"Sur le bateau, ils crient, l'eau rentre partout, ils sont terrifiés" : 99 migrants secourus au large du Pas-de-Calais

Samedi 27 avril 2024, 99 personnes ont été récupérées au large de la Côte d'Opale alors qu'elles tentaient la traversée vers l'Angleterre. Leurs embarcations ont été signalées en danger, plusieurs interventions ont permis de les prendre en charge et de les rapatrier à Boulogne-sur-Mer.

Traverser les 34 kilomètres de Manche (distance minimale) en pleine nuit, sur des embarcations de fortune. Pour les 99 migrants secourus hier par le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) Gris-Nez, le risque de périr pendant la traversée semblait valoir moins que leur vie.

La loi adoptée en début de semaine par le Royaume-Uni, visant à évacuer les personnes en situation irrégulières vers le Rwanda en échange de considérables sommes d'argent, n’a pas suffi à effacer le désespoir de ceux qui se résignent à traverser. 

Plusieurs embarcations incertaines

"J'ai vu les vidéos sur le bateau, ils crient, l'eau rentre partout, ils sont terrifiés". Dany Patoux est co-présidente d'Osmose, une association bénévole de soutien aux personnes exilées. Dès qu'elle le peut, l'association se rend auprès des réfugiés qui ont raté leur traversée pour leur apporter à manger, à boire, et de quoi se réchauffer.

Samedi 27 avril, vers 3 heures du matin, les services de secours du CROSS repèrent une première embarcation. À son bord, 10 personnes, des femmes, des hommes et des enfants. Exilés de leur pays natal, dans l'espoir d'une vie meilleure. Après avoir entamé la traversée au large de Boulogne-sur-Mer, leur radeau s'est immobilisé. Les secours ont pu les rejoindre et les ramener à quai.

Pour les accueillir à leur arrivée, les associations mandatées par l'État comme la protection civile, mais aussi des bénévoles. 

Le Cap Gris-Nez (Côte d'Opale) est le lieu de départ le plus proche de l'Angleterre. Proche de Boulogne-sur-Mer et de Wimereux, il est l'un des points de départ privilégié par les passeurs qui tentent la traversée.

Une deuxième opération dans la matinée n'a pas su convaincre toutes les personnes à bord de regagner la terre ferme. L'embarcation est accostée au large de Cap Blanc-Nez, mais les services de secours sont contraints de laisser une partie des personnes continuer leur route, sous surveillance.

Car dans les cas où les exilés refusent l'aide proposée, interdiction de les forcer à monter à bord, au risque de générer des blessures. 33 personnes ont pu être secourues lors de cette troisième intervention.

On était si près de la mort, j'ai pensé fort à ma femme et à mes enfants je me concentrais pour voir leurs visages, et là je suis tombé dans l'eau, tout est devenu sourd.

Un exilé tombé à l'eau

Enfin, c'est une embarcation dans la baie de Canche qui a inquiété les secours. Au loin, ils imaginent au moins cinquante personnes à bord, de tous genres et de tous âges. En s'approchant, ils découvrent qu'une bouée de sauvetage du bateau est crevée et que trois personnes sont déjà à l'eau.

Dany Patoux a rencontré l'un des hommes tombés dans l'eau. "Il m'a dit : Madame, on était si près de la mort, j'ai pensé fort à ma femme et à mes enfants, je me concentrais pour voir leurs visages, et là, je suis tombé dans l'eau, tout est devenu sourd."

Au bout de 45 minutes d'intervention, 56 personnes ont été confiées aux secours terrestres et à la police aux frontières.

Les associations tirent la sonnette d'alarme

Reconduits à quai, les exilés passent entre les mains de la protection civile. "Ils ressortent chaussés avec des claquettes, même en hiver, avec des couvertures de survies et ils crèvent de faim, de soif, de froid", enrage Dany Patoux, co-présidente de l'association Osmose. 

Selon elle, l'aide apportée par l'État est insuffisante. "Ils étaient trempés des pieds à la tête, c'est nous qui achetons de quoi leur donner à manger." Après l'échec de leur traversée, les exilés prennent le train pour Calais : "ils veulent retrouver le peu qu'il leur reste dans leur camp, une couverture ou de quoi contacter leurs proches", souligne Dany Patoux.

Des femmes, des hommes et des enfants regagnent la gare, le ventre vide, dépouillés des quelques billets qu'il leur restait. Pour eux, l'abandon serait plus terrible que la mort en mer. Ils fuient la guerre en Syrie, l'autoritarisme de la Libye, la misère du Vietnam, ont traversé plusieurs pays, vécu des violences, des mises à sac, des destructions de camps.

Hier, j'ai revu un jeune homme, qui doit avoir 25 ans, c'était son neuvième échec. Il a déjà traversé Malte, l'Allemagne, la Turquie et pensait être plus tranquille en arrivant à Calais.

Dany Patoux, co-présidente d'Osmose 62

Les bénévoles d'Osmose font les navettes entre le quai de Boulogne et la gare. "Hier, j'ai revu un jeune homme, qui doit avoir 25 ans, c'était son neuvième échec. Il a déjà traversé Malte, l'Allemagne, la Turquie et pensait être plus tranquille en arrivant à Calais", déplore Dany Patoux. Un autre a fait tomber son téléphone dans une tentative avortée il y a un mois. Depuis, il est sans nouvelle de sa famille.

Dany Patoux est parcourue de frissons quand elle repense à la cohue. Dans sa voiture, elle faisait le voyage pour la gare avec quatre exilés : "j'avais un biscuit de café, ils l'ont partagé en quatre, je ne revenais pas."

À la gare, les délais ne laissent parfois pas le temps de distribuer la moindre nourriture. "On a vu passer 400, 500 personnes affamées, on essaye de distribuer du thé et de la nourriture, mais la priorité est qu'ils ne ratent pas leur train." 

Chaque sauvetage est ponctué de rencontres marquantes. Dany pourrait passer ses journées à se les remémorer : "Hier, je parlais avec une famille de koweïtiens. Et là, la petite, de huit ans à peine, me demande d'aller aider des connaissances. Dans un français parfait. Je dis, mais où as-tu appris à parler comme ça ? Elle m'a répondu : 'toute seule, sur le téléphone de mon père quand j'ai su qu'on allait traverser pleins de pays'."

Certains bénévoles ont été présents sur place de 5 heures à 1h du matin. Des embrassades, Dany en a connu : "C'est disproportionné, les remerciements qu'on a par rapport à ce qu'on donne, eux disent que c'est tout ce qui les tient, c'est le peu de mains tendues qu'on représente."

L'actualité "Société" vous intéresse ? Continuez votre exploration et découvrez d'autres thématiques dans notre newsletter quotidienne.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
Hauts-de-France
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité