C'est la première récolte de chanvre pour un groupe d'agriculteurs dans l'Oise. Cette plante a mille vertus. Elle permet de ménager le sol et d'éviter de l'abreuver de chimie, car aucun pesticide n'y est employé. Mais elle sert également à l'alimentation humaine, à fabriquer de la laine, mais aussi de la chènevotte.
Le chanvre est une variété de cannabis légale qui ne déclenche aucune euphorie. Cette plante a d'ailleurs plusieurs vertus. Elle est, par exemple, bonne pour le sol, ce que recherchent des agriculteurs, pionniers de cette nouvelle culture en Picardie.
"Agronomiquement parlant, c'est une plante très intéressante. Déjà, on n'utilise aucun phyto, aucun engrais de synthèse", explique Robin Leduc, agriculteur à Grandfresnoy, dans l'Oise. Ce qui l'attire, lui et ses collègues, c'est son système racinaire en pivot. "Niveau structuration des sols, c'est top, on cherche maintenant à travailler le végétal" pour restructurer les sols sans l'utilisation d'outils mécaniques.
"C'est un joli pari de se lancer dans le chanvre"
Comme toute plante, le chanvre consomme "un peu d'eau, mais sans plus". Robin Leduc affirme qu'elle peut pousser dans des "terres moins productives" et avoir un rendement équivalent "aux bonnes terres". Pour lui, se lancer dans le chanvre est "un joli pari". C'est d'ailleurs leur première récolte, donc les agriculteurs découvrent encore.
Son collègue, Eric Soetemont, montre à quel point le chanvre est, par exemple, utile contre les mauvaises herbes. "Ici, c'est un chénopode, une mauvaise herbe qui peut faire normalement plus d'un mètre". Cette plante est difficile à traiter et à désherber, mais grâce au chanvre, qui fait plus de deux mètres, elle est étouffée, n'a presque pas de lumière et ne se développe pas. "Il n'y a quasiment pas de mauvaises herbes", se réjouit-il.
Une plante aux mille utilisations
Agenouillé au sol, Ludovic Loire, agriculteur également, présente les produits du chanvre : d'abord, la chènevotte qui a des caractéristiques particulières : elle capte dix fois son poids en eau, ce qui permet de faire un béton de chanvre en mélangeant de la chaux et de l'eau. "À l’intérieur d'une maison, idéalement en brique, on fait une correction thermique sur un mur et l'humidité va être captée par la chènevotte et relarguée l'été", ce qui favorise la stabilité de la température pendant la période estivale.
Il est aussi possible de construire des maisons neuves en béton de chanvre. "Ce n'est pas porteur, il faut une structure, une ossature en bois, et on projette ce béton de chanvre sur du Fermacell, un peu comme du Placoplatre, mais c'est une matière différente", détaille Ludovic Loire.
La graine, quant à elle, a plusieurs débouchés. Elle peut servir à la pêche pour appâter des carpes. Quant à l'alimentation humaine, "les débouchés sont en train de se créer, on en est au tout début". Parmi les premiers produits, on retrouve l'huile, "un petit peu goûteuse au goût de pesto". Il y a aussi la farine, "qui sera plus ou moins raffinée, et plus elle l'est, plus le taux de protéines est élevé. On peut arriver sur une poudre protéinée de 65%, au final".
Quant à la laine, à base d'écorce de la plante, elle permet "l'isolation des combles rampants ou perdus". Mais il faut encore créer des débouchés et les agriculteurs doivent trouver des particuliers prêts à refaire l'isolation de leur maison "ou qui sont prêts à aller sur un produit comme ça, complètement naturel, qui ne gratte pas, que même un enfant peut toucher et qui est sain et durable", détaille Ludovic Loire.
Une diversification nécessaire
La diversification dans les métiers d'agriculture est nécessaire, car l'équilibre économique des exploitations pâtit du réchauffement climatique, rendant ainsi les rendements "très aléatoires". "Après, avec le retrait de certaines molécules, on a moins de moyens de défense contre des maladies qui impactent les rendements, donc il faut se diversifier et aller vers des cultures où on peut capter 100% de la valeur ajoutée", ajoute l'agriculteur.
Lui et ses collègues ne veulent pas produire que de la biomasse. Ils souhaitent la transformer et la commercialiser avec "100% de la marge du produit". Aussi, selon Ludovic Loire, il faut avoir conscience que, par exemple, le prix actuel du blé est le même que dans les années 1980 "avec des coûts qui n'ont rien à voir. Ça montre bien la rentabilité d'une exploitation agricole est quand même en danger. Donc oui, il faut chercher à se diversifier", conclut-il.
Si tout se passe bien pour eux, la surface sera doublée l'an prochain. Le dérèglement climatique met certes les nerfs des paysans à rude épreuve, mais cette plante robuste et conciliante leur offre un peu plus de répit.
Avec Dominique Patinec / FTV