Déçus voire choqués par le report de la réouverture des cinémas, théâtres et salles de spectacle prévue le 15 décembre, les professionnels de la culture en Picardie naviguent entre colère, fronde et résignation.
Douche froide pour le secteur de la culture. Les établissements recevant du public ne profiteront finalement pas de la deuxième étape du déconfinement ce mardi 15 décembre : la fermeture des cinémas, théâtres, salles de spectacles et musées notamment, est prolongée de "trois semaines", a annoncé hier par Jean Castex, à quelques jours des levers de rideaux.
"Les conditions posées pour leur réouverture ne sont hélas pas réunies", regrette le premier ministre. L’objectif de redescendre à environ 5000 contaminations Covid quotidiennes, fixé par le président de la République, n’est pas atteint. La France en comptabilise en moyenne plus du double.
La MCA espère une reprise plus sûre en janvier
À la Maison de la Culture d’Amiens, plusieurs pièces de théâtre, concerts et projections de films étaient programmés chaque jour dès le 15 janvier : tout est annulé, les billets reportés ou remboursés. Seules les répétitions vont se poursuivre et le lien avec le public sera maintenu via les réseaux sociaux.
"Mes pensées vont aux malades et aux soignants, (mais) on est déçu", réagit le directeur Laurent Dréano, empli de sentiments contradictoires : "On comprend", assure-t-il, tout en soulignant que "le monde de la culture s’était préparé, les théâtres avaient montré qu’ils étaient des lieux où le virus ne circulait pas."
La décision sera réétudiée le 7 janvier, en vue d'une réouverture en janvier, probablement le 20. "Ce qu’on peut espérer, c’est que (ce report) nous permette de passer un cap et d’entamer cette nouvelle année avec plus de sûreté, confie le directeur de la MCA. On n’est pas découragé".
Un "yoyo" qui épuise les théâtres privés
En début d'année, des théâtres privés de province montaient une association, devenue de plus en plus grande - près de 80 adhérents aujourd'hui - et revendicative pendant le confinement. Jean-Christophe Parquier, à la tête d'un café-théâtre de Saint-Riquier dans la Somme qui devait rouvrir le 18 décembre, porte la parole très amère de ces petites structures : "Le public avait réservé massivement, ça allait être une jolie réouverture, avec un mini-festival pour le jeune public la semaine d’après, que des super trucs… Et voilà, ca y est, il n'y aura rien. C'est un coup de carafe sur la tête."
Selon Jean Castex, la logique du gouvernement est d’"éviter d'accroître les flux, les concentrations, les brassages de public, à un moment où nous devons continuer de les réduire autant que possible."
"Le métro n'est pas percé à Saint-Riquier (!), tout le monde allait venir en voiture individuelle...", rétorque le patron du PréÔ.
Pour la ministre de la Culture Roselyne Bachelot, sur RMC ce matin, la situation sanitaire est si fragile qu'en rouvrant le 15 décembre pour refermer début janvier, "on assassinait la culture".
"On l'assassine d'une autre manière !, répond le Samarien, qui n'en peut plus d'être ainsi "ballotté".
Puisqu'on estime que le moyen de combattre l’épidémie est d’arrêter les lieux de convivialité, qu’on nous aligne sur le sort des bars et restaurants. Ou bien qu'on dise une bonne fois pour toutes : "Allez les gars, on ferme jusqu'en juin !" Regardez les boîtes de nuit, on ne leur laisse aucun espoir, j'espère qu'elles sont aidées mais au moins on ne leur fait pas d'allers-retours... On en est à regarder le nombre de contaminations par jour. Tout le monde est épuisé.
Le café-théâtre ne fait pas qu'accueillir des spectacles. Il en produit. Il anime des cours, des ateliers. Avec lui, c'est tout un monde qui se retrouve confiné. Et un public, encore demandeur, qui pourrait finir par aller voir ailleurs.
"Qu'on nous laisse rouvrir !", clame Jean-Christophe Parquier, comme de nombreux professionnels, mettant en avant les protocoles sanitaires. Après les débats sur la notion d'activité "essentielle", le maintien des transports en commun, la réouverture des commerces... ce nouveau sacrifice "nous démolit. Moralement, c'est très très compliqué."
Cinéma : "énormément de dépenses et d'efforts gaspillés"
Dans le monde du 7e Art, il y a ceux qui ne veulent même plus parler aujourd'hui, et ceux qui lâchent leur consternation : "Pour la première fois depuis le mois de mars, je peux vous dire que la filière est vraiment en colère", confie le directeur du Ciné St-Leu à Amiens.
Alors que la filière a besoin d'au moins deux à trois semaines pour organiser le calendrier des diffusions, Boris Thomas fustige "l'amateurisme" du gouvernement. Il aurait préféré un objectif de réouverture lointain, et que l'on s'y tienne.
Ils nous ont dit de nous mettre en ordre de marche, alors que, dès la fin novembre, on se disait tous qu'il était plus raisonnable de rouvrir en janvier, que la date n'était pas tenable, qu'on n'en demandait pas tant. Résultat : on a énormément de dépenses et d’efforts qui sont gaspillés, réduits à néant. Nous prévenir maintenant, c'est indécent. Ils ont été extrêmement légers.
La Fédération nationale des cinémas français se dit "consternée" par la décision de report du gouvernement, "prise au dernier moment et sans justificatif convaincant".
Elle propose à tous les cinémas d'allumer leurs enseignes pendant une heure, mardi 15 décembre.
Au-delà de cette action symbolique, des discussions sont engagées avec l'ensemble des fédérations d'exploitants, distributeurs, auteurs, théâtres - dont l'association Théâtres privés en région -, salles de spectacles et le monde de la musique, pour déposer un référé devant le conseil d'État. Un recours, sans grand optimisme. Le mal est fait.