Inondations. Pluie, nappes phréatiques, cours d'eau, un hiver à haut risque dans le Pas-de-Calais?

Bien qu'il soit impossible de prévoir les précipitations de l'hiver dans le Pas-de-Calais, les sols sont très humides et les nappes phréatiques remplies. De l'aveu d'experts, les conditions ne sont pas favorables si de nouvelles pluies monstres devaient tomber dans les semaines à venir.

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Ce n’est un secret pour personne : depuis plusieurs mois, la pluie n'a cessé de tomber dans les Hauts-de-France comme dans la quasi-entièreté du pays. Un automne humide qui, dans le Pas-de-Calais, ravive de très mauvais souvenirs à l’approche de l’hiver. En novembre 2023, le département subit plusieurs épisodes de précipitations dont le cumul est sans précédent. Conséquence : ces pluies provoquent des crues dans les bassins de l’Aa, de la Liane et de la Canche, parfois plus que centennales.  

Alors que cela fait un an, les habitants du Pas-de-Calais craignent de revivre de nouveau le cauchemar des inondations dans les prochaines semaines. Nous avons interrogé plusieurs experts pour dresser un état des lieux de la situation hydrologique actuelle dans le département.   

Quels sont les éléments objectifs et scientifiques permettant d’évaluer le risque de nouvelles inondations cet hiver ? La situation hydraulique actuelle est-elle similaire à celle d’octobre 2023 dans le Pas-de-Calais, quelques jours avant les inondations historiques ? Éléments de réponse.  

Les précipitations de l'hiver impossibles à prévoir  

Les inondations historiques de novembre 2023 et janvier 2024 ont pour facteur déclenchant l’ampleur des précipitations. Dans un rapport interministériel paru en juillet 2024, les inspecteurs rappellent que les pluies diluviennes qui se sont abattues sur le département - plus de 700 millimètres de cumuls de pluie sur les deux derniers mois de l’année 2023 - ont causé “des crues dépassant très largement les niveaux centennaux”.  

Dans le Pas-de-Calais, les fortes précipitations ont donc été la raison première des inondations. Or, prédire une inondation est impossible sans avoir des prévisions fiables, à la fois dans leur temporalité, leur spatialisation et leur quantité. Des données qu’aucun service météorologique ne peut fournir pour l’hiver prochain.  

Néanmoins, les cumuls de précipitations de l’année qui vient de s’écouler sont “largement excédentaires” dans le Pas-de-Calais, indique Météo France, notamment au mois de septembre. En 30 jours dans le département, il a plu en moyenne 2,5 fois plus par rapport au mois de septembre 2023, faisant de septembre 2024 le 10ème mois le plus arrosé depuis 1959. Septembre 2024 est également le mois durant lequel le Calaisis a enregistré 19 jours de pluie, contre 8 à 12 en moyenne. Les cumuls de pluie ont atteint plus de 200 millimètres sur les hauteurs du Boulonnais, 150 millimètres sur le littoral.  

Des cumuls de pluie qui peuvent faire craindre le pire pour les semaines à venir ? Impossible de l’affirmer. “On ne peut pas prévoir qu’on aura des épisodes de 15 jours avec des précipitations extraordinaires comme l’année dernière”, résume Bruno Jacquemin, directeur adjoint de Météo France dans la zone Nord.   

Humidité des sols, niveau des nappes... des données qui ne rassurent pas  

Il n’existe donc aucune tendance fiable concernant les prévisions saisonnières de précipitations pour cet hiver dans le Pas-de-Calais. Dans son bulletin des grandes tendances pour les trois mois à venir, Méteo France indique qu’”aucun scénario de précipitations n’est privilégié pour la France”. Cependant, d’autres éléments influent sur le risque potentiel d’inondations parmi lesquels l’humidité des sols, le niveau des nappes phréatiques ou l’hydraulicité (soit le débit des cours d’eau).  

Des données que nous avons étudiées à l’échelle du département, et qui ne sont pas rassurantes. L’humidité des sols, le niveau des nappes et l’hydraulicité des cours d’eau du Pas-de-Calais sont plus élevés que les moyennes de saison, et beaucoup plus élevés que les valeurs enregistrées le 1er octobre 2023, soit un mois avant les inondations historiques. Les conditions sont donc jugées défavorables à plusieurs égards par Météo France. “On part avec un handicap, admet Bruno Jacquemin. Si le même phénomène se produisait cet hiver dans le Pas-de-Calais, les conséquences seraient plus sévères encore”. Avant de nuancer, rappelant qu’”il est impossible de prévoir sachant que le phénomène (de novembre 2023, ndlr) a une fréquence d’apparition de l’ordre centennale”.  

  • Des sols plus humides qu’en septembre 2023  

En France, les sols sont beaucoup plus humides ce 1er octobre que la moyenne observée sur plus de cinquante ans à la même date. Un constat similaire dans le Pas-de-Calais. Météo France calcule l’humidité des sols dans les deux premiers mètres, qui jouent en quelque sorte le rôle d’éponge lorsque l’eau tombe et s’infiltre.

