Le club de cricket de Saint-Omer a été créé en 2016. Un an plus tard, il a remporté le championnat des Hauts-de-France. La particularité du club : il est composé de réfugiés afghans et pakistanais.
L'image paraît surréaliste. Sur le terrain de rugby, la cathédrale en arrière-plan, de jeunes réfugiés afghans et pakistanais jouent au cricket. A Saint-Omer, au coeur d'une région divisée sur la question des migrations, un club, parti de rien et aujourd'hui champion des Hauts-de-France, lutte pour s'intégrer au paysage.
Des montagnes du nord de l'Afghanistan aux falaises bordant la Manche, Ataullah Otman Khil a mis cinq mois, "à pied, en train, en camion, en voiture, tout." Comme pour beaucoup d'autres migrants, son terminus rêvé était l'Angleterre, à des milliers de kilomètres de la guerre qu'il fuyait ; mais le jeune homme de 21 ans est tombé dans une impasse nommée Calais.
"Dans la 'Jungle', pendant six mois, j'essayais tous les jours (de franchir la frontière). Mais je n'ai pas eu de chance", témoigne-t-il.
Ils sont des milliers, comme lui, à avoir quitté famille et patrie sous la menace des violences, en quête d'un avenir meilleur, mais incertain. Dans ce brouillard d'incertitudes et de dangers, une poignée d'entre eux a trouvé une planche de salut inattendue dans le... cricket.
"Je ne savais pas qu'on jouait au cricket en France !", sourit Ataullah Otman Khil, qui avait l'habitude de le pratiquer avec ses amis en Afghanistan, où ce sport est populaire.
"Pouvoir durer dans le temps"
Champions des Hauts-de-France en septembre, les Audomarois devaient intégrer la troisième division nationale la saison prochaine ; mais ils ont refusé l'accession, afin de "faire progresser le club", justifie Nicolas Rochas, notamment au niveau de la construction d'un "ovale" de cricket, large comme quasiment deux fois un terrain de football, et attendu pour le printemps 2018."Le défi de chaque association sportive, c'est de pouvoir durer dans le temps. On a des joueurs qui sont jeunes, c'est un atout. L'inconvénient, c'est qu'on est dans un sport peu connu", résume le vice-président, qui a appris sur le tas les règles du cricket, au contact des joueurs.
Que de chemin parcouru ! Dans une région divisée sur la question des migrations, où le Front national, hostile à l'immigration, enregistre des résultats au-dessus de sa moyenne nationale, le pari du Soccs n'était pas gagné d'avance.
"Attaques"
"Avec le climat morose, la montée des populismes, c'est assez pesant. J'ai parfois des attaques personnelles ou envers le club, ce n'est pas toujours évident à encaisser, mais c'est ce qui me donne d'autant plus envie de réussir le défi. L'intégration est possible, ce n'est pas une question de moyens, mais de volonté avant tout", explique Nicolas Rochas, l'un des "cinq à six" bénévoles."Parce qu'on est un club avec des jeunes réfugiés, on a d'autant plus un devoir d'exemplarité sur et en dehors du terrain", poursuit-il.
Tous les licenciés du Soccs, qui portent fièrement leur maillot bleu à l'entraînement, sont scolarisés ou travaillent, et ont tous un toit sur leur tête.
Ataullah Otman Khil, qui vit avec sa famille d'adoption à Calais, est en première année de CAP électricité. Son coéquipier Oriakhil Chaïd, 16 ans et afghan comme lui, est lui au collège, en 3e.
"Ce club, c'est comme ma famille. C'est pour n'importe qui, Français, Afghan... C'est pour tout le monde. Je suis trop content d'être ici", déclare-t-il. "'Inch'allah' on va jouer bien." Et peut-être qu'on ne s'étonnera plus de voir voler les balles de cricket dans le ciel de Saint-Omer.
Notre reportage de septembre 2016