À partir du mardi 3 octobre, les cours criminelles départementales à Laon, Beauvais et Amiens siègeront pour la première fois. Ces "CCD" ne jugeront que certains crimes et seront constituées de cinq magistrats professionnels sans jury populaire, contrairement aux cours d'assises. Elles doivent réduire les délais de traitement des affaires.
C'est la grande révolution judiciaire de l'automne en Picardie : les cours criminelles départementales siègeront pour la première fois le 3 octobre à Amiens et à Laon et le 6 octobre à Beauvais. Ces "CCD" instaurées par la réforme de la justice de mars 2019 s'insèrent entre les cours correctionnelles qui jugent des délits et les cours d'assises qui jugeaient, jusque-là, tous les crimes.
Un crime jugé sans jury populaire
Dorénavant, une personne soupçonnée d'avoir commis un crime passible de 15 à 20 ans de prison (homicide volontaire ou viol par exemple) se présentera devant uniquement cinq juges professionnels. Depuis la Révolution française, les crimes étaient toujours jugés par un jury populaire de citoyens, assistés de trois magistrats.
"Personnellement, j'y suis défavorable, car je suis très attaché au jury populaire. L'aspect émotionnel est important, on touche plus facilement des jurés que des juges professionnels", se désole Me Stéphane Diboundje, avocat pénaliste au barreau d'Amiens, lui-même tiré déjà au sort comme juré d'assises. Cette expérience a confirmé son intérêt pour les juges-citoyens : "C'était intéressant de voir des gens pas "du tout du sérail" qui raisonnent différemment. Depuis, quand je plaide, je me comporte autrement, j'explique plus les choses."
Comme lui, de nombreux avocats se sont émus dès 2019 de ces cours criminelles sans jury populaire. Notamment Éric Dupond-Moretti, qui déclarait en mai 2020 sur franceinfo que la réforme sonnait "la mort de la cour d'assises". Désormais ministre de la Justice, il en est devenu le plus ardent défenseur. C'est lui qui a décidé de leur généralisation le 1ᵉʳ janvier 2023 à l'issue de deux années d'expérimentations dans quinze départements.
Cette première phase a d'ailleurs permis de calmer les premières inquiétudes : "Le barreau de Soissons était assez réticent au départ, mais les retours sont positifs", confirme Me Arnaud Miel, bâtonnier du barreau de Soissons (Aisne). S'il voit du "pour et du contre" dans la mise en place des CCD, Me Miel salue notamment un "gain de temps au délibéré."
Moins d'un an pour juger
Le gain de temps est un objectif essentiel de la réforme. Pour ses promoteurs, les cours criminelles départementales permettront de réduire les durées de traitement des affaires criminelles qui s'était rallongées ces dernières années (le délai moyen de jugement était passé de 37,9 mois en 2013 à plus quarante mois en 2015).
Les expérimentations semblent leur donner raison. Entre septembre 2019 et juin 2022, 387 affaires ont été jugées par les CCD test : selon le Rapport du comité d'évaluation et de suivi des cours criminelles départementales publié en octobre 2022 par le ministère de la Justice, il ne s'est écoulé en moyenne que 11,8 mois entre la fin des instructions et les arrêts.
En finir avec les viols correctionnalisés
Dans la grande majorité (81%), les accusés étaient poursuivis pour viol. Un crime jugé comme tel et non correctionnalisé, c'est-à-dire jugé comme un délit, comme c'était souvent le cas avant la mise en place des cours criminelles. Une avancée pour Me Arnaud Miel : "En correctionnel, les dossiers se retrouvent jugés au milieu d'affaires de trafics de stupéfiants, de vol. Les débats d'un procès pour viol ont besoin de plus de temps que des affaires ordinaires, pour des auditions d'experts par exemple".
Le collectif #NousToutes, à l'inverse, a dénoncé dans une tribune publiée en juillet 2023 dans le journal Le Monde, des cours criminelles départementales qui "contribuent à perpétuer l’invisibilisation des crimes de viol (...) devenus des crimes de seconde classe". Les signataires exigent que les violeurs comparaissent devant une cour d'assises.
Des magistrats assez nombreux ?
Une dernière incertitude demeure dans la mise en place des cours criminelles départementales : y aura-t-il assez de magistrats disponibles ? Sur les cinq juges professionnels, au moins trois doivent être de carrière, les deux autres pouvant être des magistrats honoraires ou des magistrats à titre temporaire. Or, selon des statistiques de la Direction des affaires criminelles et des grâces, citées dans le Rapport du comité d'évaluation, seulement 9% des procès "expérimentaux" ont bénéficié de cinq magistrats de carrière.
Alors que de plus en plus d'audiences en cours criminelles se tiennent partout en France, les adversaires gardent espoir : le 20 septembre, la chambre criminelle de la Cour de cassation a accepté de renvoyer au Conseil constitutionnel deux séries de questions prioritaires de constitutionnalité.