Alors qu’ils étaient humides à 60% il y a un an, le taux atteint les 80% en date du 20 octobre 2024. “L’éponge est déjà préremplie, elle va donc moins faire tampon”, vulgarise Bruno Jacquemin. Comprendre qu’actuellement, lorsqu’il pleut, la vitesse à laquelle l’eau s’enfonce dans le sol est limitée car la capacité de rétention de l’éponge ne fonctionne plus qu’à 20%. “L’eau qu’on ne peut pas stocker en rétention et qu’on ne peut pas évacuer vers les nappes s'évacue latéralement vers les rivières ou stagne et peut inonder”, explique Bruno Jacquemain. Une situation qui peut être différente dans un même bassin, comme c’est le cas autour de l’Aa : en amont, l’eau en excès peut dévaler les pentes du Boulonnais tandis que dans la plaine, il n’y a plus de pente et l’eau stagne.  

  • Le niveau des nappes phréatiques très élevé  

Le niveau des nappes est très élevé par rapport aux moyennes annuelles observées ces quinze dernières années, et plus élevé qu’à la même période en 2023. Caractérisé par l’IPZ - l’indicateur Piézométrique Standardisé - le niveau des nappes phréatiques s’étale sur une échelle de 7 classes, d’extrêmement bas à extrêmement haut. Ainsi, au 1er octobre 2024, les nappes du Pas-de-Calais se situent au niveau 6 sur une échelle de 7.   

En cause, les précipitations exceptionnelles sur une partie du département pendant l’hiver, période durant laquelle les nappes se rechargent le plus vite. Malgré la vidange naturelle durant les mois d’été due à l’évaporation, les niveaux restent au-dessus des normales.  À hauteur de Wirwignes par exemple, le BRGM indique qu’au mois de septembre, “son niveau est en hausse montrant que la recharge hivernale a déjà commencé”. Un niveau “modérément haut”, soit un niveau qui revient environ tous les 3 à 5 ans en moyenne au mois de septembre, précise le BRGM. 

Dans son dernier bulletin mensuel relatant la situation à l’échelle nationale publié mi-octobre 2024, le BRGM – Bureau de Recherches Géologiques et Minières - a réalisé un état des lieux sur l’état des nappes et le risque d’inondation. Un risque qui existe, compte tenu des niveaux hauts enregistrés et de la nappe phréatique du Boulonnais. Elle fait partie des nappes dites réactives, considérées comme les plus à risque face aux inondations. "Les nappes pourraient ne plus assurer leur rôle de tampon et donc ne plus limiter l’impact de fortes précipitations et de crues des cours d’eau”, indique le BRGM. Ces nappes, très remplies, pourraient ainsi être un facteur aggravant dans plusieurs scénarios : ruissellement, débordements ou phénomène des remontées de nappes alimentant les cours d’eau.  

  • Les débits des cours d’eau plus importants qu’il y a un an

L’hydraulicité, enfin, est la troisième donnée à prendre en compte. Elle correspond au rapport du débit mensuel d’un cours d’eau comparé à sa moyenne sur plusieurs années. Une donnée qui permet de connaître l’écoulement de l’eau, cours d’eau par cours d’eau.  

En septembre 2024 dans le Pas-de-Calais, les débits des cours d’eau sont plus importants que ceux mesurés l’an dernier à la même période, et même nettement supérieurs à la moyenne annuelle observée. Ainsi, dans les bassins de l’Aa et de la Canche, le débit des cours d’eau enregistré en septembre 2024 est supérieur à la moyenne des débits des cours d’eau enregistrés ces 5 dernières années.

Des travaux engagés

Face à une situation inconnue, un élément doit toutefois être pris en compte : contrairement à l’année dernière, de nombreux travaux ont été engagés dans les bassins sinistrés par les inondations. Ainsi, depuis le printemps, les services de l’Etat ont mené plus de 630 opérations de travaux dits d’urgence. Entretien des cours d’eau, enlèvement des embâcles, consolidation des digues et des berges ou curage ciblé de certaines rivières... des chantiers pour réparer les dégâts considérables causés et permettre un meilleur écoulement de l’eau. Coût des opérations : près de 98 millions d’euros. 

Depuis l’été, une seconde phase de travaux dits structurants est engagée aux quatre coins du département pour réduire autant que possible les conséquences de futures inondations. 174 opérations sont programmées, avec pour objectif d’être toutes terminées avant la fin de l’année 2024, pour un montant de 42 millions d’euros.

Parmi ces chantiers, la création de bassin de rétention ou l’installation de pompes à des points stratégiques. Des travaux nécessaires, indique le préfet du Pas-de-Calais. Seront-ils suffisants si des inondations similaires à l’hiver 2023 venaient à se reproduire ? “Certainement pas”, admet-il toutefois. 

Il suffit de très peu de choses pour que cet équilibre précaire bascule.

Arnaud Gauthier, hydrogéologue et professeur au sein de l’Université de Lille

“Le scénario, personne ne le connaît, résume Arnaud Gauthier, hydrogéologue et professeur au sein de l’Université de Lille. Mais les éléments récepteurs font craindre qu’en cas de pluie, pas forcément très intenses, on puisse revivre de nouveaux événements cet hiver”. Il se base notamment sur une étude qu’il mène depuis plusieurs mois à Recques-sur-Hem. “J'étais encore sur le terrain il y a un mois, et on voit les cours d’eau qui commencent par endroits à réagir très rapidement en cas de petites pluies et à déborder légèrement”. Avant de conclure. “Il suffit de très peu de choses pour que cet équilibre précaire bascule”. 

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