Ils s'appelaient Pierre, Ovide et Marceau. Ils se sont battus sur le front de la Grande Guerre. Ils ont survécu à l'enfer. Ils n'ont jamais oublié. De leur vivant, ils nous ont raconté leurs souvenirs et les copains disparus.
Ils avaient entre 18 et 20 ans lorsque la guerre les a appelés. Elle a transformé leur vie à jamais, marquant leur esprit au fer rouge jusqu'à leur dernier jour.
Tout au long de leur vie, Ovide Poquet, Pierre Bouquet et Marceau Magnier ont raconté leurs souvenirs de tranchées et des batailles au front, leurs copains disparus jamais oubliés. Ils étaient présents chaque 11 novembre pour que leur histoire dans la Grande Histoire ne tombe pas dans l'oubli.
Grâce aux archives, leurs témoignages restent intacts et raisonnent pour l'éternité.
"J'ai gagné que ça à la guerre ...mon casque"
Né le 1er octobre 1896 dans l'Aisne, Ovide Poquet se retrouve dans le tourbillon de l'Histoire, incorporé parmi les millions d'autres. En 1987, Patrice-Thédy Colleuille rencontre l'ancien combattant d'infanterie, alors âgé de 91 ans et recueille ses souvenirs de guerre.
"-Ceux qui n’ont jamais fait la guerre et ceux qui n’ont jamais vu ce que c’était que la guerre, s’ils avaient été avec nous, ils auraient vu qu’un obus de 210 qui était tiré de Mont-en-chaussée et qui nous tombait sur la figure là-bas, il faisait un trou de 2 m ½ à 3m de profondeur et 10 à 12m de diamètre. Alors que tout ce qui était dessus, ça montait plus haut que le clocher de Chaulnes !
- Vous avez vu des copains tomber autour de vous ?
-Il y avait des morceaux qui retombaient sur la figure. On était dans des trous.
-À quoi on pense à ce moment-là ?
-On pense que c’est un tremblement de terre parce que vous tremblez d’abord, vous sentez l’un contre l’autre, avec la mitrailleuse. On s’était mis des caisses de cartouches sur le dos et sur le cou et on entend le cœur des copains puis le vôtre …vous savez ça tape ! Comme disait Fonti, 'celui qui dit qu’il n’a jamais eu peur, c’est un j’en foutre !'".
On ne laisse pas tomber les camarades.
Malgré la peur qui les assaille, les Poilus n'ont pas d'autre choix que de partir à l'assault.
"Au moment de l’attaque, on vous foutait une mi-tare de gnole qu’ils appelaient. C’était une mixture d’alcool avec de l’éther. Ça puait l’éther à plein nez. Quand vous aviez avalé ça, ¼ d’h après, vous étiez à moitié fou. Il y en avait qui chantaient, il y en avait d’autres qui ne pouvaient plus monter sur le parapet. Il y en a eu beaucoup de tués comme ça".
"Il est tombé un obus dans l’attelage qui était composé de 8 chevaux et 4 artilleurs en quinconce (…) les chevaux furent éventrés, deux artilleurs déchiquetés et deux autres ne sont pas morts sur le coup. Ils se sont mis à hurler, vous savez c’était quelque chose à entendre : Maman ! Maman ! Maaaa …fini. C’est pas beau vous savez. C’est la guerre, c’est pas du cinéma".
Au-delà des souvenirs de cette période, il ne lui est resté que son casque.J'ai perdu le sommeil depuis ce temps-là.
"-Il a été cabossé. Le premier cabossage, ça a été un éclat d’obus au ravin de l’aiguille. Ça ne l’a pas traversé, ça l’a entassé. (...) Il réclamait mon casque, j’ai gagné que ça moi à la guerre, mon casque.
-C’est du passé pour vous ?
-Oh toute la nuit je me bats, toutes les nuits, même maintenant. Quand fallait se battre, on y allait tout le monde ensemble …et puis ça tape. Il y aura la guerre jusqu’à la fin de nos jours".
