À Ponchon, dans l'Oise, Caroline Sobczak perpétue un savoir-faire bicentenaire de décor sur faïence. Entre commandes prestigieuses et engouement pour l'artisanat, elle fait vivre cet art emblématique du patrimoine français.
Ponchon, petit village de l'Oise, célèbre 200 ans de tradition céramique. Autrefois animé par une dizaine d'artisans, il n'en reste aujourd'hui qu'une, Caroline Sobczak, pour perpétuer cet art.
Dans son atelier labellisé "entreprise de patrimoine vivant", elle perpétue ce savoir-faire unique, à la fois fragile et précieux.
Dans l'atelier, un savoir-faire préservé
Concentrée, pinceau en main, Caroline applique des motifs délicats sur un carreau, le produit qui a fait la renommée de la faïence de Ponchon, au XIXe siècle : "je suis en train de poser des couleurs, des oxydes colorants qui constituent mes motifs sur l'émail cru. Le bleu a été obtenu à l'aide de l'oxyde de cobalt et le brun, de l'oxyde de manganèse. Tout simplement, parce que ces deux coloris étaient à la mode à l'époque".
Cette technique typique est exigeante car elle ne permet pas le repentir. "C'est la dernière étape de ce décor. Mon pinceau ne contient à ce moment que de l'eau et une poudre d'oxyde. Il n'y a pas d'adjuvant ou de liant car je travaille sur l'émail cru".
La couleur du motif, qui se révèle après cuisson, est ensuite vitrifiée. Le décor a pénétré l'émail. Impossible de revenir en arrière.
Une passion née d'une rencontre
Originaire de l'Oise, Caroline Sobczak cherchait un stage en céramique artisanale dans le cadre de ses études, lorsqu'elle est tombée sur le travail de sa prédécesseuse et maître d'apprentissage, Sylvie Thémereau. Cette céramiste avait redonné vie à cette technique oubliée de décor sur faïence : "j'y ai vu l'occasion, puisque le motif est très présent dans ce type de décor, de retrouver mes premières amours, le dessin. Avec la céramique, on peut tout avoir. On peut travailler le volume, la forme, la couleur, le motif et l'état de surface. La matière présente sur une surface, c'est quelque chose qui me fascine."
En 200 ans, un seul changement est apparu : l'argile. La matière première ne vient plus exclusivement du département de l'Oise, les carrières ayant progressivement disparu, mais de toute la France. La Picarde, qui a repris cet atelier en 2008, produit jusqu'à 17 000 carreaux par an. Un processus long, il faut compter trois jours de cuisson, avec une montée à 1 000 degrés.
C'est la fin de la deuxième cuisson. Caroline ouvre la porte du four encore chaud : "ce four contient des carreaux qui ont été réalisés dans le cadre d'une commande d'un décorateur français pour un client américain et ces carreaux seront envoyés à un revendeur spécialisé dans le carreau haut-de-gamme."
L'art de la faïence, entre tradition et modernité
Ce type de faïence, héritière d'une tradition séculaire, orne déjà les murs des cuisines de maisons illustres, comme celle du peintre Claude Monet, de l'écrivain Emile Zola ou encore du château de Vaux-le-Vicomte. Et la demande pour ces pièces uniques ne faiblit pas.
Récemment Caroline Sobczak a reçu de nouvelles commandes pour des demeures historiques en quête d'une restauration fidèle à l'art français traditionnel. "J'ai été sollicitée par la municipalité d'Essoyes qui a acquis la maison familiale du peintre Pierre Auguste Renoir pour la transformer en musée, énonce fièrement la céramiste. Cette maison avait subi les outrages du temps et ils ont décidé de retrouver l'atmosphère en termes de déco et mobilier au plus proche de ce qu'elle pouvait être à l'époque. Et j'ai également eu la chance de travailler pour la restauration du Collège Royal et Militaire de Thyron-Gardais, en Normandie, qui est l'actuelle propriété de Stéphane Bern. J'ai réalisé les carreaux des différentes salles de bain et de la cuisine avec le plaisir de varier de pièce en pièce les coloris, les motifs tout en personnalisant les commandes avec le grand concours de l'architecte".
Un engouement local et des perspectives d'avenir
Mais la transmission de cette tradition ne s'arrête pas là. Dans sa boutique, Caroline Sobczak accueille aussi des particuliers, venus découvrir et acheter des pièces de vaisselle, désormais très prisées. La faïence, avec son charme ancien et ses couleurs subtiles, retrouve sa place dans les intérieurs modernes. "Ma grande satisfaction, c'est de ne pas considérer ce savoir-faire comme enfermé dans une vitrine ou dans un musée, mais de contribuer à le faire vivre en particulier en accompagnant des clients qui ont des projets de vaisselle personnalisée ou de carrelage. On rentre dans leur intimité et faire un pont entre les usages contemporains et un intérieur traditionnel, c'est quelque chose qui me réjouit beaucoup."
Cet engouement pour l'artisanat, la céramiste le perçoit comme une assurance pour l'avenir. "Je ne suis pas particulièrement inquiète pour la transmission de ce savoir-faire, confie-t-elle. En France, la céramique connaît un vrai regain d'intérêt, avec de nombreux artisans qui s'installent. Et du côté du grand public, on observe un attrait fort pour les métiers d'art et le patrimoine vivant". Face aux crises récentes, elle observe une prise de conscience : "Cela nous rappelle, très localement, qu'on a des pépites et des relations privilégiées avec des personnes qui exercent des métiers parfois originaux".
Dans son atelier de Ponchon, Caroline Sobczak continue de perpétuer cette tradition, portée par la conviction que l'artisanat saura toujours trouver sa place dans le cœur des gens.
Avec Lucie Caillieret / FTV