Avec la fermeture des universités et le couvre-feu qui limite les déplacements, de nombreux étudiants amiénois souffrent des conséquences de la situation sanitaire et s'enferment dans une précarité psychologique grandissante. Témoignages.
C'est le calme plat, ce samedi 23 janvier, à AGORAé. D'habitude, l'épicerie sociale et solidaire dédiée aux étudiants de l'université d'Amiens reste fermée le week-end mais avec le couvre-feu, Vinicius et Aurore ont des heures de service civique à rattraper. Pourtant, avec la neige qui s'est invitée en début d'après-midi, rares sont les étudiants qui poussent la porte du local.
Solitude profonde
"Depuis le début du mois de janvier, la fréquentation est en baisse, explique Vinicius, 20 ans et étudiant en deuxième année de droit. En temps normal, on accueille jusqu'à 30 étudiants par jour, en ce moment ça tourne plus autour de 10." Où sont passés les autres ? "Certains sont peut-être rentrés chez leurs parents, ou ont décroché, suggère Aurore, inscrite en troisième année de langues. C'est dur, psychologiquement, en ce moment."
À moins qu'ils ne soient chez eux, coincés entre la pression des cours à distance et la contrainte du couvre-feu. C'est le cas de Sara. À 22 ans, l'étudiante en première année de sciences sociales tourne en rond : "Je suis enfermée dans un sentiment de solitude profonde, en manque cruel de contact humain et je sors très peu." Son moral n'est pas bon.
En dehors des week-ends, les journées sont routinières et "monotones", dans la chambre exiguë qu'elle occupe. Après le petit-déjeuner, les cours à distance commencent, à 9h, et se poursuivent souvent jusqu'à 18h, l'heure de début du couvre-feu. "C'est invivable", décrit-elle. Louper un cours pour aller se balader une heure ? Elle ne préfère pas. "Sinon c'est galère à rattraper."
Les temps sont durs et il y a des jours où je suis à rien de tout arrêter, mais je me force à ne pas baisser les bras parce que je veux aller au bout.
Une situation anxiogène
Il est 15h quand Cassandra et Sarah, 20 ans chacune, font leur entrée à AGORAé. La spirale d'isolement, les étudiantes en deuxième année de psychologie la connaissent. Mais elles ont la chance de vivre ensemble, dans un duplex d'une cinquantaine de mètres carrés. Enfin la chance... Cela ne les empêche pas de trouver le temps long. Alors elles ont investi dans des jeux de société.
"C'est une situation anxiogène, regrette Cassandra. À part pour aller voir ma famille ou faire des courses, je ne sors quasiment jamais." Sarah, elle, vient d'accepter un poste en centrale d'appel. L'occasion de mettre un peu plus le nez dehors. "Il y a des jours, ça va pas trop mal, complète-t-elle, l'emploi du temps est léger et on tient le coup et d'autres où on n'arrive pas à se concentrer, on tourne en rond et là, c'est plus dur."
Année sacrifiée
"Parmi les étudiants qui passent à l'épicerie, certains nous parlent et nous racontent leurs problèmes, développe Aurore. Ils sont tristes et inquiets parce qu'ils n'ont pas le temps de créer du lien." Les cours en présentiel dans les facultés se sont arrêtés fin octobre avec le deuxième confinement, cette année. Beaucoup d'étudiants qui découvraient l'université n'ont eu qu'un voire deux mois pour nouer des amitiés.
Dans ce contexte, la tentation de décrocher est grande et beaucoup, en situation de précarité financière et psychologique, se résignent à rentrer chez leurs parents en attendant que ça passe. Pour eux, l'année est déjà sacrifiée. Au début du deuxième confinement, ils étaient plus de 200 à suivre à distance les conférences dans la promotion de Sara. Aujourd'hui ils ne sont plus qu'une soixantaine.
On comprenait, au début, mais depuis trois mois que la fac est fermée, la situation reste la même, alors peut-être que ça ne vient pas de nous.
Un sentiment d'infantilisation
Au final, ce qui passe mal, c'est l'impression que le mal-être ambiant des étudiants n'est pas pris en compte. "On a un sentiment d'infantilisation et d'injustice", dénonce Sara. L'étudiante en sciences sociales devrait d'ailleurs rejoindre les rangs de ses camarades en colère, ce mardi 26 janvier, lors d'un rassemblement pour demander la réouverture des universités.
Cassandra et Sarah feront peut-être aussi le déplacement. "La réouverture, ça sera une bouffée d'oxygène mais la vie après ne sera pas comme la vie d'avant, soupire Sarah, fataliste. Quelqu'un m'a dit, l'autre jour, que j'avais de la chance d'avoir 20 ans parce que c'est le meilleur âge. Franchement je ne crois pas, en tout cas pas en ce moment..."