Beuveries, fesses à l'air et jeux douteux : un ancien professeur d'EPS du collège/lycée de Saint-Riquier à Amiens a dénoncé ces agissements de ses collègues à sa hiérarchie. Cela s'est soldé par une mutation qu'il vit comme une double peine. Il a par ailleurs déposé plainte pour agression sexuelle. Il témoigne.
"C'est une accumulation", souffle Michaël Richard à l'issue de son témoignage. Professeur d'éducation physique et sportive depuis 2009, l'homme d'une quarantaine d'années est athlétique, mais l'accablement se lit sur son visage.
Choqué par les agissements de ses collègues lors d'un voyage au ski organisé en mars 2023 par son établissement, le collège et lycée Saint-Riquier d'Amiens, il a commencé par alerter sa hiérarchie. Ses rapports avec ses collègues se sont logiquement dégradés. Il a finalement été muté dans un autre établissement en juillet 2024, ce qu'il vit "comme une trahison". Trop éprouvé par la situation, il n'a pas assuré de cours depuis septembre. "Pourtant, j'aime mon métier, je n'étais jamais absent avant", assure-t-il.
"S'ils savaient, jamais ils ne nous confieraient leurs enfants"
Michaël Richard commence à exercer dans l'établissement Saint-Riquier en 2018. "C'est un super établissement, au niveau des conditions de travail, c'est le top du top" souligne-t-il. Pourtant, une chose le dérange : lors des séjours au ski organisés chaque année par l'établissement, certains de ses collègues font des soirées où "au niveau de l'alcool, c'est de l'abus pour certains", explique le professeur.
Ce ne sont pas des comportements de profs, ce sont des comportements d'adultes qui vont au ski entre eux.
Michaël RichardProfesseur d'EPS
En 2023, certains filment ces soirées et diffusent les images à leurs collègues et proches via WhatsApp. Sur celles que nous avons pu consulter, ils sont effectivement ivres, dans une ambiance très "soirée étudiante" où ils montrent volontiers leurs fessiers. Rien de bien choquant dans l'absolu, sauf qu'ils sont à ce moment même responsables de dizaines de mineurs.
"Ce ne sont pas des comportements de profs, ce sont des comportements d'adultes qui vont au ski entre eux, ok, réagit Michaël Richard. Mais quand on a des gosses en surveillance... Les parents comptent sur nous. S'ils savaient, jamais ils ne nous confieraient leurs enfants. Donc, je veux que les parents sachent."
Lors du même séjour, Michaël Richard est victime du "jeu du chdar" ou "jeu de l'olive" dont les règles sont simples : lorsque quelqu'un se penche en avant, un collègue fait mine de lui mettre un doigt dans l'anus. "Ils le font entre eux depuis que je suis arrivé dans l'établissement, mais savent très bien que je ne veux pas participer. Je me suis senti humilié", indique-t-il.
L'ambiance se tend, une réunion est organisée entre les six professeurs d'EPS présents parmi les treize encadrants du séjour. Le collègue aux doigts baladeurs aurait commencé par présenter ses excuses à Michaël Richard, puis "lorsque je lui ai répondu que pour moi, il s'agissait d'une agression sexuelle, il s'est mis en colère et m'a menacé", affirme-t-il. La suite des événements ne sera qu'une lente dégradation de ces rapports déjà tendus.
Une année difficile
Accaparé par sa vie familiale, Michaël Richard passe tant bien que mal la fin de l'année sans faire de vagues. Mais à l'automne 2023, il décide de parler du séjour au ski à sa cheffe d'établissement. Une décision motivée par l'indignation qu'il ressent, mais pas seulement : "Si un élève était venu à ce moment-là, il aurait vu quoi ? s'interroge Michaël Richard. Soit il n'aurait rien dit, soit il aurait dit à ses parents 'j'ai vu les profs faire ça'. Et moi, je ne veux pas être associé à cela. Je ne veux pas que dans cinq ans, la gendarmerie vienne taper à ma porte en me demandant si j'étais au ski en 2023."
