Les jardins remarquables, des écrins de verdure où la nature est sublimée par l’Homme : "c’est l’œuvre d’une vie"

Pour les Journées du patrimoine 2024 des 21 et 22 septembre, nous vous proposons de visiter des jardins labellisés remarquables. Arbres pluri-centenaires, roseraies exubérantes, parterres de plantes médicinales et parc impérial, voici quatre lieux d’exception où la nature est un monument en soi.

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Et si, pour changer, vous alliez prendre l'air ? Et si, plutôt que de vous enfermer dans un monument ou autre bâtiment historique, vous choisissiez de déambuler au milieu des plantes et des fleurs ? Des Journées du patrimoine au vert, c'est possible. Dans les Hauts-de-France, 119 parcs naturels et jardins vous attendent les 21 et 22 septembre prochains : 

Pour vous aider à faire votre choix, voici une sélection de quatre jardins labellisés remarquables parmi les 33 que comptent les Hauts-de-France. 

Les jardins de Viels Maison

Dans un petit village de l’Aisne, se trouve un bout de paradis adossé à une église romane datant du XIè siècle. Un jardin de roses, d’arbustes et de plantes vivaces. Ou plutôt une succession de jardins, conçue en forme de pétales. L'œuvre d'une vie. Celle de Bertrande de Ladoucette.

À son arrivée dans cette demeure de maître de Viels Maison en 1991, il n’y avait guère plus qu’un potager à la française, très structuré et organisé. 30 ans plus tard, c'est un jardin d'atmosphères qui se déploie sur plus de trois hectares. "J’avais envie d’apporter quelque chose au village, raconte Bertrande de Ladoucette, propriétaire des jardins de Viels Maisons. Mais quand j’étais sur le point de planter les 2500 pieds de buis, je me suis dit que tout ça, c’était bien pour Versailles et pas pour Viels Maison."

Plusieurs arbres remarquables, comme cet if de plus de 200 ans ou encore deux séquoias de plus de 170 ans, veillent sur les lieux. Et permettent une promenade entre ombre et lumière. Ici, on traverse un jardin anglais noyé sous un camaïeu de roses. Là, on s’attarde dans un jardin sauvage où coule un ruisseau enjambé par un pont de bois. Une petite cascade met le tout en musique. Jardin romantique. Jardin des 4 saisons. Le décor change en quelques pas. 

Aujourd'hui, les jardins de Viels Maison sont estampillés "jardin remarquable", un label attribué pour 5 ans par le ministère de la Culture qui vient à l'improviste évaluer l’intérêt botanique, esthétique et historique d’un site. 

La déambulation mène nos pas sur des dalles de pierre qui semblent être une allée. Il s’agit en fait d’une autre curiosité des jardins de Viels Maison. "Vous vous trouvez devant un cadran solaire analemmatique, corrige Marie de Ladoucette, belle-fille de la créatrice des lieux. C’est un cadran qui donne l’heure grâce à l’ombre des gens qui se placent dessus."

Puis la musique du sécateur nous emmène vers la chambre des buis. Des buis taillés. Sculptés même en forme d’animaux ou de personnages. "Dans nos jardins, en France, le buis est un élément essentiel. Il est le symbole de l’éternité et aussi de l’élégance", rappelle-t-elle. 

La paix et la sérénité que dégage le jardin de Viels Maison, la famille Ladoucette a choisi de la partager avec les artistes. Peintres, sculpteurs et même céramistes viennent trouver dans cet atelier de plein air une inspiration naturaliste originale et joyeuse. De nombreux visiteurs arpentent les allées du jardin et goûtent à l’expérience rare du temps suspendu. "Ce qui donne de l’énergie pour faire perdurer ce jardin, c’est que, quand les gens partent d’ici et passent la porte, ils sont un peu plus heureux que lorsqu’ils sont entrés", se réjouit Marie de Ladoucette. Un bonheur accessible jusqu’au 30 septembre.

Le village-jardin de Gerberoy


Dans ce village, il y a plus de rosiers que d'habitants. Gerberoy, l’un des plus beaux villages de France, où la pierre joue avec le bois et où la végétation est omniprésente. Maisons de briques, toits de tuiles noires, colombages, rosiers exubérants et treillis couverts de plantes grimpantes et denses. Ici, le temps semble s’être arrêté sur une partie de campagne du 19ème siècle. Comment, dès lors, ne pas tomber sous le charme de chaque ruelle pavée et bordée de rosiers.

