L'appel de solidarité du gouvernement, qui invite la population à épauler ses agriculteurs, est, pour certains, un soulagement. Mais l'inquiètude demeure quant à la distribution des récoltes alors que les marchés ferment et que les clients se font rares.
Ils étaient 40 000, selon la FNSEA, ce mercredi 25 mars : des Français sans activité qui avaient répondu à l'appel lancé la veille par Didier Guillaume. Le ministre de l'Agriculture avait invité les volontaires à rejoindre "la grande armée de l'agriculture française", en manque de bras pour les récoltes saisonnières. Crise du coronavirus oblige, de nombreux ouvriers agricoles, confinés, ne peuvent honorer leur travail pourtant indispensable aux agriculteurs.
Peu de besoins dans les Hauts-de-France
Mais l'emballement du grand public à mettre la main à la pâte semble, pour l'heure, déséquilibré par rapport aux besoins affichés du métier. Car si la plateforme dédiée à l'opération attire les volontaires, les producteurs restent jusqu'à présent plutôt timides. Dans les Hauts-de-France en tout cas. Sur les quelque 200 annonces que recensait le site ce jeudi 26 mars, la région n'en comptait que 17, dont la majorité plus à la recherche d'une main d'oeuvre qualifiée que de citoyens lambda, aussi motivés soient-ils."Ces besoins spécifiques concernent principalement les productions horticoles et maraîchères, explique Denis Bully, président de la FDSEA de la Somme. Des productions qu'on a peu dans la région." En revanche, dans les Hauts-de-France, ce sont les grandes exploitations – laitières notamment – qui risquent gros en cas de contamination des propriétaires et de leurs salariés. Elles requièrent en effet une main d'oeuvre spécifique, techniquement au point et disponible.
Un métier qui ne s'improvise pas
Si elles restent minoritaires, les petites exploitations de la région n'en sont pas moins en difficulté pour recruter les bras nécessaires à la récolte. Des asperges par exemple. Sylvie Deligniere et son mari, agriculteurs à Embreville (Somme) ont posté une annonce sur desbraspourtonassiette il y a quelques jours et ils ont déjà reçu une dizaine de réponse. "La récolte des asperges ne demande pas de compétences particulières mais du courage, décrit-elle. Tout s'apprend." Et d'un point de vue sanitaire, l'agricultrice ne s'inquiète pas de l'arrivée de nouvelles recrues sur son terrain. "On gardera nos distances pour donner les instructions, poursuit-elle, et après, les gens travailleront seuls dans les champs."Le problème, c'est qu'en dehors de certaines tâches physiques simples, le métier d'agriculteur ne s'improvise pas. C'est bien l'intérêt de réembaucher les travailleurs saisonniers d'une année à l'autre. "Beaucoup de nos collègues redoutent de perdre plus de temps qu'autre chose à former des volontaires dont on ignore la force de motivation, reconnaît Vincent Chombart, porte-parole de la Confédération paysanne de la Somme. Il y a des gestes techniques à intégrer et les conditions de travail ne sont pas toujours faciles."
Le problème de la distribution
Mais si l'initiative peine à prendre racine dans la région, elle est plutôt bien accueillie par les acteurs de terrain. "C'est un effort tout à fait louable de notre gouvernement, s'enthousiasme Denis Bully. Et ça devrait permettre à la société de se rendre compte de l'importance de l'agriculture, exactement comme pour le domaine médical." Si Vincent Chombart doute, quant à lui, du succès de l'opération et considère que la mise en place d'indemnisations aurait été préférable, il admet néanmoins que pour les producteurs en difficulté auxquels s'adresse la plateforme, l'initiative sera profitable.C'est en fait plutôt du côté de la distribution que le monde agricole regarde avec inquiétude en ce moment. Les écoles du pays ont fermé leurs portes et leurs cantines avec. Et pour les petites et moyennes exploitations, ce sont de gros clients qui disparaissent. Sans parler de la fermeture imposée des marchés qui sonne comme une injustice difficile à digérer pour bon nombre de cultivateurs alors même que les supermarchés restent ouverts.
Trouver d'autres solutions
"On nous interdit de nous rendre sur les marchés pour vendre nos légumes alors qu'on autorise la grande distribution à continuer de commercialiser des produits qui viennent parfois de l'étranger", déplore Sylvie Deligniere. Pour ces agriculteurs, sur les épaules desquels la pression se fait de plus en plus lourde, l'urgence reste d'assurer la récolte pour que les produits ne pourrissent pas dans les champs, mais sans certitude de pouvoir les écouler derrière."En attendant, on cogite pour trouver d'autres solutions, soupire l'agricultrice d'Embreville. Mais nous on se déplace notamment sur les marchés d'Amiens et d'Abbeville alors demander à nos habitués de venir acheter directement chez nous c'est compliqué." Du côté de la chambre d'agriculture de la Somme aussi, on cogite. A la fois à la mise en place d'un gros drive fermier au niveau de l'agglomération amiénoise et à des demandes de dérogations pour réautoriser la tenue des marchés dans les communes excentrées.
"Il est indispensable que les filières en circuits courts perdurent, souligne Denis Bully. C'est pourquoi nous essayons de trouver des solutions auprès de la grande distribution qui pourrait aussi se substituer à la fermeture des marchés." Une solution qui ne satisfait pas Sylvie, dont "le but n'a jamais été de vendre à des grandes surfaces mais bien d'être au contact du client". Un espoir reste néanmoins largement partagé par la profession : que la crise sanitaire actuelle fasse le moins de dégâts possibles dans les filières agricoles.