À Amiens, une coopérative de livreurs à vélo offre une alternative écologique et éthique aux plateformes américaines

Tous les mois, Antoine, Amiénois de 23 ans, parcourt 1200 km sur son vélo de route pour livrer colis et repas commandés aux restaurants de la ville ou par des clients directement sur le site Beefast.fr. Aujourd'hui, il livre les courses commandées par des particuliers sur le site d'un hypermarché.

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Ses journées sont organisées pour pouvoir répondre à l'imprévu : "Tous les matins, dès 8h30, je vérifie sur notre plateforme les livraisons prévues et les commandes de dernière minute", détaille Antoine Hosin, livreur et créateur de Beefast. Puis il commence les courses. À midi, c'est le rush pour livrer les repas. Il croise alors de nombreux coursiers à vélo étiquetés Ubereats ou Deliveroo.

"Chez Ubereats et Deliveroo, c'est devenu la Jungle"

Ils font le même travail mais les conditions sont bien différentes. "J'ai travaillé plus de deux ans pour ces grosses sociétés. Au début, c'était cool. On était payé au minimum 4,90 euros la course. J'ai toujours aimé faire du vélo et ce travail me permettait d'être payé en me faisant plaisir. Mais tous les six mois, les règles de rémunération changeaient... À la baisse, bien sûr. On est arrivé à 2,80 euros la course. Et c'est devenu la jungle quand ils ont ouvert le recrutement sans limite. Ils n'arrêtaient pas d'embaucher de nouveaux livreurs. Il n'y avait plus assez de boulot pour tout le monde. On ramassait des miettes", explique Antoine. En deux ans, son salaire mensuel, déjà instable, est passé de 2200 euros en moyenne à 1500 euros bruts, auxquels il faut encore retirer le coût de charge de l'auto-entrepreneur et l'entretien de l'équipement.

Je me suis cassé les dents à vélo

Antoine Hosin, créateur de Beefast et livreur à vélo

C'est un accident de vélo qui lui fait prendre conscience de la fragilité de son statut. "J'ai fait une grosse chute pendant une course et je me suis cassé les dents. J'en ai eu pour près de 4000 euros de frais et je n'ai obtenu que 200 euros de remboursement par la sécurité sociale. Mes employeurs n'ont rien voulu savoir alors que c'était un accident de travail", raconte le jeune cycliste qui a dû travailler doublement pour rembourser ses frais de santé.

"Dans le système de coopérative, on est tous patrons"

Au début du premier confinement, en mars 2020, il décide, avec deux collègues, de monter son propre service de livraison. Cela commence par de petits services proposés aux commerçants d'Amiens qui cherchaient une solution de livraison le jour même.

À la fin de l'année, ils montent leur structure. Antoine a fait appel à Coopcycle, une association créée par des militants mobilisés contre la loi travail au printemps 2016 et lors des manifestations Nuit debout. Cette fédération propose la mise en relation entre clients, commerçants et livreurs à vélo grâce à un logiciel.

Seule condition pour en bénéficier : créer sa coopérative locale de livreurs à vélo sur un modèle social et autonome. "Notre objectif est d'offrir un contre-modèle aux entreprises Ubereats et Deliveroo et de mettre les sociétés entre les mains de ceux qui les font vivre", explique Adrien Claude, coordinateur de l'association Coopcycle. "Dans ce système de coopérative, on est tous patrons. C'est la différence avec l'entreprise classique où les intérêts entre patrons et salariés divergent. Dans notre modèle, les décisions majeures sont prises en concertation pour le projet commun", ajoute-t-il.

Protéger les travailleurs et redonner du sens au travail, des règles qui ont tout de suite intéressé Antoine. "On se soucie de notre propre sort, on maîtrise nos tarifs. Nos revenus sont stables et notre couverture sociale est meilleure. Nous faisons moins d'heures mais notre travail est plus épanouissant. Ce n'est plus un algorithme qui nous donne des ordres", affirme Antoine. L'association Beefast compte quatre livreurs à vélo.

Ensemble, ils prennent toutes les décisions importantes : l'évolution de leur rémunération, le temps de travail, les nouveaux contrats... Et ils se rémunèrent à l'heure. "Notre structure est encore jeune. Nous avons chacun un chiffre d'affaires entre 800 euros et 1200 euros mais nous travaillons à notre rythme. Et nous avons investi dans de l'équipement comme les deux vélos cargo pour transporter les gros colis".