D'après le professeur, la cheffe d'établissement se montre compréhensive, "remonte les bretelles" de ses collègues, mais les "jeux" gênants continuent. Et surtout, il se sent ostracisé par l'équipe, la situation reste tendue. Il multiplie les signalements d'agissements perçus comme hostiles auprès de la cheffe d'établissement. Fin mars 2024, une réunion se passe mal, c'est la goutte d'eau.
On m'a retiré moi, plutôt que les autres. Je trouve que c'est une totale injustice.
Michaël RichardProfesseur d'EPS
"Je n'ai pas dormi de la nuit, j'hésitais à tout arrêter, à tout plaquer, se rappelle-t-il. Le lendemain, j'ai décidé de porter plainte pour agression sexuelle, pour 'l'olive' de 2023. Je veux qu'il y ait un procès, car les témoins seront obligés de prêter serment et j'espère qu'ils diront la vérité." Cette plainte et les signalements qu'il effectue auprès du rectorat n'améliorent pas les rapports avec le reste de son équipe. "Le rectorat a entendu les principaux protagonistes dans le cadre d'investigations internes", indique la communication de cette institution.
En juillet 2024, une notification s'affiche sur son téléphone : il est muté dans un autre établissement d'Amiens. "On m'a retiré moi, plutôt que les autres. Je trouve que c'est une totale injustice, déplore Michaël Richard. C'est sans doute plus facile de muter une personne que quatre. Mais je n'ai plus d'heures supplémentaires, donc je perds 400€ de salaire. Je me projetais à Saint-Riquier, je voulais continuer là-bas. Je me sens humilié." Pour lui, il aurait été plus juste que ses collègues soient mutés.
"Il parait que vous êtes islamiste"
Le rectorat assure "qu'il ne s'agit en rien d'une mesure disciplinaire à son encontre : cette décision de mutation a été prise fin 2023-24, dans l'intérêt du service et des élèves, au regard de la situation fortement tendue qui s'était alors instaurée au sein de l'équipe pédagogique."
Toujours est-il que les rumeurs sur l'absence de Michaël Richard à la rentrée vont bon train au sein des élèves de Saint-Riquier. "Il parait que vous êtes islamiste", lui envoie un élève via Linkedin, début septembre. "Il y a des rumeurs grave on aimerait vous en informer", lui envoie un autre élève quelques jours plus tard. "Quand j'ai reçu le premier message, je me suis dit que je n'allais pas réagir si je n'en recevais pas d'autres. Mais j'ai reçu un deuxième message, je veux rétablir la vérité", indique le professeur.
Intérieurement, je suis anéanti, ils m'ont coupé l'envie de faire mon métier.
Michaël RichardProfesseur d'EPS
"Dans mon nouvel établissement, je suis allé à la pré-rentrée les larmes aux yeux. Ensuite, je me suis mis en arrêt maladie, je n'étais pas capable de faire la rentrée. Ça ne peut pas durer pour toujours, je vais essayer de reprendre le travail, mais je ne suis plus motivé. Je suis une coquille vide. On ne pourra pas me faire accepter quelque chose que je trouve injuste", déplore Michaël Richard.
Dernier épisode de cette histoire qui s'envenime, les 2 et 3 septembre, il se rend devant Saint-Riquier, "pour sensibiliser, dire aux élèves et aux parents de parler s'ils sont témoins de choses dérangeantes" assure-t-il. L'établissement appelle la police. "Nous avons contacté les autorités compétentes et déposé une plainte pour trouble à l'ordre public, diffamation et outrage", indique la cheffe d'établissement dans un message envoyé aux parents d'élèves via l'application de l'école. Un message qui a rapidement été supprimé, mais que nous avons pu consulter.
"Je suis détruit. Je ne suis même pas en colère... Intérieurement, je suis anéanti, ils m'ont coupé l'envie de faire mon métier", conclut Michaël Richard. D'après lui, ce qui motive son témoignage, c'est avant tout le besoin de rétablir la vérité sur son compte et d'alerter les parents. Il espère pouvoir rencontrer le recteur et qu'un procès aura bien lieu. Une seule chose est certaine à ce jour : sa détresse professionnelle et personnelle est criante.