Crainte des autorités et de la police selon les associations, question de temps pour la préfecture : les débuts de la distribution des repas aux migrants de Calais assurée depuis mardi par l'État sont encore hésitants.
Vendredi matin, sur un terrain entouré de grillages surmontés de barbelés et non loin des policiers, le personnel de l'association La Vie active, mandatée par l'État, en chasuble orange, fait le pied de grue.
Rares sont les migrants qui se présentent pour un petit-déjeuner. "Normal", pour Khelifi, 17 ans, à Calais depuis quelques mois : à moins d'un kilomètre de là, dans la zone industrielle, la police démantèle un petit camp d'une vingtaine de tentes. "Les autorités distribuent de la nourriture et en même temps détruisent nos abris", souffle le jeune migrant qui s'apprête déjà à réinstaller sa tente, tapis de sol sous le bras.
"Les grillages, la police : c'est la prison, nous ne sommes pas des criminels. Quand les associations nous donnaient à manger, il n'y avait pas de policiers", peste à ses côtés Mohammed, un jeune Éthiopien, qui pointe aussi la présence de caméras. Pour la préfecture, ces grillages, rue des Huttes, ont été installés "à l'initiative" du propriétaire de ce terrain privé pour "sécuriser et éviter toutes intrusions sur le site".
"Pourchassés la nuit, aidés la journée"
Depuis la prise en charge des repas par l'État à Calais, où vivent entre 350 et 600 migrants selon les sources, l'Auberge des migrants et RCK (Refugee community kitchen) ont cessé leurs distributions de nourriture. Salam continuerait de son côté à distribuer des petits-déjeuners. Alors, "on se débrouille entre nous, on s'échange la nourriture qu'on achète avec notre peu d'argent", explique Abebe, 32 ans, qui assure que des associations leur ont distribué des ustensiles de cuisine.
Jackson, Sud-Africain de 15 ans, lui, ne mange depuis trois jours que les "bouts de pain" encore distribués par les "associatifs". "Je ne veux pas approcher les policiers, pourquoi ont-ils besoin de nous surveiller même quand on mange ?" Pour Gaël Manzi, d'Utopia 56, les migrants ont peur "de tout ce qui est étatique" : "Ils sont pourchassés la nuit et aidés la journée par les mêmes acteurs, c'est compliqué d'établir un climat de confiance".
"Est-ce digne de ne pas permettre à ces personnes de manger sereinement sans être encadrées par des forces de l'ordre ?", écrivaient mercredi dans un communiqué neuf associations actives à Calais dont L'Auberge des Migrants et Salam. Toutes se "félicitent" toutefois de la mise en place de ce dispositif par l'État. "On espère que cela va marcher, pour une fois que l'État prend ses responsabilités. Mais si les repas continuent à être boycottés on ne va pas priver les gens de nourriture et on s'organisera pour répondre aux besoins", affirme Gaël Manzi.
Retrait des barbelés
Deux repas sont distribués quotidiennement par La Vie active : un petit-déjeuner le matin et un repas chaud l'après-midi servis à l'aide de deux camions amenés à se déplacer. A 15H, les migrants sont un peu plus nombreux. "C'est délicieux !", lance un Afghan. A ses côtés, une poignée d'entre eux mangent par terre. "Il y a une phase nécessaire d'accoutumance après plusieurs années de distributions associatives", souligne la préfecture, regrettant que des associatifs continuent des "distributions anarchiques".
Le directeur de La Vie active, Stéphane Duval, assure, lui, ne pas être surpris par le peu de candidats : "à chaque fois que quelque chose de nouveau se met en place, qui plus est émanant de l'État, il y a toujours une période de méfiance et d'adaptation, il faut du temps". Avant d'admettre : "On avance à tâtons, on voit comment on peut améliorer le dispositif, le rendre le plus efficient possible".
D'ores et déjà, à l'issue d'une réunion en sous-préfecture de Calais vendredi entre préfecture, La Vie active, et les associations, il a été décidé le retrait des barbelés et une présence policière plus discrète.