Les derniers 100 mètres d’un interminable marathon de quatre ans et demi. Le Brexit était voté en juin 2016. Et le 31 décembre au soir, à 23 heures GMT, la Grande-Bretagne sortira définitivement de l’Union européenne. Calais, le Calaisis, Nord et Pas de Calais sont aux premières loges. 

La scène se passe mardi 15 décembre à l’Assemblée nationale. Lors de la séance des questions au gouvernement, le député (Agir) du Nord, Paul Christophe, demande à la ministre de la Transition écologique la création de "zones économiques spéciales", en vue du Brexit.

Le sujet concerne tout particulièrement les ports qui font face aux côtes anglaises, d’autant que Boris Johnson, lui, entend bien créer 10 ports francs sur son littoral au cours de l’année prochaine. Des ports francs qui bénéficieront de règles fiscales et sociales avantageuses. Une concurrence déloyale. Réponse de Barbara Pompili, la ministre interrogée, au député du Nord : l’option des ports francs n’est pour l’instant pas retenue. Déception.

C’est d’autant plus décevant qu’Emmanuel Macron avait promis le contraire. Le 16 mars 2018, le Président de la République est en visite à Calais et il accepte l’idée d’une création de zone franche économique dans le Calaisis. Xavier Bertrand, au côté du chef de l’Etat, en est témoin. Tenace, le président du Conseil régional des Hauts-de-France relancera d’ailleurs à plusieurs reprises les administrations pour savoir où en est le projet.

En mars 2020, le dossier est sur le bureau du Ministre de l’action et des comptes publics, le Nordiste Gérald Darmanin, ami proche de Xavier Bertrand. En juillet, Darmanin quitte Bercy. Et en décembre, donc, fin de non-recevoir. Paul Christophe, ancien maire de Zuydcoote dans le Dunkerquois, fait part de ses regrets. Xavier Bertrand est amer.

L’anecdote, pour certains observateurs de la vie politique et économique, est révélatrice du « grand bazar » (pour ne pas dire autre chose) qui accompagne la sortie de la Grande-Bretagne du marché unique européen. Et elle n’est pas de nature à rassurer les deux départements français les plus proches des côtes anglaises.

Pouvons-nous faire plier les anglais ? 

"C’est comme une querelle de copropriété, estime la sénatrice UDI Catherine Fournier, secrétaire de la commission des affaires européennes du Sénat, ancienne maire de Fréthun. Le mur mitoyen, c’est le détroit du Pas de Calais, le channel. Les Britanniques ont cassé le contrat. On peut le casser nous aussi. Nous pouvons faire plier les Anglais". "Ce n’est pas si simple, rétorque un élu régional. Les Anglais profitent du fait que les Européens sont sur deux grands fronts en cette année 2020 : le Covid et le Brexit. Et le Covid mobilise toutes les énergies et épuise tout le monde. Le reste se règle au jour le jour, avec un intérêt lointain pour le grand public." 

La pêche, un sujet politique et non économique

Boris Johnson, lui, a décidé de jouer la carte de la fermeté. Le 12 décembre, la Royal Navy annonce qu’elle est prête à déployer des bâtiments militaires dans les zones de pêche britanniques pour en défendre l’accès ! Le Ministre de la défense précise même qu’il dispose de 14 000 hommes et d’hélicoptères pour veiller jalousement sur les eaux poissonneuses de son pays et ainsi "aider" à la transition post-Brexit.

"La pêche, ce n’est pas qu’un dossier économique pour le madré Boris Johnson, explique le journaliste Pascal Verdeau, correspondant de France Télévisions à Bruxelles. C’est essentiellement un dossier politique. La pêche, Boris Johnson l’instrumentalise à des fins de politique intérieure, pour bien montrer aux Britanniques qu’ils retrouvent grâce au Brexit leur souveraineté. Mais c’est en fait le seul secteur où il peut se vanter d’un réel retour du contrôle des frontières."

Nous fermer ces zones de pêche, c'est nous tuer. Il faudra réduire notre flotte. Il y aura des faillites en cascade. Ce sera un drame.

