Lors de son allocution concernant les restrictions de circulation, Emmanuel Macron a promis que les plus précaires ne seraient pas abandonnés. Mais sur le terrain, c'est aux associations et aux structures d'hébergement de s'organiser elles-mêmes. Témoignages à Amiens et Clermont-de-l'Oise.
"Dès l'entrée, nous accueillons les personnes avec du gel hydroalcoolique. Et nous veillons à ce qu'elles se lavent les mains toutes les 30 minutes". Najet Helis, éducatrice spécialisée à la Passerelle, le plus grand centre d'hébergement de la Somme, décrit une situation compliquée pour les travailleurs sociaux. "Ce n'est pas commun pour des personnes à la rue, qui ont souvent des addictions à l'alcool ou aux drogues de devoir rester confinées et de respecter des règles d'hygiène. Mais nous devons leur faire respecter ces mesures barrières."
Emmanuel Macron l'a promis : les plus démunis ne seront pas laissés à l'abandon face à l'épidémie de Covid-19. "L'État paiera", a-t-il asséné dans son discours du 16 mars. Mais pour la mise en place des dispositifs, les associations sont en première ligne. D'ailleurs, la direction de la Passerelle n'a pas attendue les annonces du président pour bousculer son organisation.
Hébergements à l'accueil de jour
Le centre, fermé de 17 heures à 9 heures toute l'année, ouvre désormais 24 heures sur 24. 55 personnes, des hommes et des femmes en grande précarité, sont hébergées dans des chambres. Depuis quelques jours, ils sont accueillis au moins sept jours consécutifs. Habituellement, la règle, c'est 2 jours, renouvelable deux fois dans différents établissements.La salle qui accueille la halte de jour et de nuit et qui peut accueillir jusqu'à 10 personnes est transformée en dortoir où la direction a décidé d'installer des transats. "Nos usagers peuvent se coucher, se reposer un peu dans la salle du rez-de-chaussée. Le matin, on range les lits d'appoint pour la journée. Cela évite qu'ils ne sortent", explique Guy Louis-Thérèse, le directeur de la Passerelle.
Autre précaution : au réfectoire, seules deux personnes par table, séparées par au moins un mètre de distance. Mais certains bravent les interdits. "Ce matin, nous avons eu un problème avec un homme. Il est arrivé avec une matraque et il voulait embrasser tout le monde. Tout ce qu'on essaie de construire peut être détruit pas une seule personne. "
Les travailleurs sociaux sur le front
Les travailleurs sociaux, eux, se protègent avec des masques et des gants. Ils devraient bientôt recevoir des combinaisons. Mais en attendant, ils font avec les moyens du bord : "On porte les mêmes vêtements au travail et on se change en partant", raconte Najet Helis.
Certains salariés ne viennent plus travailler par peur ou parce qu'ils sont en arrêt maladie pour d'autres pathologies que le Covid 19. Alors, pour les autres, la tâche s'avère plus compliquée. Rappel à l'ordre, précautions, nettoyage régulier des surfaces, surveillance accrue, stress, le personnel nous confie que les journées sont épuisantes : "Avec cette épidémie, on a l'impression de faire trois journée en une. C'est très intense."
Il faut redoubler de vigilance, mais aussi de bienveillance. "Nous devons être encore plus attentifs aux besoins de nos usagers. Nous recevons beaucoup de personnes alcooliques et pour éviter qu'ils ne déambulent dehors, nous les autorisons à titre exceptionnel à boire dans nos locaux", nous a même confié le directeur.
Confinement improvisé
Dans l'Oise, le Samu social aussi a dû s'organiser. Certains centres ont dû fermer, et la dispersion dans le département des places d'hébergement rend la tâche compliquée. "On fait le maximum pour centraliser", explique Stevens Duval, le directeur départemental. "On a créé un centre d'hébergement en urgence, ça s'est mis en place en quelques heures, grâce à la préfecture et la mairie de Clermont qui nous ont donné le feu vert rapidement." Un gymnase de Clermont de l'Oise a donc été aménagé pour accueillir 100 personnes, le maximum pour pouvoir respecter les distances de sécurité.
"On a ouvert hier soir, et on a déjà 50 personnes qui ont dormi là. Les salariés qui font des maraudes ainsi que le 115 les orientent ici." Débordé, mais motivé, Stevens Duval se démène pour organiser au mieux ce confinement improvisé. "Pour les repas, on a eu quelques dons, ça a servi pour le diner et le petit-déjeuner. Désormais, on va demander du renfort aux autres associations, et un restaurateur creillois va nous fournir des barquettes repas.", détaille-t-il. "L'État a promis de payer, on n'a rien d'écrit pour l'instant, mais il va bien falloir. On nous dit de protéger les plus fragiles, on le fait."
Solidarité et bienveillance
Pour l'organisation, il peut compter sur les bénévoles des Sauveteurs de l'Oise, présents aux côtés des salariés du Samu Social.Mais les travailleurs sociaux nous confient que ces moments révèlent aussi la solidarité et la bienveillance. À la Passerelle, certaines personnes sans abri, hébergées dans le centre, apportent leur aide en proposant de faire le ménage, en servant à table. Au Samu social, les bénévoles sont toujours sur le pont malgré la difficulté de la situation. "On a de la chance, dans l'ensemble", admet Stevens Duval. "Il y a encore des bénévoles, et sur 60 salariés, il n'y en a que 5 ou 6 qui ne peuvent pas travailler, en général parce qu'ils doivent garder leurs enfants."
Reste à savoir combien de temps vont encore durer les mesures de restrictions des déplacements. Le gouvernement a annoncé que les dispositifs d'accueil d'urgence hivernal, qui ferment habituellement fin mars, continueraient de fonctionner jusqu'au 31 mai. Sur toute la France, cela représente 14 000 places d'hébergement. Et le report de la fin de la trêve hivernale, repoussée de deux mois, pourrait aussi protéger un peu les plus démunis, en évitant que de nouvelles personnes ne se retrouvent à la rue.