Et lorsqu'on a voulu lui remettre la Croix de Guerre, il l'a toujours refusée.
"J’ai refusé 3 fois la Croix de Guerre parce que j’ai toujours dit qu’une mitrailleuse, ça n’était pas un homme, ça n’était pas un tireur, c’est un groupe. (...) J’avais demandé qu’on nous donne des citations collectives, on me les a toujours refusées. J’ai tout refusé. J’ai même refusé de m’adresser à la commission Fayolle après la guerre".
"Chés Boches, je ne peux pas les sentir !"
Dans cet enregistrement, Marceau Magnier a tout juste 100 ans. Il lui reste les souvenirs et les chansons du front. Quant à l'amitié franco-allemande, c'est une autre paire de manche.
Né en 1893, il quitte l'école à 6 ans et travaille comme vacher à 7. Dès 1914, il se retrouve au front et très vite est fait prisonnier en Argonne. Celui que l'on surnommait ch'tatasse n'a jamais manqué un défilé du 11 novembre.
"-Qu’est-ce que vous en pensez maintenant qu’on soit ami avec les Allemands ? C’est bien ?
-Oh non ! Je ne peux pas les voir moi vous savez.
-Et l’Europe ?
-L’Europe, ce n’est pas mauvais mais chés boches, je ne peux pas les sentir ».
"Depuis ce temps-là, je ne vis pas comme tout le monde. Je vis à côté de la mort."
Né à Méru le 3 septembre 1896, Pierre Rouquet est mobilisé en 1916. Affecté au 151e régiment d'infanterie, il est tout de suite amené en train avec ses camarades à Verdun. Son témoignage est enregistré le 10 novembre 1994. il a alors 98 ans.
Il montre à la journaliste, Martine Bailly, un petit carnet sur lequel un carré rouge encadre la date du 22 mai 1916. Sous l'impact des obus, la terre a recouvert la tranchée, il est enterré vivant. "Nous étions 9 en même temps mais ça durait depuis le matin. Depuis 7h du matin, on se déterrait les uns les autres. Ce n’est pas que mon histoire à moi, c’est l’histoire de tout le monde. Je me suis senti mourir".
En juillet de la même année, le 2e classe passe téléphoniste. Au fil de ses souvenirs, il évoque la bataille de la Somme. Les tranchées n'étaient pas encore vraiment creusées. "On est à même la terre et la terre à ce moment-là était plus que détrempée. C’était de la vase ou à peu près. Bien des hommes sont morts enlisés dans des trous d’obus et on ne pouvait pas les sortir, on ne pouvait pas les arracher. La terre les tirait".
Décembre 1916 arrivent les chars d'assaut du commandant Bossu. "Les chars d’assaut ont été pris tout de suite par l’artillerie et beaucoup ont brûlé. J’ai vu les hommes qui étaient dedans, sortir gorgés d’essence et brûler. En faisant comme des torches avec des flammes de 10m de hauteur et puis ça secouait un peu, tomber et puis mourir".
Si Ovide, Pierre, Marceau et les autres ne sont plus là aujourd'hui pour témoigner, les archives prennent le relais pour que la mémoire et le passé ne tombent pas dans l'oubli.
La 1ère Guerre mondiale en quelques chiffres
- La guerre est déclarée le 3 aout 1914, elle s’achève le 11 novembre 1918, soit 1 562 jours de conflit.
- Pendant 4 ans de conflit, le total des soldats mobilisés s’élève à 70 millions d’hommes (9 millions en France).
- Le 11 novembre 1918, on estime qu’au total 10 millions d’hommes sont morts et que 20 millions sont blessés (pour la France, c’est 1.4 million de morts et 4.2 millions de blessés).
- Le 22 aout 1914 est la journée la plus meurtrière pour l’armée française : 27 000 soldats meurent en 24 heures.
- On estime à 1.4 milliard le nombre d'obus qui ont été tirés pendant ce conflit, dont 15% n'ont pas explosé (soit environ 210 millions de minutions).