Trois jours après le meurtre de Dominique Bernard, professeur de français poignardé au collège d'Arras, l'heure est à l'échange et au recueillement. Des élèves et enseignants lillois nous racontent cette matinée pas comme les autres.
Ce lundi matin, les élèves du lycée Pasteur à Lille devaient montrer patte blanche pour entrer dans l'établissement. Des membres du personnel vérifiaient les carnets de correspondance devant le portail. Un dispositif de sécurité renforcé, trois jours après l'attentat terroriste d'Arras, qui a coûté la vie au professeur de français Dominique Bernard.
Dans ce contexte particulier, le ministre de l'éducation a repoussé le début des cours à 10 heures, ce lundi 16 octobre, pour laisser un "temps banalisé [...] d'échange à la fois humain et pédagogique entre les collègues de chaque établissement". Ensuite, chaque enseignant était libre d'aborder le sujet avec ses élèves. "Le proviseur nous a dit : 'faites comme vous le sentez'", rapporte Laurent Noël, intervenant en BTS communication.
"J'ai cru qu'elle allait pleurer"
"On est revenu sur ce qu'il s'est passé avant notre cours, raconte Thibault, en terminal STMG. Notre prof d'histoire-géo nous a dit que ça l'avait beaucoup touché et qu'elle avait un peu de mal à en parler. J'ai même cru qu'elle allait pleurer." L'échange dure une quinzaine de minutes, l'occasion pour l'enseignante de rappeler les valeurs cardinales de l'école de la République.
"Elle nous a dit que ces personnes-là (les terroristes islamistes NDLR) trouvaient l'école effrayante, explique Lucie, 16 ans, dans la même classe. Que l'école formait les esprits libres, et que c'est cela qu'elle tentait de faire au-delà de nous apprendre des cartes du monde." Des propos emplis d'émotion d'après les élèves.
"Ça m'a rappelé Samuel Paty"
Jules, 15 ans, en 1re générale, s'est remémoré l'hommage à Samuel Paty, ce lundi matin. "Ça m'a rappelé les discours de profs choqués à l'époque, et je me dis que ce n'est pas si rare que ça finalement." "En croisant les enseignants, les élèves et les agents, ce matin, je me suis dit que ça aurait pu nous arriver à nous", ajoute Lucie.
Le professeur d'Allemand de Jules connaissait Dominique Bernard, poignardé à mort par le terroriste de 20 ans, ancien élève de l'établissement d'Arras. "Elle nous a dit que c'était un ami qu'elle avait rencontré pendant ses études, cela m'a rendu triste pour elle, confie-t-il. Elle nous disait qu'elle parlait aussi pour elle, pas que pour nous." Comme un besoin de libérer les maux.
"Besoin d'être aimé par les élèves"
"Nous avons besoin de se sentir aimés et soutenus par nos élèves, par les parents et par les politiques", confirme Catherine, professeur d'écogestion en BTS. Notre profession est tellement critiquée..." Dans sa classe, elle a senti "de la tristesse", sans pour autant qu'elle ne s'exprime par les mots. Un ressenti partagé par Johana, 17 ans, en terminal : "on s'est beaucoup regardé dans les yeux, dans le silence."
Un silence qui a davantage étonné Laurent Noël : "je pensais qu'ils allaient être plus touchés que cela, mais non." Il dit avoir cherché à solliciter la discussion : "je l'ai fait d'instinct, pour essayer de faire parler, ce qui n'a pas été le cas." Désintérêt ou pudeur ? Lui-même ne semble pas trop savoir. Tous les élèves que nous avons interrogés ne semblaient pas être sensibles au même degré. Comme ces deux adolescents qui nous disent avoir "dormi" pendant cet échange avec leur professeur.
Dans l'après-midi, vers 14 heures, une minute de silence était organisée dans l'établissement comme partout en France.