Il a beau vouloir n'être "que porte-parole de lui-même", le journaliste François Ruffin, auteur du documentaire à succès "Merci patron!", incarne bien l'esprit contestataire et rebelle du mouvement "Nuit debout", surtout parisien, mais dont il espère qu'il va faire tache d'huile.
Le premier long métrage de ce Calaisien d'origine, âgé de 40 ans, tourne en dérision le géant du luxe LVMH et son PDG Bernard Arnault, prenant délibérément le parti des petits contre les gros. Dès la sortie en salle, mi-février, ce fan du cinéaste américain Michael Moore espérait que son film serve de "détonateur" et permette "une convergence des luttes".
Avec ses "camarades" de Fakir, journal satirique à Amiens dont il est le rédacteur en chef, et d'autres amis, François Ruffin organise le 23 février à la Bourse du travail à Paris une soirée intitulée "Leur faire peur". Entendre : à l'oligarchie.
Quelques jours plus tard naîtra le comité d'organisation "Nuit debout" qui, à l'issue de la manifestation du 31 mars contre la loi El Khomri dans la capitale, décide d'occuper la place de la République. "Merci patron ! " y sera diffusé le soir même, en présence de son réalisateur, au milieu d'une foule effervescente.
Celui qui se définit de "gauche critique" refuse en revanche toute personnalisation, à commencer par celle du mouvement : "Je ne suis que porte-parole de moi-même", explique François Ruffin à l'AFP.
'Poil à gratter'
Son premier fait d'armes remonte à 2003. Dans "Les petits soldats du journalisme", cet admirateur de Bourdieu dénonce le formatage des écoles de journalisme où "aucune place n'est donnée à l'engagement politique et à l'impertinence". Son ouvrage fera l'effet d'une petite bombe dans le milieu, notamment au Centre de formation des journalistes (CFJ), dont il a fréquenté les bancs.
"C'était déjà un garçon malin, intelligent et plutôt sympa, avec une vraie fibre de poil à gratter", se rappelle l'un de ses anciens camarades de promotion. Porté par "la volonté de transformation sociale", ce passionné de football s'investit, en parallèle de ses études de lettres, puis de journalisme, dans son journal Fakir, fondé en 1999 à Amiens et "fâché avec tout le monde. Ou presque".
"Le déclencheur de Fakir, c'est la délocalisation de Yoplait. Puis Abelia, Whirlpool...", explique le militant. Il suit aujourd'hui de près le combat des salariés de l'usine Pentair de Ham (Somme), menacée de fermeture.
'Repasser par la rue'
Collaborateur régulier du Monde Diplomatique, il intègre l'équipe de l'émission "Là-bas si j'y suis", de Daniel Mermet sur France Inter. Entre 2000 et 2012, le Picard y égrène les reportages de critique sociale. Décrivant un "excellentissime journaliste", M. Mermet peint un homme "au fort caractère" qui "aime faire les choses seul".
Mais certains de ses confrères n'apprécient pas ses méthodes. "Au-delà des critiques à l'égard du CFJ, dont certaines étaient justifiées, c'est davantage sa manière de procéder avec nos propos retranscrits hors contexte, sans nous prévenir, qui nous avait choqués", témoigne l'un de ses anciens camarades de promotion.
À Amiens, son ouvrage "Quartier nord" (2006) avait fait grand bruit, certains lui reprochant d'avoir révélé des informations qui "normalement devaient rester confidentielles", se rappelle Mickaël Tassart, rédacteur en chef du Courrier picard.
Un temps compagnon de route du Front de gauche, aujourd'hui morcelé, François Ruffin s'en dit "désabusé". "Aujourd'hui, il faut repasser par la rue, car les partis politique ont tous échoué. Mais une 'Nuit debout' à Paris ne suffit pas : il faut que le mouvement s'irrigue partout, dans les quartiers populaires, et que l'onde de choc arrive... jusqu'à Ham!" rêve-t-il.