Quatre mois après l’accord post-Brexit, le capitaine du Marmouset 3 n’avait pas envisagé pareille situation : sans licence pour jeter ses filets dans les eaux britanniques, son activité peine à rester à flot.
C’est la plus grave crise qu’il ait jamais traversé à bord de son chalutier. "Mes prises ont chuté de 40% cette année, affirme Pierre Leprêtre, capitaine du Marmouset 3 à Boulogne-sur-Mer. J’avais l’habitude de pêcher jusqu’au nord de l’Angleterre. Aujourd’hui, ça m’est interdit."
Tout avait pourtant bien commencé. La signature d’un accord entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne avait redonné le sourire à ce patron pêcheur après des mois de doutes. Il pensait conserver comme tous ses collègues français le droit d’aller pêcher dans les eaux britanniques, les eaux les plus poissonneuses de la mer du Nord. Seulement voilà, Pierre Leprêtre n’a toujours pas obtenu de licence, un document essentiel. "On est six chalutiers et la plupart des trémailleurs boulonnais ne l’ont pas obtenue, explique Pierre Leprêtre. Et c’est très compliqué pour nous parce qu’on a le droit de pêcher uniquement côté français. Or la ressource y est pratiquement épuisée. Si ça dure encore longtemps, je vais devoir raccrocher."
Faute d'encornet, on pêche des merlans
Une situation très difficile à vivre pour ce patron pêcheur de 34 ans qui avait fait construire son nouveau chalutier il y a 4 ans à peine. Alors, des solutions, il en a cherché. Mais le Covid s’en est mêlé. "D’habitude, en février, on cible l’encornet dans les eaux anglaises, il n’y a pas de quotas et ça se vend très bien. Mais cette année, on a dû se rabattre sur le merlan. Mais ce poisson est soumis aux quotas et en plus avec la situation sanitaire, il ne s’est pas vendu : les restaurants sont fermés pour les poissons de valeur, les cantines aussi."
C’est difficile, j’avais une petite trésorerie au cas où mais là, on n’a plus envie d’aller en mer, mes gars partent avec des souliers de plomb.
Pierre Leprêtre a même espéré que les autorités fermeraient un peu les yeux. "Je me suis alors lancé dans la coquille Saint-Jacques. Mais il nous manquait un document. J’ai fait une semaine à la coquille. Résultat : un rappel à l’ordre et une amende de 7.000 €. C’est l’équivalent d’une semaine et demi de pêche en mer !" Alors pas question d’essayer de gruger les Anglais : "Si je pêchais sans permis, explique-t-il, je me ferais arraisonner et conduire directement en Angleterre. L’amende serait encore plus salée, il y a des bateaux de la Royal Navy et des garde-côtes qui surveillent nuit et jour : tous les pêcheurs se tiennent à carreau."
Alors Pierre Leprêtre ne se montre pas très optimiste pour les mois qui viennent. "C’est difficile, j’avais une petite trésorerie au cas où mais là, on n’a plus envie d’aller en mer, mes gars partent avec des souliers de plomb. On est en train de mourir petit à petit en silence." En embarquant pour la première fois à 17 ans, jamais Pierre Leprêtre n’aurait pu s’imaginer un jour peut-être avoir à renoncer à sa passion.