Un couple de Libercourt en appelle à Emmanuel Macron pour faire rapatrier en France ses trois petits-enfants, qui se trouvent dans un camp en Syrie, dans des "conditions déplorables". Leur mère, une ancienne étudiante lilloise, est morte sur zone en fin d'année 2018. Le père est en prison. (VIDEOS)
Depuis leur ville de Libercourt (Pas-de-Calais), Lydie et Patrice Maninchedda remuent ciel et terre pour faire rapatrier en France, au plus vite, leurs trois petits-fils qui se trouvent depuis des semaines dans un camp du nord-est de la Syrie, sans parents.
Ils sont âgés de 1, 3 et 5 ans. "Le plus jeune d'un an a des traces d'éclats d'obus sur le visage, le second ne marche pas parce qu'il a eu une fracture de la jambe étant bébé, et qui a dû être mal soignée... Et il y a des problèmes de diarrhée", explique la grand-mère, professeure de logistique.
Les Maninchedda en appellent au président de la République Emmanuel Macron et au ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, qui n'ont toujours pas répondu à leurs courriers.
"Imaginez la souffrance de ces enfants qui sont abandonnés, qui n'ont plus leur maman, poursuit Mme Maninchedda. Ils sont Français, leur mère est Française, pourquoi on ne les ramène pas rapidement avant qu'il ne soit trop tard ? Les conditions sanitaires sont déplorables, on ne peut pas laisser vivre des enfants sous une tente, sans nourriture, sans soins, sans médicaments. Il y a des épidémies, des enfants qui y sont morts, dans ces camps".
La maman décédée, le père aux mains des Kurdes
La mère de ces trois orphelins en bas âge était Julie Maninchedda, qui selon les témoignages de "personnes de confiance" se trouvant sur place, est morte en fin d'année 2018 dans l'est de la Syrie, à l'âge de 26 ans.
Lydie Maninchedda a appris il y a trois semaines que sa fille avait "été retrouvée morte à côté de son nouveau-né décédé et enroulé dans un tapis, et de son nouveau mari, mort également". "Les circonstances sont à déterminer parce que d'après la personne qui les a découverts, les corps n'étaient pas abîmés". Aucune autorité officielle n'est en mesure, à ce jour, de certifier à sa famille le décès de la jeune Nordiste.
Le père des enfants et premier mari de Julie, lui, est un Allemand qui était membre de la police de Daech, et qui s'est rendu aux forces kurdes après la chute de Baghouz fin janvier. Il est emprisonné.
Ses deux autres femmes, qui se trouvent désormais elles aussi à Al-Hol avec l'aîné de la fratrie, avaient confié les deux plus jeunes à une Syrienne qui les a maltraités avant leur arrivée au camp. "Faibles, petits et malades, ils étaient un handicap pour leur fuite", rapporte leur grand-mère.
Ils sont désormais "maternés" par une Sud-Africaine et une Allemande. "Ces femmes sont très bienveillantes avec eux, se rassure Lydie Maninchedda, mais ce sont des enfants qui ont souffert, et qui souffrent encore". Et personne ne sait de quoi l'avenir de ces trois bambins est fait, à court ni moyen-terme.
Une étudiante brillante
Julie Maninchedda, ancienne étudiante en prépa littéraire au réputé lycée Faidherbe à Lille, rencontre le père de ses trois enfants en 2013 en Allemagne à Leibzig, où elle est partie poursuivre une licence. Son compagnon, Martin Lemke, est un jeune Allemand converti à l'Islam.
Julie, elle, avait embrassé la religion musulmane dans le Nord, à la mosquée de Villeneuve d'Ascq. Au bout de quelques mois de relation avec Lemke, l'ancienne passionnée de violon et de tennis "s'est mariée cultuellement, est rapidement tombée enceinte, et était habillée d'un nikab avec des gants pour sortir" se souvient sa mère. Lydie et Patrice Maninchedda étaient "sidérés" par le changement radical de leur fille unique.
Leur première visite à Leibzig est tendue, à cause de l'omniprésence et de l'attitude de Martin Lemke, "très susceptible, très impulsif". "Julie était à côté, effacée. Elle était dans sa bulle, sous emprise, manipulée. Elle n'avait plus de sens critique. Il était tout le temps à côté et Julie n'avait plus le droit de sortir, d'étudier".
