Vingt ans après la fermeture de Metaleurop, un père découvre que son enfant est atteint de saturnisme : "Je vois du poison partout"

Fermé en 2003, Metaleurop n'en a pas fini de poser des problèmes de pollution dans la communauté d'agglomération d'Hénin-Carvin. Selon les dernières analyses de l'ARS, 7 enfants sont aujourd'hui atteints de saturnisme. Le père d'un de ces enfants témoigne.

Il a choisi de rester anonyme par peur des représailles ou des commentaires insultants sur les réseaux sociaux. "On ne veut pas faire le buzz. On veut protéger nos enfants. Tout ce qu’on demande, c’est de les mettre en sécurité". Ce père de famille, nous l’appellerons donc François.

La lettre qui a tout changé

François* vit à Courcelles-Les-Lens depuis six ans. Il a deux enfants. Jules*, 2 ans, et Isabelle*, 6 ans. Il n'oubliera jamais ce jour du mois d'août où il est allé chercher le courrier. "On rentre de vacances. J’avais deux enveloppes de l'agence régionale de la santé, une pour chaque enfant. Je les ouvre. Il y avait des prises de sang à faire. Je prends ça au sérieux parce que ça vient de l’ARS".

Sans vraiment le savoir, sans en comprendre l'enjeu, François est en train de participer à la campagne de dépistage lancée cet été par les autorités.

Cette campagne fait suite aux révélations d'une série-documentaire de France 5. Dans "Vert de rage, les enfants de plomb", le journaliste Martin Boudot révèle des chiffres étourdissants : depuis les années 1960, 5815 enfants auraient été atteints de saturnisme dans le secteur de l'ancienne usine de métaux lourds Metaleurop.

Face au scandale, l'Etat réagit donc en lançant des tests à grande échelle.

Saturnisme avéré pour l'un, vigilance pour l'autre

François et sa famille entrent dans un protocole dont ils ignorent tout. Une infirmière vient faire les prélèvements sanguins. Quelques jours plus tard, les analyses arrivent. D'abord, celles de sa fille : 30 µg de plomb par litre de sang, elle est en seuil de vigilance. Puis celles de son fils : 50 µg de plomb par litre de sang, il est au-dessus du seuil d'alerte. Autrement dit, le petit est atteint de saturnisme.

"Je vois des chiffres". François lit, mais ne comprend pas très bien. "Le saturnisme, je ne savais pas ce que c'était. Ça fait six ans qu'on vit ici. Metaleurop, je ne connaissais pas plus que ça. L’usine n’était plus là quand on est arrivé".

Des agents de l'ARS viennent au domicile de Courcelles-Les-Lens. Ils posent beaucoup de questions pour retracer les causes de la maladie. Questions sur l'hygiène de vie, sur les éventuels objets en plomb de la maison… François et son épouse s'agacent. "Cette pollution, elle n’est pas chez nous. Elle est à l’extérieur".

On est venu à Courcelles-Les-Lens pour avoir une maison. Je voulais un jardin. Je suis en train d’empoisonner mes enfants pour un bien-être !

François, père de famille

Désormais, quand le père regarde ses enfants jouer à l'extérieur, il est rongé par la culpabilité. "Je vois du poison partout". Du malheur partout. Et beaucoup de questions pour l'avenir.

La psychose qui s'installe

Car le saturnisme retarde le développement neurologique des enfants. C'est donc avec angoisse désormais que François observe son petit grandir. "Je regarde les photos et je compare mon fils et ma fille au même âge. A deux ans, elle parlait bien, un vrai bouquin. Lui, il ne parle pas, il fait des colères. Je m'interroge…" François a le sentiment d'être entré dans un état de psychose. "Mon fils a le saturnisme : qui me dit qu’il ne déclenchera pas d’autres maladies ?" L'agence régionale de la santé a préconisé des prises de sang régulières pour vérifier l'anémie. François exige un véritable suivi médical.

Son monde a basculé. Le père de famille "ne sait pas qui pointer du doigt", mais il a décidé de prendre un avocat spécialisé. David Deharbe de Green Law avocat défend quatre familles d'enfants atteints de saturnisme (quatre sur les sept récemment identifiés par l'ARS). Et lui, n'hésite pas à dénoncer un scandale étatique.

L'urgence de se faire tester

Les révélations du documentaire Vert de rage (diffusé ce lundi 3 octobre sur France 5 à 21h) ont contraint l'Etat à bouger en lançant la campagne de dépistage. Mais les habitants concernés restent trop hésitants à faire le prélèvement sanguin. "Il faut que les gens courent se faire tester !", martèle David Deharbe. Selon l'avocat, c'est une occasion unique et historique de faire avancer le dossier.

Plusieurs procédures sont en cours devant la justice. A chaque cas de saturnisme avéré, le dossier grossit et prend de l'ampleur. Le nettoyage de la zone dite "la plus polluée de France" est la priorité : "On ne pourra pas déplacer les populations. Il faut donc supprimer la pollution, excaver et mettre des terres propres", poursuit David Deharbe. "Ou alors on dit aux gens que c'est la roulette russe. Et tous les ans, il y aura des enfants plombés".

*Les prénoms ont été changés en accord avec le père de famille

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