sont capables de se nourrir de bois en dégradant sa lignine, une molécule qui ressemble beaucoup à d'autres molécules présentes dans les hydrocarbures, comme le pétrole et l'essence, par exemple.
"Dans la nature, les champignons sont les principaux responsables du recyclage de la matière organique" souligne Antoine Fayeulle, enseignant-chercheur à l'UTC au sein du laboratoire TIMR. Des essais sont donc réalisés pour voir si ces champignons mangeurs de bois sont capables de s'attaquer aux hydrocarbures.
C'est bien le cas, mais lorsque les premières tentatives de mise en pratique ont lieu sur des sols contaminés, les résultats sont inégaux, car ces champignons sont adaptés pour se développer dans le bois et non dans le sol. Il est ainsi difficile de développer un procédé industriel à partir de ces premières études.
Cependant, ces travaux intéressent des chercheurs de l'ULCO, l'université littoral côte d'Opale, où Antoine Fayeulle fait sa thèse en biochimie en 2013. La pollution des sols aux hydrocarbures est très présente dans les Hauts-de-France et particulièrement dans l'ancien bassin industriel du Pas-de-Calais.
L'équipe de l'ULCO décide de chercher si le même type de champignon peut être directement présent dans des sols pollués. Près de Tourcoing, ils profitent des travaux de reconversion de l'ancien site industriel de l'Union en quartier résidentiel pour prélever des échantillons.
"Sur ce site, avant, il y avait des installations du début de XXᵉ siècle où l'on utilisait encore des cuves non-étanches, se remémore Antoine Fayeulle. Plus le polluant est présent longtemps, plus il imprègne la matrice du sol, plus ce dernier est difficile à dépolluer. Donc si on trouvait un microorganisme capable de le faire à cet endroit, c'était très intéressant. D'autre part, ce milieu a sélectionné les microorganismes les plus résistants au fil du temps."
Parmi les rares créatures à réussir à survivre à ce sol particulièrement hostile, un champignon se démarque, le poétiquement nommé Talaromyces helicus.
Le mangeur d'hydrocarbures
Sous la codirection d'Antoine Fayeulle et de Sylvie Collin du laboratoire Metis de Sorbonne Université à Paris, Salomé Bertone cherche maintenant à mieux comprendre ce champignon auquel elle consacre sa thèse de microbiologie.
"C'est un champignon filamenteux qui va faire des hyphes, ce sont des filaments qui peuvent faire plusieurs mètres de long, mais ne font que cinq microns de large, détaille Salomé Bertone. C'est tout l'intérêt, les filaments sont capables d'aller dans de petites porosités, des endroits qui ne sont pas forcément accessibles aux autres microorganismes. Le champignon fait entrer le polluant dans ses cellules, il le stocke à cet endroit pendant un moment puis il le dégrade."
Comprendre : à l'intérieur de ses cellules, le champignon "casse" les longues chaînes de molécules qui constituent l'hydrocarbure en plus petites molécules qui ne sont, elles, pas nocives pour l'environnement.
Un autre avantage de ce champignon, c'est qu'il fait partie des espèces déjà présentes dans les sols européens, en petite quantité. "C'est essentiel, car nous ne voulions pas ajouter une nouvelle espèce invasive" souligne Salomé Bertone.
De la recherche à l'application
Le but de ces travaux, cofinancés par Sorbonne Université (institut MSTD) et par le CNRS (programme EC2CO), est d'observer exactement le processus pour pouvoir l'accélérer et le répliquer à grande échelle. Il faut pour cela identifier quels paramètres dans le sol ou les conditions d'expérience peuvent aider le champignon à être efficace.
"Voir que des industriels sont intéressés par ces processus, cela rassure un peu."
Salomé BertoneDoctorante à l'UTC
Dans la première partie de sa thèse, Salomé Bertone a étudié son action sur différents tubes de sols, en laboratoire. "L'idée était de polluer moi-même ces colonnes de sols en surface, d'ajouter le champignon et de voir si on retrouvait ensuite le polluant en profondeur, ce qui indiquerait que le champignon fait s'infiltrer le polluant dans le sol, ça serait mauvais pour les nappes phréatiques par exemple, relève la chercheuse. Ce n'est pas le cas, heureusement. Je voulais aussi comprendre si cela changeait quelque chose aux communautés microbiennes présentes en profondeur, sur cet aspect j'attends encore les résultats."
Mais la doctorante ne chôme pas pour autant : elle est maintenant passée à l'observation du phénomène au niveau microscopique, en collaboration avec Anne Le Goff du laboratoire BMBI de l'UTC.
"La prochaine étape, c'est de faire des timelapse, des vidéos qui montrent ce qu'il se passe à toute petite échelle, se projette Salomé Bertone. Il y a le défi du temps, car on ne sait pas encore exactement l'échelle de temps entre le moment où le polluant est sur la particule de sol et où il rentre dans la cellule, puis l'échelle de taille, pour voir par quelle "route" une molécule de polluant rentre dans la cellule."
S'inspirer de l'écosystème
Dépolluer en utilisant des organismes vivants comme les bactéries, champignons et autres plantes, cela s'appelle la "bioremédiation". C'est une technique déjà utilisée par les industriels spécialisés.
Cette approche est souvent beaucoup moins chère que les autres procédés de dépollution, qui nécessitent de retirer tous les sols contaminés pour les traiter par la chimie, la chaleur ou d'autres procédés, selon les types de polluants. Un traitement biologique peut, lui, habituellement se faire sur place.
"L'hyphe du champignon peut percer une bulle d'air et les bactéries peuvent même "ramper" dessus, nous réfléchissons aussi à faire travailler les deux ensemble, champignon et bactéries."
Antoine FayeulleEnseignant-chercheur à l'UTC
"Ce qui freine l'application avec ce champignon pour l'instant, c'est la variabilité des résultats en fonction des sites, regrette Antoine Fayeulle. Le besoin que font ressortir les industriels, c'est donc d'avoir les technologies pour anticiper quelle souche serait efficace sur quel sol, avec quels paramètres. Nous développons les outils pour ça."
La thèse de Salomé Bertone s'inscrit ainsi dans un effort de recherche plus vaste, où chaque doctorant apporte sa pierre à l'édifice construit par les précédents, afin que cette technologie fasse un jour sa place dans le monde industriel, qui travaille déjà avec des plantes et des bactéries.
"L'avantage du champignon, c'est qu'il étend ces filaments, qu'il prolifère dans le sol, souligne Antoine Fayeulle, là où une bactérie a besoin de nager dans un milieu aqueux et est bloquée par les bulles d'air par exemple. L'hyphe du champignon peut percer une bulle d'air et les bactéries peuvent même "ramper" dessus, nous réfléchissons aussi à faire travailler les deux ensemble, champignon et bactéries." Dans la nature, les microorganismes travaillent déjà de concert dans de nombreux cas.
Pour ce qui est du champignon étudié à Compiègne, des essais sur des sites pollués pourraient avoir lieu d'ici un à deux ans. S'ils sont concluants, les industriels de demain utiliseront peut-être ce champignon mangeur d'hydrocarbures, il est possible d'imaginer que ses filaments serviront de routes à des bactéries mangeuses de métaux lourds et qu'ensemble, ils feront revenir la vie dans des sols dégradés par l'Homme.
"Je ne sais pas si ça apaise mon écoanxiété, mais j'ai la conviction que ça peut et que ça va servir. Je suis persuadée que la science peut faire des choses, encore faut-il écouter les scientifiques. Voir que des industriels sont intéressés par ces processus, cela rassure un peu" conclut Salomé Bertone.