Le premier enfant de Julie Maninchedda et de Martin Lemke est né en janvier 2014, dix mois avant leur départ en Syrie. "On l'a vu deux fois, ils s'étaient rapprochés d'Hanovre (Allemagne). On les a vus la dernière fois en août 2014", explique Lydie Maninchedda, qui n'imaginait pas encore que sa fille puisse rejoindre la zone contrôlée par Daech : "A cette époque, on ne parlait pas encore de départs de femmes... C'était surtout les hommes. Ils ont dit vouloir rejoindre un pays musulman, parlant d'Egypte, de Dubaï, mais en fait ils préparaient déjà leur départ en Syrie. J'ai déjà eu un pressentiment à ce moment-là, j'ai pris peur et on a fait un signalement aux autorités".
Battue, "revolver sur la tempe"
En novembre 2014, la petite famille quitte l'Allemagne pour rejoindre l'Etat Islamique en Syrie. Dans le même temps, Lydie et Patrice Maninchedda donnent aux services de renseignements toutes les informations dont ils disposent sur leur fille et son mari. "Rapidement, on a appris qu'il était dans une mouvance salafiste radicale. Quand il a rencontré ma fille, il était en fait déjà surveillé depuis 2 ans par les services allemands".
Depuis Libercourt, les Maninchedda parviennent à entretenir un contact avec Julie "en parlant des choses du quotidien, de la famille. Mais pas des choses taboues", à savoir toutes les horreurs qui étaient perpétrées par les jihadistes en zone irako-syrienne.
Là-bas, la jeune Française élève son garçon, puis donne naissance à un deuxième en février 2016, au moment de la chute de Raqqa, avant de tomber enceinte du troisième, dont elle a accouché en février 2018. "A la troisième naissance, elle a quitté Lemke parce qu'il la battait, et c'était déjà le cas en Allemagne. Il lui a déjà mis un revolver sur la tempe", rapporte sa mère.
Selon cette dernière, le quotidien de Julie en Syrie se limitait aux tâches domestiques et à l'éducation des enfants. "Elle en a eu 4 en 5 ans, elle était cantonnée à rester à la maison et à s’occuper d’eux, elle allait voir des -sœurs-, ou allait à la mosquée", appuie-t-elle.
La jeune Française a tenté de se sauver
Alors qu'elle était enceinte de son troisième enfant, Julie Maninchedda a tenté de fuir son mari, qui l'a rattrapée. "Il l'a mise dans une maison pour femmes, où elle a accouché, seule. Puis quand ils ont divorcé officiellement, il lui a pris les deux aînés, qu'il lui amenait régulièrement, comme une sorte de garde alternée. Puis quand elle s'est remariée, il ne les a plus amenés", explique la grand-mère des petits.
Par la suite, la Nordiste s'unit de nouveau avec un Marocain, Nabil, "quelqu'un de gentil", selon Lydie Maninchedda. Cette dernière explique que sa fille n'avait d'autre choix que de se remarier à un homme, "le seul moyen de se protéger là-bas".
Nabil, dont Julie tombera enceinte rapidement, sera le dernier à donner de leurs nouvelles par message, le 24 octobre 2018. "Il voulait la faire partir de là avec leur petit", rapporte Mme Maninchedda. Ils seraient morts tous les trois très peu de temps après, ensemble, juste après la naissance du bébé, le quatrième de la Française.
Dans le même temps ou presque, ses trois autres enfants arrivaient au camp de réfugiés de Al-Hol.
Faire rentrer les enfants, et "réhabiliter sa mémoire"
"Nous avons un chagrin immense d’avoir perdu notre fille unique. Si nous ne récupérons pas nos petits-enfants, notre vie future va être très compliquée".
C'est désormais ce combat que mènent Patrice et Lydie Maninchedda, qui multiplient les apparitions médiatiques, pour essayer de se faire entendre. "Il est impératif qu'ils soient rapatriés pour être soignés et reprendre une vie normale, scande Lydie. L'appel que je fais au Président et que je réitère, c'est qu'il fasse preuve d'humanité ! C'est tout ce qu'il me reste de ma fille, qui est morte, et qui regrettait d'être partie là-bas".
"Ma fille a été embrigadée, manipulée, piégée comme beaucoup d'autres, et elle n'a pas mérité ça. J'ai besoin de réhabiliter sa mémoire et de parler aux enfants de leur mère, telle qu'elle était".
Un espoir est né au sein de la famille nordiste lorsqu'il y a quelques semaines, est apparu le débat sur le retour éventuel en France de 130 personnes, jihadistes, épouses et enfants. "J’ai l’impression qu’on fait un peu marche arrière", déplore Lydie Maninchedda, qui comprend aisément que la question est très sensible au sujet des adultes concernés.
Aucune question, selon elle, n'est à se poser pour des orphelins en bas âge. "Ils n’ont rien demandé, ils sont innocents ! Je veux qu'ils soient rapatriés pour qu'ils puissent être pris en charge d'abord par les services sociaux parce que c'est la procédure, et qu'ils soient évalués. Ensuite, ils rentrent chez nous, chez leur mère, qu'on puisse les aimer, qu'on les éduque comme des citoyens français et qu'on leur permettre de trouver leur place en France, et d'assurer leur avenir".
"Nous avons une grande maison, nous en avons les moyens. C'est une question de survie".
Syrie : que fait la France de ses enfants bloqués sur zone ?
Plusieurs familles d'enfants de jihadistes français actuellement dans des camps au Kurdistan syrien ont déposé une plainte contre la France auprès du Comité des droits de l'enfant de l'ONU, ont annoncé jeudi leurs avocats dans un communiqué. Dénonçant l'"inaction" de l'Etat, ces grands-parents, oncles et tantes espèrent pousser la France à "prendre ses responsabilités et protéger ses enfants d'un risque de famine et de mort imminente auxquels ils sont confrontés", expliquent les avocats Marie Dosé, William Bourdon et Martin Pradel. Ce dernier est le conseil des Maninchedda.Me Marie Dosé a accusé mardi Paris de laisser "crever des enfants en zone de guerre", au mépris de toutes les règles de protection de l'enfance. "Ces gosses de moins de cinq ans sont en train de crever en zone de guerre. Que fait la France pour ces enfants, qui sont ses enfants, depuis 18 mois ? C'est un désastre humanitaire", a-t-elle déclaré à l'AFP.
Si les trois avocats soulignent que le Comité des enfants de l'ONU "n'est pas une juridiction au sens du droit international public et ne dispose d'aucun pouvoir de sanction", ils relèvent qu'il peut exiger d'un Etat de prendre des mesures provisoires.
D'autant plus, ajoutent-ils, que la France est signataire de la Convention internationale des droits de l'enfant.
En France, les recours possibles pour les familles sont limités : ainsi, les saisines de juridictions administratives sont "nécessairement inefficaces et sans objet", en l'absence de représentation de l'Etat ou d'autorités consulaires en Syrie depuis 2012.
Quelque 2.500 enfants de 30 nationalités, capturés avec leurs familles au fil de la déroute de l'organisation jihadistes Etat islamique (EI), ont été placés dans trois camps du nord-est de la Syrie, selon l'ONG Save the Children.
Les grands-parents de ces enfants français ont plusieurs fois exhorté le président Emmanuel Macron à avoir "l'humanité" de les rapatrier d'urgence.
Longtemps réticente sur ce sujet sensible, la France s'est dite à l'automne ouverte au rapatriement des enfants, qui sont au moins une centaine dans les camps en Syrie, à commencer par les orphelins. Mais sans donner de calendrier.
La question s'est récemment posée avec d'autant plus d'acuité que les Etats-Unis ont annoncé leur intention de drastiquement réduire leur présence en Syrie et ont appelé leurs alliés à rapatrier leurs ressortissants détenus sur place.
La question des étrangers de l'EI est un casse-tête tant pour les autorités semi-autonomes kurdes, qui réclament leur rapatriement, que pour les Occidentaux, qui rechignent globalement à les reprendre.
Lundi, le président irakien Barham Saleh, en visite à Paris, a annoncé que son pays s'était vu remettre 13 Français soupçonnés d'être des combattants jihadistes par les forces arabo-kurdes de Syrie et qu'ils seraient jugés selon la loi irakienne.
Mardi, Emmanuel Macron a affirmé qu'il n'existait pas actuellement de programme de retour des jihadistes français détenus en Syrie ou en Irak, qui seront "d'abord judiciarisés" dans ces pays. Il n'a pas évoqué le sort des enfants.