Le 22 juin 1940, la France et l’Allemagne signaient un Armistice en forêt de Compiègne. Conclusion d’une débâcle militaire et premier pas vers la Collaboration.
Le calice jusqu’à la lie. En juin 1940, l’armée française s’effondre, les Allemands sont à Paris. Réfugié à Bordeaux, le gouvernement se divise. Les tenants du combat à outrance sont balayés par le parti de l’Armistice : Pétain prend le pouvoir. Une délégation est envoyée négocier avec le Reich.
Contrairement à ce que ses membres imaginent, ce périple depuis le sud-ouest ne s’achève pas dans la capitale. Les plénipotentiaires sont menés en forêt de Compiègne, où les vainqueurs ont imaginé une mise en scène vengeresse. Les négociations se dérouleront à l’endroit-même où l’empire allemand a rendu les armes en 1918, la clairière de Rethondes. Et dans quel décor ? Le wagon de l’Armistice, bien sûr. Adolf Hitler veut laver l’affront fait à sa patrie.
Apprenant la nouvelle de son émissaire, Charles Huntziger, le général Weygand a ces mots : "Mon pauvre ami". Le chef des armées françaises mesure toute la portée du choix fait par l’ennemi. Il était lui-même présent dans l’Oise, le 11 novembre 1918. Weygand était alors l’aide de camp du maréchal Foch.
A l’époque, Foch s’était montré impitoyable dans la négociation, mais n’avait pas cherché à humilier la délégation adverse. L’entrevue s’était déroulée dans un lieu tenu secret, photographes et caméramans avaient été proscrits. En ce printemps 1940, la propagande nazie prend l’exact contrepied ; la presse internationale est conviée à assister à l’écroulement d’un empire.
C’est donc le général Huntziger qui est chargé de mener les négociations, côté français. Vétéran de la Première Guerre, Huntziger dirigeait le corps d’armée qui a subi la foudre allemande dans les Ardennes, début mai. Un officier du renseignement a appris l’imminence de l’attaque, mais on ne l’a pas écouté. La veille de l’assaut, le général et son état-major étaient occupés. Ils assistaient à une comédie de Molière, jouée au théâtre aux armées : Le mariage forcé.
Une mise en scène de propagande
En ce 21 juin, Huntziger est convié à une tragédie. Filmé par les caméras de la propagande, le général s’avance, comparse d’une mise en scène soigneusement réglée : oriflammes nazies déployées, soldats au garde-à-vous. C’est la garde personnelle d’Hitler.
Le chancelier est déjà là et l’attend dans le wagon. Un peu plus tôt, il a salué ses troupes, bras tendu, dans ce décor victorieux. Le monument aux Alsaciens-Lorrains a été recouvert d’une immense swastika. Sa sculpture, un aigle allemand terrassé par le glaive des alliés, a disparu sous l’étoffe. Le Führer a aussi toisé la dalle sacrée, érigée en 1922, et son message belliqueux "Ici le 11 novembre 1918 succomba le criminel orgueil de l'Empire allemand vaincu par les peuples libres qu'il prétendait asservir".
Un dernier regard pour la statue du maréchal Foch et le vainqueur s’est engouffré dans le wagon, sorti de son musée, situé à quelques mètres de là. Les soldats ont abattu un mur à coups de masses pour lui livrer passage et installé des rails pour qu’il retrouve la position exacte qui était la sienne en 1918.
La délégation française grimpe à son tour dans la voiture de la compagnie des wagons-lits. Hitler et ses officiers se lèvent. Le Führer ne prononce pas un mot, mais il a rédigé une déclaration. Le général Keitel est chargé de la lire.
"C’est le 11 novembre 1918, dans ce même wagon, que commença ainsi le calvaire du peuple allemand. (…) La France est vaincue. Le gouvernement français a prié le gouvernement allemand de lui faire connaître les conditions de son armistice. Si, pour la remise de ces conditions, la forêt de Compiègne a été choisie, cela s’explique par la volonté d’effacer une fois pour toutes, par un acte de justice réparatrice, un souvenir qui ne fut pas pour la France, une page glorieuse de son Histoire et qui fut ressenti par le peuple allemand comme la honte la plus profonde de tous les temps." La traduction terminée, Hitler salue les officiers et s’en va.