Des livraisons insolites

En un an, Beefast a réussi à monter un réseau d'une vingtaine de partenaires locaux : des restaurateurs, des commerçants et des prestataires sous-traitants qui commandent les livraisons directement sur le site Beefast.fr. En plus des repas et des petites courses qu'ils avaient l'habitude de livrer avec leurs anciens employeurs, les quatre cyclistes transportent parfois des colis plus volumineux et insolites.

Ils ont dû rapidement adapter leur équipement pour se diversifier et répondre à la demande. "En fin d'année dernière, dès la création de notre structure, une entreprise nous a commandé une livraison de 120 kg de champagne pour ses clients. À cette même période, à Noël, nous avons transporté un sapin de 2,30 mètres. Sans nos vélos cargo, nous n'aurions pas pu honorer ces livraisons", explique Antoine. Mais ils ne s'arrêtent pas là. "Nous avons livrer un salon de jardin avec le parasol, la table et les chaises en une seule fois à un particulier. Une autre fois, c'était un matelas".

Écologique et éthique : un service clé en main pour les commerçants

Le confinement a permis aux jeunes auto-entrepreneurs de développer leur projet et de se faire connaître comme alternative aux grandes entreprises de l'ubérisation. Basé sur un service écologique car ils se déplacent uniquement à vélo, ils ont également séduit certains commerçants d'Amiens par leur modèle économique éthique.

Le gérant du restaurant le Ad'Hoc café à Amiens, Thierry Martin, a toujours refusé de confier ses livraisons aux plateformes américaines. Alors qu'il préparait des repas solidaires pour les étudiants sans ressource, il a rencontré des livreurs Ubereats et Deliveroo. "Ces jeunes sont venus nous demander des repas. C'est incroyable, ce sont des gens qui travaillent et qui n'ont pas assez d'argent pour se nourrir. Payés 2,30 euros la livraison, comment voulez-vous qu'ils s'en sortent ?

Depuis sa rencontre avec les livreurs de Beefast, il ne travaille qu'avec eux. "Il faut encourager ces initiatives. Cette petite économie fonctionne très bien. Elle permet de réduire la pollution et les jeunes livreurs sont payés correctement", explique le restaurateur.

Beefast offre une solution clé en main aux commerçants : plateforme de relation client, commandes, livraison. Et depuis un an, une relation de confiance s'est établie avec les partenaires. "Les livreurs de Beefast sont très ponctuels. Nos clients sont toujours livrés à l'heure et les plats arrivent en bon état. Ce qui est important pour nous parce que c'est notre image qui est en jeu. De plus, la commission de Beefast est moins élevée que les autres plateformes", explique Tony Deque, gérant du restaurant l'Adresse à Amiens.

Pour les particuliers, la commande se fait en ligne ou directement chez les commerçants partenaires. Et pour certains, il n'est plus question de se faire livrer par un autre service. "Je les ai connus quand ils livraient les produits de la Halle du Beffroi au début de premier confinement, en mars dernier. Désormais, je ne choisis de passer commande que chez les commerçants qui livrent avec Beefast. Tous leurs livreurs sont courtois, souriants, ils respectent les gestes barrières et surtout ils trouvent tout de suite l'adresse sans appeler trois fois avant d'arriver. Ce qui n'est pas le cas des autres", raconte Fazihia Belkadi, une habitante d'Amiens.

La livraison à domicile : "Cette pratique va perdurer"

D'après le plan de déconfinement du gouvernement, les restaurants pourront ouvrir leur portes progressivement dès le 19 mai prochain. L'équipe de Beefast prévoit une baisse d'activité mais Antoine reste optimiste. "Sur 17 de nos restaurateurs partenaires, 7 sont actuellement fermés. On espère que leur ouverture permettra de compenser la perte. Et puis, les gens ont pris l'habitude de se faire livrer et je pense que cette pratique va perdurer".

Les quatre auto-entrepreneurs de Beefast projettent de développer leur réseau et proposer de nouveaux services. Avant la fin de l'année, ils pourront changer de statut et devenir salariés de leur petite entreprise.

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