A Boulogne-sur-Mer, une compagnie de danse réalise un flash-mob virtuel pour montrer à quel point leur passion est essentielle.
Elles sont toutes masquées, alignées et séparées d’un mètre de distance. Un travelling et quelques secondes de musique mettent en scène les huit danseuses de la compagnie Neostreet. C’est tout l’enjeu du clip : montrer que n’importe qui peut danser, même en respectant les gestes barrières. "Ça permet aussi au public, aux gens qui nous suivent, de montrer qu’on a encore quelques projets et qu’on est toujours là” explique Justine Plessis, la chorégraphe à l'initiative du projet.
Pendant plus de 3 minutes, la performance est rythmée par la musique du chanteur Grand Corps Malade. Un morceau hommage au monde de la culture sacrifié, sorti en décembre 2020, à l'heure où les salles de spectacles fermaient à nouveau. “Aller aux concerts, se prom’ner en forêt, danser en soirée, retrouver les gens… pas essentiel” scande le chanteur. Sur ces mots, Justine et les autres exorcisent toute la frustration accumulée depuis la fermeture de leur salle de danse, en septembre dernier. “On a à peine rouvert, qu’on devait de nouveau fermer. Résultat : certains danseurs n’ont pas pratiqué depuis presque un an. Alors que la danse, comme autre chose, ça s’apprend pas à pas, c’est un métier” raconte Justine.
C’est ainsi que l’idée est venue. D’abord pour se réunir à nouveau et danser ensemble. “On s’est toutes organisées en visio, chaque mardi soir. On a commencé à répéter, d’abord chez nous. Puis on a fait une répétition sur site fin mars et tourné le clip le week-end suivant, au Portel. C’est allé très vite, ça prouve bien que c’est possible !” explique Justine. “Pour certaines, ça fait presque un an qu’on a pas dansé, on a peur d’être rouillées” s’inquiète Aurélie, une des danseuses du clip. Mais cette vidéo poursuit aussi un autre objectif. Grâce aux réseaux sociaux, les danseuses espèrent sensibiliser les pouvoirs publics. “Si on la diffuse au maximum et que ça arrive jusqu’aux yeux de la mairie par exemple, on pourrait peut-être avoir des espaces, des terrains, pour pouvoir s’entraîner.” explique Aurélie.
Plus personne ne danse à Boulogne-sur-Mer
Car si certains sports peuvent à nouveau être pratiqués, en extérieur, la danse reste une pratique contraignante. “Difficile de s’entraîner avec des chaussons de danse classique sur le béton” ironise Justine. Alors à Boulogne-sur-Mer, la danse est un souvenir du monde d’avant. Les clubs sont à l’arrêt, plus personne ne danse. “Les événements sont annulés, alors la compagnie ne décroche plus aucun contrat donc les danseurs professionnels ne gagnent plus rien. L’association n’a plus de rentrée d’argent. On a peur que ça mette en péril le club.” explique Justine.
Au conservatoire de musique et de danse du Boulonnais, seuls quelques cours sont maintenus, uniquement pour les étudiants en dernière année de leur diplôme. Il y a aussi le festival annuel Le Printemps de la Danse, rendez-vous des beaux jours dans la région, qui invite chaque année des compagnies de la France entière pour des représentations. Il aurait dû commencer le 30 mars dernier, mais a dû être annulé dans sa forme initiale car les salles de spectacle n'ont pas rouvert. La Communauté d’Agglomération du Boulonnais réfléchit toutefois à maintenir cette édition, en adaptant les représentations à des espaces en extérieur. Quoi qu’il en soit, qu’ils soient amateurs ou professionnels, le constat est le même chez les danseurs : leur sport n’existe plus, du moins au temps du coronavirus.
"Un vide au quotidien"
“Pas essentiel, pas essentiel” … le leitmotiv slamé par Grand Corps Malade fait écho au malaise. Pour ces filles, la danse est pourtant bien essentielle. “Je travaille dans le monde médical. Imaginez, c’est une période compliquée au travail. Et sans la danse, je ne peux plus me vider la tête, je n’ai plus mon échappatoire" observe Aurélie. Pour ces danseuse, la salle de danse est un rendez-vous, l’espace du lien social et amical, l’endroit de l’activité physique et de l’expression de leur passion. Tout cela à la fois. Alors le manque commence à jouer sur le moral. “On est passé de 3 ou 4 cours de danse par semaine à rien du tout. Ca crée un sacré vide au quotidien” explique Aurélie.
Avant le Covid, Justine venait même au club tous les soirs. Elle est en charge d’une troupe et prépare chaque année le spectacle de fin de saison, annulé en 2020 et 2021. “Je danse depuis toute petite. Pour moi, c’est d’autant plus frustrant que j’adore partager, transmettre et enseigner. On n'a plus d’objectif de fin d’année, plus de motivation. Il y a de moins en moins de monde pour mes cours en visio. Mais c’est normal, à la maison, les espaces sont plus petits, ce n'est pas facile” explique Justine. Alors, comme dans tous les secteurs de la culture, aujourd’hui empêchés, Justine et Aurélie se laissent espérer. “Il faut que nous fassions vivre nos passions, qu’on puisse relancer nos activités, on ne voudrait pas que tout ça meurt” conclut Aurélie.