Et derrière chaque porche, se cachent des jardins insoupçonnables et insoupçonnés. Delphine Higonnet nous ouvre l’une des doubles baies vitrées de sa maison que nous traversons. Une autre baie vitrée nous emmène vers le plus vieux jardin de Gerberoy. "C’est un jardin de roses mais aussi d’ifs monumentaux et rarissimes et de buis taillés, nous explique la propriétaire des lieux. C’est ce qu’on appelle un jardin d’agrément. À la différence des jardins d’utilité qu’étaient les vergers et les potagers, le jardin d’agrément, c’était purement pour la promenade, la méditation, l’accueil des personnalités de passage."

Une cour magistrale conçue au XVIIè siècle qui témoigne de l'engouement pour l'art topiaire (et non taupière !) avec sept ifs plantés en arc de cercle dont l'if igloo et l'if cloche. "C'est un terme qui n'est pas très connu en France. C’est simplement l’art de tailler des arbres dans un but décoratif", précise Delphine Hugonnet.

Attenant à cet espace étonnant, un autre jardin, plus intimiste et à l’esprit plus Moyen Âge. "C’est notre jardin bouquetier. Avec une quarantaine de variétés de roses, de pivoines. Avec des arbres fruitiers, détaille notre guide. C’est un jardin dit historique, c’est-à-dire qu’il a conservé son plan d’origine et ses arbres d’origine. Et c’est rare parce qu’on dit souvent qu’un jardin survit rarement à son concepteur : dès la génération suivante, les nouveaux propriétaires en général veulent autre chose."

Si Gerberoy est communément appelé le village aux 1000 rosiers, c’est grâce au peintre Henri Le Sidaner, peintre intimiste appartenant au mouvement postimpressionniste. Sur les conseils de son ami Rodin, il s’installe à Beauvais en 1900. Mais comme Claude Monet, l’artiste veut une maison à la campagne. On lui conseille Gerberoy, une ancienne cité médiévale toute en pierre et en pavés, où, totalement séduit par l’ambiance des lieux,  il va louer en 1901 une maison qu’il achètera deux ans plus tard. "Il va se prendre de passion pour cette petite cité endormie, raconte une guide conférencière à un groupe de touristes. Et il va beaucoup conseiller les habitants sur l’embellissement du village et notamment sur le fleurissement."

Derrière la maison à la face écrue et aux volets verts, Henri Le Sidaner crée le jardin blanc pour sa peinture à la manière de Monet à Giverny. Il installe une roseraie à floraison exubérante pour son atelier d'été, des terrasses à l'italienne et une copie du temple de l'amour de Versailles. César Le Sidaner nous emmène sur la deuxième terrasse du jardin, celle qui donne sur la campagne. Dans le jardin, c’est l’un des endroits préférés de l’arrière-petit-fils du peintre. "C’est l’œuvre de toute une vie, un jardin comme ça, finalement, constate-t-il sous cette tonnelle naturelle. Il l’a fait petit à petit certes, mais il l’a fait à plein temps. Quand je vois le temps que ça nous prend juste pour l’entretenir, je me dis que pour le réaliser, il lui a fallu presque 20 ans."

S’il a fait planter les premiers rosiers à Gerberoy, le peintre est également à l’origine de la première fête de la rose en 1928. Grâce à sa notoriété, ce village de 70 habitants sera élu le plus coquet de France en 1933. Si Henri Le Sidaner savait parfaitement restituer dans ses œuvres la sensation du temps qui s’arrête, c’est assurément dans ce village-jardin remarquable, classé parmi les plus beaux villages de France, qu’il l’a le plus éprouvée.

L'Herbarium des Remparts à Saint-Valery-sur-Somme 

En parcourant le dédale des ruelles de la ville haute au-dessus des remparts, vous allez être irrémédiablement attiré par ce qui se cache derrière ces murs de galets et de silex. Après avoir passé une porte de planches usées peintes en bleu qui fait tinter une cloche quand elle s’ouvre, vous voilà immergé dans un océan de vert taché de couleurs. Bienvenue à l’herbarium de Saint-Valery-sur-Somme.

Descendez les escaliers de pierre qui passent sous l’arche de lauriers roses, âgés d’une centaine d’années. "C’est un jardin qui est disposé en terrasse, explique Frédérique Fiore, botaniste et guide de l'herbarium. De la première terrasse où nous sommes, on voit parfaitement la seconde terrasse avec au centre un pommier qui est le cœur du lieu parce qu’il était déjà là avant la création de l’herbarium. C'est une architecture en étoile qui a été réalisée. Du pommier partent différents petits chemins pour circuler comme on veut dans ce jardin. Il n’y a pas de sens de visite particulier. On déambule comme on en a envie."