Olivier Leprêtre, président du Comité Régional des Pêches Maritimes

Nos pêcheurs boulonnais, eux, ont bien entendu le message. "Evidemment que cette annonce de la Royal Navy nous fait peur, admet Olivier Leprêtre, patron d’un chalutier étaplois et président du Comité Régional des Pêches Maritimes. Comme un scénario de guerre. Mais les britanniques sont en position de force. On navigue 30 minutes et on est déjà dans leurs eaux. 70 à 90% des poissons que nous pêchons le sont dans les eaux anglaises. Nous fermer ces zones de pêche, c’est nous tuer. Il faudra réduire notre flotte. Il y aura des faillites en cascade. Ce sera un drame."

Privés des eaux poissonneuses britanniques, les pêcheurs de la côte d’Opale craignent aussi une surexploitation des ressources en poissons sur les zones restantes. Des zones qu’ils devront se partager avec des bateaux venus d’autres régions et d’autres pays, comme la Belgique, les Pays-Bas et l’Espagne. Une confrontation qui se retrouvera également entre les différents modes de pêche : casiers, filets, chaluts. Explosif. Invivable.

La pêche fait travailler 76000 personnes

"La pêche ne sera pas sacrifiée sur l’autel du Brexit, rassure Paul-François Schira, jeune Enarque de 29 ans, sous-préfet pour le Brexit dans les Hauts de France depuis un an. Les Britanniques ont besoin de nous. Si nos pêcheurs remontent 30 000 tonnes de produits de la mer par an, Capécure en transforme dix fois plus. Ce qui signifie que nos amis anglais nous confient la transformation de leur pêche. C’est bon pour notre économie. C’est bon pour le trafic poids-lourd via Calais. Et c’est la raison pour laquelle nous avons créé à Boulogne un service d’inspection vétérinaire dédié aux produits de la mer."

Quelques chiffres pour comprendre les enjeux. Sur la façade maritime du Nord et du Pas-de-Calais, la pêche fait travailler 76 000 personnes, dont 2 000 marins. Deux tiers des flux entre le continent et le Royaume-Uni passent par les ports des Hauts-de-France. Chaque année, 30 millions de voyageurs, 5 millions de camions et autant de voitures traversent la Manche. Dans la région, près de 10% des exportations partent chez nos voisins britanniques ; ce qui représente un solde commercial de plus de deux milliards d’euros (chiffres de 2018). La Grande-Bretagne est le sixième partenaire commercial de La France, le deuxième pour l’agro-alimentaire.

Inquiétude autour du trafic routier

D’où l’autre grande inquiétude à quelques jours du Brexit : le trafic routier dans le Calaisis. Le rétablissement des formalités douanières vont-elles entraîner de gigantesques embouteillages ? "Non", répond avec aplomb et assurance Jean-Marc Puissesseau, le directeur des ports de Calais et Boulogne, malgré les interminables files de camions venus de toute l’Europe qui "campent" jour et nuit sur la voie lente de l’Autoroute A16, en attente d’un embarquement.

"Les bouchons, c’est à cause du Covid ! Le virus a entraîné une baisse très importante du trafic sur l’année 2020  et les compagnies maritimes ont réduit la taille de leur flotte. On a donc moins de bateaux au moment où les entreprises britanniques, juste avant le Brexit, font des stocks importants. On est actuellement à 17 000 camions/jour, contre 10 000 habituellement. On reviendra à la normale en janvier."

Calais ne sera pas encombré. (...) Cette fois, on a eu le temps de se préparer.

Jean-Marc Puissesseau

Jean-Marc Puissesseau croit en ce qu’il appelle "la frontière intelligente", avec la mise en place d’un système de contrôles numérisé, où les démarches douanières seront au maximum dématérialisées. Six millions d’euros ont été investis. "Je ne suis pas inquiet, dit-il. On a beaucoup travaillé. On ne passera plus la frontière comme avant. Il y aura moins de souplesse, mais les transporteurs pourront anticiper leurs déclarations. Et s’il n’y a que 10% des camions qui seront contrôlés, il n’y aura pas de bouchons." Et peu importe si les Anglais, eux, construisent à Douvres et dans tout le Kent de gigantesques parkings, le directeur des ports persiste et signe : "Calais ne sera pas encombré. Pour la première fausse sortie des Britanniques de l’Union européenne, le 29 mars 2019, là j’avais eu peur ! On n’était pas prêt. Cette fois, on a eu le temps de se préparer. Et bientôt nous aurons de nouveaux bateaux et un nouveau port."

