Le Premier ministre britannique Boris Johnson et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ont décidé ce dimanche de poursuivre les négociations post-Brexit, malgré les difficultés, afin d'éviter un no deal aux lourdes conséquences économiques, concernant la pêche notamment.
L'interminable saga du Brexit n'en finit plus. La date butoir, fixée à ce dimanche, est une nouvelle fois repoussée. Londres et Bruxelles ont décidé de prolonger leurs négociations en vue d'un accord commercial sans se fixer cette fois de date limite, avant le couperet de la rupture définitive le 31 décembre.
"Malgré l'épuisement après presque un an de négociations, malgré le fait que les délais ont été dépassés à maintes reprises, nous pensons qu'il est responsable, à ce stade, de faire un effort supplémentaire", ont affirmé dans un communiqué commun la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le Premier ministre britannique Boris Johnson.
Il s'agit d'éviter un "no deal", une sortie sans accord, mais cette prolongation des négociations, ne pourra être que "de quelques jours au maximum", selon le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes, Clément Beaune. "Il faut laisser la négociation aller jusqu'au bout, estime de son côté Olivier Le Nezet, le président du Comité des Pêches de Bretagne, c'est vrai qu'ils jouent avec nos nerfs. Mais jusqu'à la dernière minute, jusqu'à la dernière seconde, la négociation se fera et on sera toujours solidaire en Europe (...) Et on doit trouver une solution qui permette à l'économie et à la filière de pouvoir continuer dans une approche d'exploitation durable de la ressource."
L'inquiétude des professionnels de la pêche
Une attente particulièrement pesante et stressante pour les pêcheurs. Dominique Thomas, propriétaire de chalutiers hauturiers à de Saint-Cast-le-Guildo, constate que "Ça fait un an qu'on a une épée de Damoclès au-dessus de la tête, et plus les heures approchent et moins on est sûrs d'avoir droit aux eaux britanniques. C'est insoutenable, d'attendre sans avoir de réponse !" Pour Olivier Le Nezet, qui veut rester optimiste malgré tout, "à partir du moment où il y a des discussions, ça veut dire qu'il n'y a pas de non accord. Certes, c'est décalé dans le temps. On a encore jusqu'au 31 décembre pour la négociation, mais il n'empêche qu'il y a une angoisse, qui est perceptible auprès des professionnels, car il n'y a pas de visibilité."
Des positions aux antipodes
En dépit d'échanges toujours plus intensifs, les positions affichées sont aux antipodes entre des Britanniques qui veulent retrouver une liberté commerciale totale et des Européens soucieux de protéger leur immense marché unique. En ce qui concerne la pêche, un des principaux points d'achoppement, les Britanniques d'un côté veulent retrouver une pleine souveraineté dans leurs eaux territoriales et pouvoir accorder eux même des droits de pêche spécifiques, renégociés chaque année. De l'autre les pays européens veulent continuer de pouvoir y pêcher, avec des quotas répartis entre les pays comme aujourd’hui.
Faute d’accord ce sont les règles de l’Organisation mondiale du commerce qui s’appliquent, synonymes de droits de douane ou de quotas, au risque d'un nouveau choc pour des économies déjà fragilisées par le coronavirus.
La pêche dans les eaux britanniques
Les eaux britanniques sont extrêmement poissonneuses et c’est bien là le problème. 40% des poissons pêchés en Europe le sont dans cette zone, à la fois par les Anglais bien-sûr, mais aussi les Danois, les Belges, les Néerlandais ou les Français. Côté Breton, c’est au moins 130 navires qui vont y pêcher. Et pour ces armements hauturiers, les eaux britanniques, représentent plus de 40% de l’activité. Parfois davantage, c’est par exemple 90% de l’activité pour le port de Lorient. Pour le professionnel de Saint-Cast, Dominique Thomas, c'est 90 à 95% de son chiffre d'affaire qui est réalisé côté britannique et pour lui, si aucun accord n'est trouvé "Il y a des bateaux qui iront au tapis, c'est clair. il n'y aura pas à pêcher pour tout le monde. Ceux qui n'ont pas de trésorerie se retrouveront dans une situation très délicate. Il y aura peut-être des aides, mais ça n'est pas une solution. Nous, on veut, que les bateaux aillent en mer et qu'ils pêchent !"
Les conséquences d’un no deal pour la pêche
Si les pêcheurs européens n’ont plus accès à ces zones, ils vont tous se retrouver à pêcher dans la moitié sud de la Manche, côté français donc. Et la pression exercée sur la ressource y sera d’autant plus importante. "Nous on se demande ce qu'on va devenir, s'inquiète ainsi le pêcheur breton, on va tous descendre côté français, les Belges, les Hollandais. il y aura des conflits entre tous les métiers. Nous on est au chalut, mais il y a des caseyeurs, des fileyeurs. Et puis on va venir manger le pain des côtiers, qui sont plus bas. Il y a un risque de surpêche côté français et un problème de ressource !"
L’autre conséquence est pour les Britanniques eux même. Car ils exportent 70% des produits de leur pêche vers l’union européenne. Ils se retrouveraient donc avec de conséquents droits de douanes à payer.
Des navire de la Royal Navy pour protéger les eaux britanniques
Signe d'un regain de tension, le ministère britannique de la Défense a annoncé que des navires de la Royal Navy se tenaient prêts à protéger les zones de pêche nationales où pourraient survenir des accrochages en cas d'absence d'accord. Le Royaume-Uni, qui a officiellement quitté l'UE le 31 janvier, abandonnera définitivement le marché unique et l'union douanière le 31 décembre.
Eviter toute concurrence déloyale
Outre l'accès aux eaux britanniques pour la pêche, les discussions butent sur la manière de régler les différends dans le futur accord et surtout sur les conditions exigées par les Européens pour éviter toute concurrence déloyale. L'UE est prête à offrir à Londres un accès sans droits de douane ni quotas à son immense marché. Mais elle entend dans ce cas disposer de leviers contre tout risque de dumping britannique en matière environnementale, sociale, fiscale ou sur les aides d'Etat.
Des mesures d'urgence en cas de "no deal"
Elle veut pouvoir prendre des contre-mesures rapides, comme des droits de douane, sans attendre que le différend soit tranché par une procédure d'arbitrage classique, afin de protéger ses entreprises. Londres s'y oppose fermement.
Pragmatique, la Commission a publié jeudi des mesures d'urgence pour maintenir, en cas de "no deal", le trafic aérien et le transport routier entre le Royaume-Uni et l'UE pendant six mois, ainsi que l'accès réciproque aux eaux de pêche pour un an.