L'histoire du dimanche - Edouard Lévêque, l'Amiénois qui inventa la Côte d'Opale

L'industriel amiénois de la Belle Époque, Edouard Lévêque, peintre et poète à ses heures, s'est pris de passion pour Le Touquet-Paris-Plage et son rivage. En 1911, il proposa de baptiser ce littoral "Côte d'Opale" en hommage à l'aspect changeant de ses couleurs.

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On peut imaginer, sans offenser sa mémoire, que le petit article publié par Edouard Lévêque en février 1911 dans le journal Paris-Plage n'a pas eu une résonance majeure auprès de ses contemporains.

Les huit paragraphes de ce texte sobrement intitulé "La Côte d'Opale" exposent pourtant pour la toute première fois les arguments en faveur de ce nom qui fait aujourd'hui la fierté des Hauts-de-France.

Une pierre précieuse aux tons laiteux

Edouard Lévêque, industriel amiénois et l'un des premiers Touquettois, cherche un nom pour désigner la côte des bords de la Canche dans la direction de l'Authie. Avec poésie, il en décrit alors les couleurs changeantes, tantôt "la gamme rose qui nacre les vastes flaques légèrement verdâtres", tantôt "les verts Veronèse, engendrés par le mélange de l'azur avec l'ocre jaune du sable et l'écume blanche du flot".

Il propose finalement l'opale, "cette pierre précieuse, aux tons laiteux (...) qui jette tour à tour des éclats de vert et de rouge, en passant par toute la série des couleurs intermédiaires".

Les seize perles de la Côte d'Opale

Sept mois plus tard, le mondain repart à la charge dans un nouvel article. Son projet est plus précis. Sa côte d'Opale, qui s'étend du Crotoy au sud à Equihen au nord, est décrite comme un collier de seize "perles". Que les communes picardes en fassent partie constitue déjà une surprise pour le curieux du XXIe siècle, mais l'étonnement est à son comble à la lecture des noms "Garden-Plage", "Golf-Plage" et "Mayville".

À l'époque, les rivages de la Manche bénéficient du développement du chemin de fer qui permet aux riches Parisiens de s'adonner aux bains de mer et de respirer un air pur recommandé par leurs médecins. Comme Paris-Plage, des stations balnéaires sont imaginées de toute pièce, souvent par des promoteurs anglais, sous forme de cités idéales : "La première station balnéaire créée par ce biais du train, c'est Boulogne-sur-Mer, la deuxième, c'est Mers-les-Bains", rappelle José Alonso, membre de la Société académique du Touquet-Paris-Plage. Tous ces projets ne seront pas concrétisés à l'image de Garden-Plage et Mayville.

C'est dans ce contexte qu'Edouard Lévêque découvre Le Touquet, un petit coin de paradis à l'ouest d'Etaples sur la commune de Cucq. Il ne vient pourtant pas de très loin. Né en 1857 à Amiens dans une famille de merciers, il épouse à 25 ans la fille de Dominique Prévost-Blondel, un important fabricant de chaussons. Il en devient l'associé la même année.

En 1885, il convainc son beau-père de faire construire au hameau du Touquet un charmant chalet en bois, le Concordia.

Quand le chausson ne le retient pas dans la Somme ou à Paris, Lévêque s'adonne à ses multiples passions comme la photographie, la botanique, l'héraldique et la minéralogie (tiens donc !) La peinture l'apaise particulièrement. Sept de ses œuvres conservées au musée du Touquet-Paris-Plage - Édouard Champion témoignent de son goût pour la mer et la vie bourgeoise naissante.

Ce n'est qu'en répétant à satiété, dans tous nos écrits, dans toutes les réclames, ces deux mots 'Côte d'Opale', que nous arriverons à les implanter dans les esprits.

Edouard Lévêque, inventeur de l'appellation Côte d'Opale

la Société académique de Paris-Plage, qu'il présidera trois fois : "Il a joué un rôle décisif dans la ville pour l'environnement qu'il appelait l'enverdurement. C'est lui qui a préconisé qu'on arase les dunes qui étaient sur le front de mer et qu'on fasse deux belles avenues séparées par des pelouses", signale Alain Holuigue, secrétaire de la Société académique du Touquet-Paris-Plage et auteur d'un article consacré à Edouard Lévêque dans la revue nord. Ses tableaux, ses photos, ses dix ouvrages et ses nombreux articles de presse sur Paris-Plage en font le premier historien de la commune : "Lévêque reste la Bible de cette époque", selon M. Holuigue.

Le premier conflit mondial repousse la promotion de la Côte d'Opale, mais l'Amiénois est du genre obstiné : "Ce n'est qu'en répétant à satiété, dans tous nos écrits, dans toutes les réclames, ces deux mots 'Côte d'Opale', que nous arriverons à les implanter dans les esprits", affirme-t-il en 1927 dans Les Echos Mondains, conforté, selon lui, par l'"enthousiasme" de quelques journalistes parisiens et régionaux. Parmi eux, André de Fouquières, conférencier, homme de lettres, auteur de l'essai De l'art, de l'élégance, de la charité qui a repris, deux ans plus tôt, le slogan "perle de la Côte d'Opale" dans un article consacré à Paris-Plage.

De l'appellation poétique à la marque touristique

Rentrée au fil des décennies dans le langage courant des habitants du Pas-de-Calais, l'appellation "Côte d'Opale" change de statut à l'orée du XXIe siècle : "Il y a 20 ans, quand j'ai démarré mon site, personne n'en parlait. La marque s'est développée grâce à internet", affirme Jean-Luc Boin, créateur du site cote-dopale.com.

Les offices de tourisme de Calais, Boulogne-sur-Mer ou Berck-sur-Mer n'hésitent pas à accoler le nom de la pierre précieuse à celui de la ville. La Côte d'Opale est une marque tellement forte qu'elle qualifie désormais une mer et les marais audomarois.

En 1911, elle s'étendait du Crotoy à Equihen. En 2023, chacun semble avoir sa définition : "C'est élastique. Pour moi, elle va de l'embouchure de la Somme à l'Aa. Mais maintenant, c'est bien plus large", confie Alain Holuigue. Jean-Luc Boin exclut la côte picarde : "Elle commence à l'Authie et touristiquement parlant, cela va jusqu'en Belgique".

Edouard Lévêque n'aura jamais participé au débat. Décédé à son domicile parisien le 26 décembre 1936 à l'âge de 79 ans, il est inhumé au cimetière de la Madeleine à Amiens, comme Jules Verne, un autre amateur des rivages de la Manche.

Quelques mois avant sa mort, la municipalité lui avait rendu hommage en donnant son nom à un square. Le carré "enverduré", comme le poète l'aurait certainement qualifié, n'est pas référencé sur Google map. Il se trouve pourtant bien au coin des rues de Metz et de Bruxelles, à moins de 500 mètres de sa chère Côte d'Opale "aux tons laiteux qui viennent expirer jusque sur la grève en une mousse légère que le vent emporte".

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