La sénatrice Catherine Fournier est dubitative. "Un petit couac dans cette belle organisation, craint-elle, et ce sera un gros mer..." "Aucun plan de bataille ne résiste à l’ennemi, admet Paul-François Schira. Mais les services de l’Etat, les douanes, la Région et les chambres de commerce ont sensibilisé les 8 000 entreprises exportatrices des Hauts-de-France. Et on va les accompagner."

Les douaniers se préparent au pire

Le diable peut se cacher dans les détails. Comme par exemple le passage de la frontière des chevaux de course, via le port de Calais. 10 000 environ chaque année. Ce n’est pas anodin. Ce sont des bêtes de compétition, souvent de grande valeur, qu’on destine à des saillies, des courses, des ventes. A partir du 1er janvier, les contrôles post-Brexit pourraient facilement prendre une heure par cheval."Il y en a huit ou douze par van, explique Jean-Marc Puissesseau. C’est-à-dire huit à douze heures d’immobilité avant l’embarquement. Voilà un point de blocage possible." Par la voie de leurs syndicats, les douaniers calaisiens, eux, craignent un blocage "monstre". Ils disent "se préparer au pire" sur le port et le tunnel sous La Manche (26% du trafic).

La délicate question des migrants

On gère tout sur notre territoire et en contrepartie, les Anglais nous font un chèque de temps en temps. Je n’ai jamais vu un migrant qui a réussi à passer nous revenir d’Angleterre. Parce que les Anglais les gardent tous. Ils les font bosser en les payant avec un lance-pierre et ça leur va très bien comme ça...

Xavier Bertrand, président des Hauts-de-France

Reste la délicate question des migrants. 8 000 tentatives de traversées de La Manche en 2020 ! Sur le papier, le Brexit n’y changera rien. La crise migratoire et les accords du Touquet ne sont pas au programme des négociations et d’un éventuel deal entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne. Quoiqu’il arrive, la frontière continuera donc de passer par Calais. Mais ça grogne. Fin novembre, Xavier Bertrand mettait les pieds dans le plat : "Les anglais, on leur rend leur frontière s’ils ne changent pas leur politique migratoire, menace le président des Hauts-de-France. "On gère tout sur notre territoire et en contrepartie, les Anglais nous font un chèque de temps en temps. Je n’ai jamais vu un migrant qui a réussi à passer nous revenir d’Angleterre. Parce que les Anglais les gardent tous. Ils les font bosser en les payant avec un lance-pierre et ça leur va très bien comme ça..."

Il ne faut pas se leurrer. Les entreprises installées en Grande-Bretagne ne se délocaliseront pas en nombre sur le continent.

Paul-François Schira, sous-préfet.

Et si le Brexit n’était pas annonciateur que de mauvaises nouvelles ? Et s’il était aussi une chance pour la région ? Paul-François Schira n’exclut pas de voir le Calaisis devenir base arrière pour des entreprises britanniques désireuses de garder ancrage sur le continent et base avant pour des entreprises européennes qui veulent être au plus proche de leurs partenaires britanniques. "On a créé un guichet unique pour aider ces entreprises à s’installer chez nous, explique le sous-préfet. Il ne faut pas se leurrer. Les entreprises installées en Grande-Bretagne ne se délocaliseront pas en nombre sur le continent. En revanche, elles peuvent être tentées d’avoir un second pied en France, à l’intérieur du marché unique européen. Nous suivons actuellement une vingtaine de projets. Il y a des opportunités."

Jean-Marc Puissesseau est un infatigable optimiste. "En 2020, on a eu deux virus, le Covid et le Brexit. 2021 sera l’année de la convalescence. Et tout redeviendra comme avant en 2022. Les Britanniques reviendront en Europe quand ils en auront assez d’être privés de soleil et de beaujolais."

Dans dix jours, c’est plutôt un méchant coup de chaud et une méchante gueule de bois qui pourraient frapper le Calaisis.  

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