On dit que ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter. On comprend mieux alors l’importance, dans nos sociétés, du devoir de mémoire. Qu’il s’agisse de parler de la Shoah, du sort des poilus durant la Première Guerre mondiale, de l’esclavage ou encore du génocide arménien, il est indispensable, pour les générations à venir, de se souvenir, pour ne pas répéter les horreurs et erreurs du passé.
Comment sensibiliser de jeunes générations à ces événements tragiques, sanglants, douloureux, mais souvent, pour eux, d’un autre temps. Par quels moyens perpétuer ce devoir de mémoire, quand les témoins qui ont vécu ces événements sont de plus en plus rares. Il s’agit alors de se réinventer, de trouver des manières ludiques de sensibiliser les jeunes. C'est une obligation morale pour entretenir cette mémoire collective.
C’est la volonté de cette exposition proposée par les Archives départementales du Nord, sensibiliser les jeunes générations au travers de l’art, et pas n’importe quel art, le street art, ce mouvement artistique urbain, né dans les rues et les quartiers populaires. Une exposition qui questionne les plus jeunes sur le thème des conflits passés et présents.
Quand le street-art et les archives réveillent nos mémoires
L'exposition est née à l’occasion du 80ᵉ anniversaire de la Libération.
Animateur jeunesse au centre culturel et social Flers-Sart de Villeneuve d'Ascq, dans le Nord, Boris Etienne-Verley cherchait un moyen ludique d'intéresser les jeunes à la mémoire, l'Histoire, notre Histoire.
"En 2018, pour le centenaire de la fin de la Grande Guerre, les jeunes du centre et moi avons préparé une exposition photos sur les grands sites mémoriels de notre région. Notre-Dame-De-Lorette, Ypres, Vimy, mais aussi plus au sud, en Picardie, à Beaumont-Hamel, Thiepval et au cimetière chinois de Noyelles-sur-Mer."
Une exposition, une cinquantaine de clichés labellisés Mission Centenaire par la préfecture du Nord. Mais le travail de mémoire de Boris Etienne-Verley ne s’arrête pas là. S'ensuit, en plein covid, la réalisation d’un court-métrage de 49 minutes sur les deux guerres, intitulé D’une flamme à l’autre, de la flamme du Soldat inconnu à Paris, à la flamme du 'Tertre des massacrés', à Ascq.", pour lequel, les éducateurs du Centre social et culturel de Flers-Sart sollicitent l’aide des Archives départementales du Nord, pour rechercher des documents.
Mais parce qu’il souhaite fédérer encore plus de monde autour de ce projet de la mémoire, du souvenir de ces deux guerres, Boris Etienne-Verley a l’idée d’y intégrer l’art et plus précisément le street-art. « Un support artistique idéal pour toucher les plus jeunes notamment.» Explique-t-il.
En 2022, il sollicite ainsi des artistes graffeurs pour créer des œuvres en lien avec la thématique de la guerre au sens large. Des figures de l'art graphique urbain, venus de la région de Lille, de Belgique et même de Bretagne. « À ce jour, 34 artistes ont répondu présent, tous ont accepté de travailler bénévolement, avec l’aide des jeunes du centre social, qui ont fabriqué les supports à partir de bois de récupération. »
Pochoirs, collages, graff purs et même sculptures, sur palettes ou toiles, au format 60 sur 80", au final, une cinquantaine d’œuvres donne naissance à cette exposition baptisée Graff et Guerre ».
Des œuvres qui illustrent pour chacune le regard personnel et stylisé de l’artiste sur cette période douloureuse de l’histoire.
Une vision décalée de la guerre
Le graffeur JC5/7 nous offre ainsi sa vision décalée de la guerre.
L’artiste de rue ‘’Black Salamander’’, s’intéresse, lui, au rôle éminent des femmes dans l'économie de guerre.