Classé remarquable en 2004, l’herbarium des remparts doit ce label à sa densité botanique : plus de 1000 espèces rustiques sont mélangées avec grâce dans des parcelles à thème. Plantes des dunes, plantes du littoral mais aussi fleurs de sous-bois, de rocailles et de marécage savamment disséminées sur 1700 m². "On a les plantes et les fleurs médicinales de base comme le romarin et la sauge, explique Frédérique Fiore. Il y a une que j’aime bien : c’est la menthe-coq, aussi appelée herbe des moines. Les moines l’utilisaient comme marque-page. Ils mettaient une feuille dans les livres parce que c’était aussi censé repousser les insectes qui mangent le papier."

Plantes alimentaires, condimentaires et tinctoriales, comme la waide, ont aussi su se faire une place au milieu des nombreux arbres fruitiers.

L’âme du jardin d’hôpital est préservée. Un jardin créé par les religieuses de l’hôpital attenant, fondé au XVIè siècle. Pendant des siècles, elles y plantèrent et y récoltèrent les végétaux capables de guérir et nourrir les malades dont elles avaient la charge. Après leur départ en 1964, le jardin reste à l’abandon. Seuls le pommier et les lauriers roses résistent à la nonchalance du temps qui passe.

En 1995, un groupe de passionnés s’attellent à la restauration des lieux et en font un jardin associatif. "C’est un peu du fouillis organisé, précise Benoît Clairé, le jardinier. Il ne faut pas croire que ça pousse comme ça naturellement ! Dès que ça déborde un peu, on essaie de nettoyer. Mais par exemple, le bleuet des champs, il se resème naturellement. Il est devenu très très rare. On ne le trouve quasiment plus dans les champs."

Et de nous montrer l’une de ses plantes préférées au nom on ne peut plus poétique : "c’est le cabaret des oiseaux. Quand il pleut, il reste toujours de l’eau et les oiseaux viennent boire dedans".

Le jardin, terreau poétique et philosophique, invite le visiteur à la rêverie et à la méditation au gré des petites phrases suspendues à la craie blanche sur des ardoises noires. L'herbarium dégage une certaine sagesse qui n'échappe pas aux abeilles. Elles ne manquent d’ailleurs pas de travail face à autant de fleurs mellifères au point qu’un rucher fermé leur a  été installé. Le jardin est aussi un beau terrain de savoir avec la serre ancienne. Et un beau terrain de jeu aussi pour les enfants qui apprendront que les pigments des plantes permettent de créer de petites œuvres d'art. 

Le jardin du château de Compiègne

Il est à la fois royal et impérial. À l’origine à la française à la demande de Louis XV, le parc du château de Compiègne, labellisé remarquable en 2004, fut réaménagé par Napoléon 1er à partir de 1810 pour prolonger l’élégance de l’édifice. Au pied de la terrasse, la perspective est spectaculaire : d’abord le jardin, encadré de tilleuls plantés en quinconce puis le "grand parc" de 700 hectares. C’est l’allée des Beaux-Monts, une avenue d’arbres et d’arbustes à la riche floraison printanière, longue de presque 5 km qui coule jusqu’à la forêt domaniale.

"L’Empereur tient absolument à ce que ce soit le paysage forestier qui arrive au pied de la terrasse, explique Axel Lefranc, le responsable scientifique du parc. D’où cette esthétique très naturaliste, à l’anglaise. On donne l’illusion qu’on a fait pénétrer le jardin dans la forêt." 

Pour accéder au cœur de la forêt, un autre chemin a été aménagé par Louis-Martin Berthault, l’architecte paysager mandaté par Bonaparte : un treillage de verdure en forme de tunnel long d’1,5 kilomètre, bordé de roses, appelé le berceau de Marie-Louise. "C'est une structure métallique qui date de 1810 et qui a été mise en place pour permettre à l’Impératrice Marie-Louise, la seconde épouse de Napoléon 1er, de pouvoir se rendre dans la forêt pour suivre la chasse ou de se promener à l’ombre", explique Axel Lefranc.

La promenade est agrémentée de rencontres de marbre et de pierre, silhouettes de la mythologie romaine et grecque. Les plus anciennes, le Philoctète blessé et la Vénus du Capitole, font partie du paysage depuis 1811. Une trentaine d’autres pièces, originales ou copies, sont venues les rejoindre jusqu’en 1869, date à laquelle la dernière sculpture a été installée : il s’agit d’une Andromède, taillée au ciseau par le neveu de George Sand. Une foule hétéroclite et singulière, témoin du goût du Second empire pour l’éclectisme. 

Brassage de couleurs et de senteurs enivrantes, le jardin des roses accueille le visiteur autour d'un petit bassin rond, l’un des derniers vestiges du jardin de Louis XV. Créé en 1820, il a été replanté il y a 20 ans comme il l’était à l’origine. Les roses anciennes s’épanouissent aux côtés des pivoines, pavots d’Orient, iris et autres éphémères de Virginie dans une atmosphère de volupté florale digne d’un palais impérial.

Avec Sophie Picard / FTV

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