Ce mercredi, la maire de Calais a adressé une lettre au ministre de l'Intérieur pour alerter sur la situation des migrants à Calais. Elle préconise des mesures de fermeté après plusieurs incidents dans le centre-ville et en pleine préparation du projet de loi sur l'immigration.
“J’écris au ministre de l’Intérieur tous les jours pour alerter sur la situation à Calais” assure Natacha Bouchart, maire de Calais. Mais cette fois, l’édile a décidé de partager sa communication aux journalistes. Une lettre de deux pages, adressée directement à Gérald Darmanin, dans laquelle elle entend interpeller le ministre face aux “événements gravissimes intervenus successivement au cours des trois derniers jours.”
Ainsi, Natacha Bouchart fait référence à plusieurs incidents survenus dans le centre-ville de Calais et notamment à une vidéo, largement relayée sur les réseaux sociaux, d’abord par les militants RN locaux. On y voit des dizaines de migrants, certains armés de bâtons, se battre en plein centre-ville et en pleine journée. Ce serait donc l'élèment déclencheur d'une lettre de la mairie censée attirer l’attention de l’Etat. “On considère aujourd’hui que puisque Calais ne fait plus la une des gros titres sur le sujet de la migration, que nous sommes passés de 10 000 à un millier de personnes présentes ici, le problème est résolu, alors que non. C’est ce que je veux dire au ministre” pointe Natacha Bouchart. La maire de Calais insiste ainsi sur une “recrudescence des violences” qu’elle explique par une pression accrue des passeurs. “Ils sont déterminés à récupérer de l’argent, ce sont des gens aguerris et ces agressions sont le résultat de leur impatience alors que la surveillance est renforcée sur la côte.”
Du côté des associations locales, les explications diffèrent. Ces incidents entre exilés existent bien, mais ils sont plutôt rares, loin du phénomène d'ampleur ainsi décrit. “Cette fois, il s’est trouvé qu’il y a eu un incident dans le centre ville, ce qui le rend plus visible. La grande précarité des gens fait que ces problèmes arrivent de temps à autre. Mais il ne faut pas en faire un constat général. Ce sont les conditions de vie indignes qui créent des situations indignes” décrypte Pierre Roques, de l’association l’auberge des migrants. Pour lui, la lettre revêt plutôt un caractère politique plutôt qu'un réel signal d'alarme. “La maire surfe sur la vague, sur un contexte où la loi sur l’immigration va bientôt être débattue au Parlement. Et en ce sens, elle se rapproche de plus en plus de la ligne du Rassemblement National et de propos anti-migrants”, conclut le militant associatif.
La maire demande le rétablissement du délit de séjour irrégulier
La lettre de Natacha Bouchart assume d’ailleurs cet objectif politique. Dans le contexte du projet de loi sur l’immigration, la maire de Calais, forte de ses 15 ans d’expérience de la crise migratoire, veut peser dans la balance des débats parlementaires. Elle demande ainsi au ministre : “j’aimerais vivement être auditionnée par les deux chambres pour faire valoir les propositions pragmatiques et de bon sens que je défends sur le sujet depuis de nombreuses années.”
Concrètement, elle milite pour l'ajout de trois nouvelles mesures au projet de loi actuel. Premièrement, le rétablissement du délit de séjour irrégulier, supprimé depuis 2012. Ensuite, une application stricte des mesures contre les violations de domicile. En clair, une lutte active contre les squats. Enfin, l’établissement de “hotspots” aux frontières de l’Union Européenne, sorte de zone tampon “pour accompagner ces personnes dans leurs démarches” écrit la maire dans sa lettre. Ainsi, grâce à ces propositions, elle assume vouloir peser dans le débat : “c’est une manière de réaffirmer mes positions. Je suis en première ligne depuis des années, il me semble normal d’être entendue” confirme Natacha Bouchart.
Des propositions jugées "dangereuses" par les associations. “C’est un retour en arrière de plus de dix ans sur le droits des personnes exilées". Natacha Bouchart appelle à durcir un projet de loi déjà extrêmement punitif. C’est délirant, parfaitement inadapté et inhumain pour les migrants sur le terrain. De notre côté, nous appelons les responsables à ne pas voter cette loi et ne pas aller vers le tout répressif” réclame Pierre Roques.
Derrière l'image, une stratégie politique
Là encore, les associations pointent du doigt une proximité idéologique supposée entre la mairie de Calais et les militants RN locaux. Car à l’origine de cette vidéo et des commentaires sur “des rixes entre migrants dans le centre de Calais”, il y a un compte Twitter, celui d'un élu du conseil municipal RN de Calais, Marc de Fleurian. Il a reçu la vidéo directement de "riverains, témoins de la scène" et assume de l'avoir relayée sur ses réseaux sociaux. “Je me sers de cette vidéo pour étayer le propos et le constat que nous faisons depuis des années” analyse Marc de Fleurian.
D'ailleurs, lui aussi a écrit une lettre au ministre de l'Intérieur, mais un jour avant la maire de Calais. “J’ai distribué une copie de cette lettre dans les boîtes aux lettres des calaisiens. Donc la mairie a été obligée de réagir. En l'occurrence, il y a un alignement de Natacha Bouchart sur les positions du RN. Le problème, c’est qu’elle change tout le temps d’avis, c’est trop ponctuel” pointe Marc de Fleurian et d’ajouter : “il n’y a aucune colonne vertébrale politique, c’est juste une réaction à l’actualité. Elle suit l’ambiance du moment.”
Mais pour l’élu d’opposition, il faut y voir un succès sur le terrain politique. “Si elle s’aligne sur nos idées, ça veut bien dire que l’action que mène le RN à Calais est efficace.” Car lui aussi demande au ministre de l’Intérieur de durcir son projet de loi sur l'immigration. “J’ai insisté sur la nécessité d'accélérer l’examen de cette loi et de faire un effort sur deux mesures : la possibilité de placement en rétention des personnes clandestines et le rétablissement du délit de séjour irrégulier” mentionne Marc de Fleurian. Cette dernière proposition est donc commune avec celle inscrite dans la lettre de Natacha Bouchart.
Pour conclure, Marc de Fleurian assume une stratégie politique derrière sa volonté de “révéler” les problèmes liés à la migration à Calais. “La majorité des habitants sont contre l’immigration illégale. Il y a un décalage entre la politique et le désir des calaisiens. Alors, notre but est que les habitants votent de nouveau Rassemblement National aux élections de 2027. On se sert de ces éléments, c’est le principe démocratique.” Ainsi, les commentaires suscités par le choc de ces images alimentent un peu plus la bataille idéologique en cours à Calais, autour de la question migratoire.