Les forêts recouvrent 20% des terres agricoles de Picardie. Lieu de promenade ou de chasse, c'est aussi une source de revenus pour l'Office National des Forêts à travers la commercialisation du bois. Une activité qui, pour les militants, met en péril la biodiversité en forêt de Compiègne.
Terrain de jeu favori des rois de France autrefois, des sportifs, chasseurs, photographes et mycologues aujourd'hui... La forêt domaniale de Compiègne, dans l'Oise, est l'une des plus vastes de France. Avec 14 000 hectares, elle est aussi pourvoyeuse d'une ressource lucrative : le bois. Chaque année, 86 000 mètres cubes, essentiellement du chêne et du hêtre, en sont extraits pour être transformés en meubles, parquets, charpentes, ou pour alimenter les chaudières des aéroports de Roissy et de Beauvais Tillé.
La commercialisation du bois est la principale source de revenu de l'Office National Des Forêts (ONF). L'organisme est gestionnaire du domaine pour le compte de l'Etat. L'année dernière, le total des ventes de bois issu des forêts domaniales en France a rapporté 254 millions d'euros. La forêt est un patrimoine rentable, mais certains naturalistes s'inquiètent de l'impact de la sylviculture sur le milieu naturel.
La forêt, "un champ d'arbres"
En tête des préoccupations : le développement d'une "gestion intensive de la forêt" qui mettrait en péril la biodiversité. Pour Michaël Noirot, la rentabilité est un risque. "L'Etat est endetté et l'ONF est un prestataire de services de l'Etat, pointe le président de l'association des Amis des Forêts de Laigue, Ourscamp et Compiègne. L'Etat lui demande de faire du chiffre. On est face à une gestion purement marchande de la forêt."
"L'agriculture dans son développement et dans son industrialisation a transformé les grandes plaines agricoles en désert biologique, rechérit Jean-Claude Bocquillon, entomologiste amateur et connaisseur de la forêt de Compiègne, parfois sollicité par l'ONF pour son expertise. On craint que la transformation de la forêt en champ d'arbres amène un jour ou l'autre un appauvrissement des sols forestiers."
► Un grand format de Marie Roussel, Benoît Henrion, Olivier De Nesle, Stéphane Picard et Lionel Gaimard.
Cette logique est réfutée catégoriquement par l'ONF, dont l'une des missions est d'assurer la régénération de la forêt. "On est sur une gestion encadrée par un code forestier, rappelle Bertrand Wimmers, directeur de l'agence territoriale Picardie, des plans de gestion faits tous les vingt ans, des professionnels formés et amoureux de leur métier...." L'organisme doit composer avec de multiples paramètres : réchauffement climatique, sécheresses estivales, invasions de hannetons...
3, 5 ou 20% de zones préservées
En jeu : la persistance du bois mort, où vivent de nombreux insectes. Son enlèvement constitue un risque d'extinction pour ces espèces qui perdent leur habitat. L'ONF a pourtant mis en place des zones de préservation où les arbres sont laissés pour dépérir naturellement. L'objectif à terme, presque atteint en Picardie, est que ces zones constituent 3% de la surface totale du domaine. Elles atteindraient 5% en forêt de Compiègne.
Ce chiffre est insuffisant pour les militants. "Les 20%, qu'on propose depuis cinq ans, nous paraissent un minimum", martèle Michaël Noirot. "C'est un compromis", rétorque Bertrand Wimmers. Un point d'équilibre délicat entre partisans et détracteurs de la sylviculture. Les arbres ne sont pas les seuls concernés par ces âpres débats. Le nombre de cervidés, accusés de détruire les jeunes plantations, est aussi un point de crispation. Du seuil acceptable pour les parties découlera le futur des forêts picardes. Et ce à quoi elles ressembleront dans 20, 50 ou 100 ans.