Maigre consolation, la flotte française conservée
Les négociations débutent. Huntziger attaque : "Je tiens à vous dire qu’il y a certaines conditions que nous n’accepterons pas." Les Français veulent préserver leur flotte et leur aviation ainsi que l’intégrité de l’Empire. Les navires sont un point particulièrement sensible : les Allemands souhaitent qu’ils regagnent leurs ports d’attache en Manche et dans l’Atlantique ; les Français préfèrent les garder éloignés en Méditerranée, ils ont peur que les Anglais les bombardent ! Le général plaide aussi la cause des pilotes : les contraindre à livrer leurs avions serait une humiliation, comme si un officier vaincu rendait son épée.
Les Allemands font preuve d’une apparente mansuétude qui est le fruit d’un savant calcul. Hitler ne veut pas braquer l’adversaire. En cas d’échec, les navires français pourraient rallier l’Angleterre. Et ces deux flottes sont les plus puissantes au monde. Le Führer a besoin d’un Armistice, c’est sa priorité.
Il a ainsi mis un frein à l’appétit de Mussolini. Le Duce voulait agrandir l’empire italien aux dépends de l’ennemi vaincu. Hitler a dit non. Les Français garderont leur territoire, leurs navires et la majorité de leurs avions, désarmés. Seuls les modèles les plus récents seront récupérés par les nazis.
Le IIIe Reich impose ses conditions
Le diable se niche dans les détails, a-t-on coutume de dire. Il se cache aussi dans des expressions volontairement floues. L’article 3 de la convention d’Armistice est redoutable à cet égard. Il prévoit que "dans les régions françaises occupées, le Reich allemand exerce tous les droits de la puissance occupante". Mais quels droits ? En réalité, les Allemands feront ce qu’ils veulent.
Les vainqueurs prélèveront aussi une dîme écrasante. L’article 18 indique que "les frais d’entretien des troupes d’occupation allemande sur le territoire français seront à la charge du gouvernement français". La somme journalière est fixée à 400 millions de francs !
Et puis, il y a l’article 19, qui intime cet ordre : "le gouvernement français est tenu de livrer sur demande tous les ressortissants allemands désignés par le gouvernement du Reich". Le droit d’asile est foulé aux pieds. Les opposants au Nazisme réfugiés en France sont condamnés. Huntziger proteste faiblement, cette clause est "contraire à l’honneur", mais les plénipotentiaires cèdent. Pressés de signer, car les hostilités se poursuivent. Joint par téléphone, Pétain a été très clair avec son émissaire.
L’Armistice est signé le 22 juin à 18 h 50, heure allemande. Cette heure qui deviendra officielle en zone occupée. Cette zone est théoriquement placée sous le contrôle du gouvernement de Vichy, mais les véritables maîtres en sont les Allemands. Le Nord et le Pas-de-Calais sont rattachés au commandement allemand de Bruxelles. Le jeu de dupes a débuté, qui mènera à la Collaboration.
Des vestiges conservés pour raconter l'Histoire
Les Français repartis, ordre est donné de détruire la clairière, labourée, nivelée. Le wagon est emporté, la dalle sacrée et le monument aux Alsaciens-Lorrains sont démantelés. Seule la statue du maréchal Foch est préservée, maigre honneur concédé au vainqueur de 1918.
Devenu objet de curiosité et exposé pour des Berlinois ravis, le wagon brûlera en 1945 dans l’est de l’Allemagne. Ses vestiges seront rendus après la chute du mur de Berlin !
Entre-temps, la mémoire a repris ses droits en forêt de Compiègne. Le frère jumeau du wagon lui a été substitué, dans un musée rebâti, le Mémorial de l'Armistice, et face à une clairière, où les monuments d’antan ont repris leur place.
Les pierres emportées en Allemagne avaient été retrouvées à la fin de la guerre. Le musée raconte deux Armistices : le triomphe de 1918 et la débâcle de 1940, raccourci saisissant d’un demi-siècle de tourments.