Six Nordistes. Un seul Picard. Les têtes de liste aux élections régionales sont quasiment toutes issues de l’ancien Nord Pas-de-Calais. Est-ce encore un signe que la création des nouvelles grandes régions, en 2015, a affaibli ce qu'était la Picardie ?
Karima Delli (EELV) est roubaisienne. Laurent Pietraszewski (LREM) est lillois et ancien député du Nord. Sébastien Chenu (RN) est beauvaisien mais lui aussi député du Nord. Eric Pecqueur (LO) est du Valenciennois. Audric Alexandre (Pace) est arrageois. José Evrard est député du Pas-de-Calais. Il n’y a donc que le président sortant (DVD) des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, élu à Saint-Quentin dans l’Aisne, pour représenter les couleurs de l’ancienne région Picardie, dans cette élection régionale. Certains observateurs s’en sont émus. Ils y voient la démonstration que les Picards sont les grands perdants de la fusion des régions et qu’eux-mêmes et leur territoire ont beaucoup perdu en influence. Et que le Nord et le Pas-de-Calais – et surtout la métropole lilloise, au centre du pouvoir depuis 2015 – en sortent renforcés.
"Et encore, râle un ancien journaliste originaire de la Somme, on annonçait trois autres têtes de liste nordistes ! (François Dubout, de Calais ; Eric Dillies, de la métropole lilloise ; et Andy Carlier, de Flandre maritime, ndlr). Mais ils ne se présentent finalement pas. Je trouve ça désolant, mais c’est normal. Amiens qui perdait son statut de capitale régionale, c’était déjà un gros coup sur la tête. C’était le premier étage de la fusée. La Picardie a été mangée par l’ancien Nord Pas-de-Calais, qui a capté l’essentiel des rouages politiques et administratifs. Où sont désormais les représentants régionaux des syndicats, du patronat, des artisans, des médecins, des architectes, des chasseurs, du monde culturel et sportif… etc ? Ils ont quitté Amiens pour Lille. Le pouvoir décisionnel est clairement à Lille. Ce n’est donc pas étonnant de voir aujourd’hui les Nordistes à la manœuvre, sur le devant de la scène."
L’influence des réseaux nordistes
Le Picard Christophe Coulon, vice-président (LR) sortant et élu de l’Aisne, remarque lui aussi le poids politique dominant du Nord et du Pas-de-Calais. "Depuis 2015, et la fusion des régions, note-t-il, le Rassemblement national picard a été ostracisé par le Rassemblement national du Pas-de-Calais, puisque tout semble tourner et s’organiser maintenant autour d’Hénin-Beaumont où Marine Le Pen est elle-même la députée et peut-être bientôt la conseillère départementale. Au Parti communiste, c’est maintenant un Nordiste, le Valenciennois Fabien Roussel, qui est le patron au niveau national. Chez les Verts, l’étendard picard n’existe plus puisque Barbara Pompili a rejoint La République en Marche. Quant aux socialistes picards, ils ne sont pas près d’oublier la façon cruelle dont l’ancien président PS du Conseil régional de Picardie, Claude Gewerc, a été écarté en 2015 par la fédération PS du Nord. Bref, ce que j’appellerais le «projet politique» est désormais sous l’influence des réseaux nordistes. Le centre de gravité est à Lille, alors que le versant picard, lui, montre des faiblesses." Dans sa liste, Christophe Coulon oublie le Lillois Adrien Quatennens, député du Nord, à peine trentenaire et coordinateur depuis deux ans de La France Insoumise.
Je suis désolé de le dire, mais le vivier des talents est là-haut. Plus chez nous.
Même analyse chez cet ancien collaborateur de Gilles de Robien – deux fois maire (UDF) d’Amiens entre 1989 et 2008 - pour qui le déséquilibre est "flagrant". "Regardez les cinq ministres qui s’engagent dans les Hauts-de-France, pour ces élections régionales, constate-t-il. Une "Parisienne" du Pas-de-Calais (Agnès Pannier-Runacher, ndlr). Et quatre Nordistes : Eric Dupont-Moretti, Gérald Darmanin, Laurent Pietraszewski, Alain Griset. Tous les quatre passés par la case lilloise. Regardez de qui s’entoure Xavier Bertrand pour consolider sa future équipe chargée des questions économiques : d’un ancien président régional lillois du Medef et du président lillois de la Chambre régionale des Métiers et de l’Artisanat. Je suis désolé de le dire, mais le vivier des talents est là-haut. Plus chez nous."
Un contexte tendu
Ce débat intervient dans un contexte tendu, un climat de méfiance permanent. On se souvient en 2018 du traumatisme créé par l’annonce d’une possible fusion des rectorats d’Amiens et de Lille. La maire (UDI) d’Amiens, Brigitte Fourré, vice-présidente du Conseil régional des Hauts-de-France chargée justement de la fusion des deux anciennes entités territoriales, s’était sentie trahie par les services de l’Etat. Les Amiénois prenaient alors conscience d’une lente mais inexorable érosion de leur influence. Quelques directions régionales – comme celle de l’agriculture et celle de la jeunesse – étaient restées à Amiens ; mais les chefs de service prenaient peu à peu pied dans le Nord. Et des bureaux – comme une partie du service enquêtes de la direction de l’Agriculture – déménageaient à Lille. Des entreprises privées ont suivi le mouvement pour ne pas être éloignées des lieux de pouvoir, comme par exemple la direction régionale de la Caisse d’Epargne.
La Picardie n’est pas dissoute. Je pense même qu’elle bénéficie d’un nouvel espace géographique qui lui est profitable, bien plus qu’auparavant. Moi aussi, en 2015, j’étais dubitatif. Je me suis trompé.
Mais Christophe Coulon, membre de la majorité sortante, tempère. "Nos adversaires vont nous accuser d’avoir maltraité la Picardie. Mais c’est faux. La fusion des deux régions a été un chantier particulièrement difficile. Et il n’est pas achevé. Mais la Picardie n’est pas dissoute. Je pense même qu’elle bénéficie d’un nouvel espace géographique qui lui est profitable, bien plus qu’auparavant. Moi aussi, en 2015, j’étais dubitatif. Je me suis trompé." En tout cas, Xavier Bertrand a pris soin de répartir équitablement les postes à responsabilités. L’exécutif de la région compte 14 membres, un président et 13 vice-présidents. Sept sont picards, sept sont nordistes, alors que les départements du Nord et du Pas-de-Calais concentrent deux tiers des habitants des Hauts-de-France. Comme quoi, le sujet est sensible.