Avec son tableau « Mort pour la France » qui représente un tirailleur sénégalais, pendant la Première Guerre mondiale, l'artiste urbain originaire de Cambrai "Freaks the Fab" a choisi de mettre en lumière le sort des troupes coloniales : « C’est déroutant de travailler sur le thème de la guerre, car mes personnages sont toujours souriants avec un œil grand ouvert comme dire "garde ton esprit ouvert et souris à la vie. Sur ce tableau, j’ai choisi de représenter un tirailleur sénégalais. Il a vieilli et est rentré en Afrique. Mais il pense aux tranchées et aux Poilus tirailleurs sénégalais qui n’ont pas eu sa chance de survivre aux bombardements. Il ne faut pas oublier que, lors de la Première Guerre mondiale, ce sont environ 200 000 Sénégalais de l'AOF (Afrique Occidentale Française) qui se sont battus sous le drapeau français, dont plus de 135 000 en Europe. Environ 15 % d'entre eux, soit 30 000 soldats, y ont trouvé la mort. J'ai voulu leur rendre hommage avec cette peinture.»
Inhumanité et résilience
Avec « War’s not over », le street artiste Cooljc-art, veut nous transmettre un message percutant sur la résilience humaine face à l'inhumanité de la guerre, tout en invitant à une réflexion. Son œuvre représente un soldat poilu au regard absent, suggérant un mélange de fatigue, de réflexion et d'abandon face à la dureté de son environnement. « Il fume une pipe un peu comme s'il fumait la dernière cigarette d'un condamné. Le fond est parsemé de motifs texturés aux tons rouillés, renforçant l'idée de désolation. Le rongeur, sur son épaule, presque humanisé, symbolise la solitude du soldat, où même un rat de tranchée, devient un compagnon précieux et complice dans l'adversité. Les barbelés encadrent l’œuvre et agissent comme une frontière visuelle. Ils enferment le soldat dans sa situation emprisonnée par la guerre, reflétant l'inhumanité des conflits armés et la perte de liberté ».
Conséquences physiques et psychologiques, horreur de la guerre, place des femmes dans la guerre, à ces thèmes « universels » abordés par les artistes, les Archives départementales du Nord, ont voulu apporter leur signature, comme l’explique Marine Vasseur, responsable du service des publics : « Aux œuvres de ces street-artistes, nous avons voulu associer des documents originaux conservés aux Archives départementales du Nord. Des objets ayant appartenu à des soldats, comme une tenue de déporté, des cartes d’anciens militaires, une affiche explicative sur l’utilisation de masque à gaz, des photos des tranchées, des témoignages, ou encore des lettres d’adieu. Ces objets accompagnent les œuvres comme une révélation, et ouvrent un dialogue singulier et original avec les expressions artistiques.»
Une belle occasion pour Marine Vasseur de faire connaître le travail du monde des archives et rendre ce lieu accessible.
Une exposition qui suscitera l’intérêt tant des amateurs de street-art que des amateurs d’archives. C’est aussi le parti pris des Archives départementales du Nord, être un lieu de rencontre et d’échanges, avec cette volonté de transmission mémorielle en créant ici, un lien entre passé et présent par le biais de l’art urbain.
Deux événements sont liés à cette expo :
Pendant les vacances de Noël, des ateliers « Parcours de soldat » et visite commenté de l’expo. Il s’agit à partir d’un nom, d’une date et d’un lieu de naissance de comprendre comment avec des documents d’archives, retracer le parcours d’un soldat ou d’un résistant de la Première ou Deuxième Guerre mondiale. C’est le début des recherches généalogiques.
Dates des séances : Jeudi 26 décembre de 14 h à 15 h 30 / Vendredi 27 décembre de 14 h à 15 h 30 / Lundi 30 décembre de 14 h à 15 h 30
Sur réservation selon les places disponibles, à partir de 11 ans avec la présence d’un adulte obligatoire pour les mineurs : 0359730600 / archivedep@lenord.fr
Le samedi 18 janvier, ouverture exceptionnelle pour :
- Deux ateliers autour du Graff avec deux artistes
- Un artiste qui réalisera une fresque (nous aurons les noms des intervenants en fin d’après-midi),
- Deux ateliers « Parcours de soldat »
- Visites commentées de l’expo
Pour les ateliers : réservation selon les places disponibles, pour l’atelier Parcours d’un soldat : à partir de 11 ans avec la présence d’un adulte obligatoire pour les mineurs : 0359730600 / archivedep@lenord.fr
Les scolaires ont la possibilité, sur réservation, de faire les ateliers "Parcours de soldat » et visite commentée de l’exposition.