Clotaire a 17 ans, et est élève en terminale au lycée Robespierre d'Arras. Depuis la seconde, il est le témoin de l'utilisation d'outils comme Chat GPT ou Gemini chez ses camarades dans leurs devoirs. Il pointe une situation qui creuse les inégalités entre les élèves, et souhaite par le biais d'une lettre ouverte, ouvrir le dialogue avec la direction de son établissement.
Élève de terminale au lycée Robespierre d'Arras, Clotaire constate impuissant depuis la seconde, la démocratisation de l'usage de l'intelligence artificielle (ou IA) chez ses camarades de classe.
S'il avait déjà tenté d'alerter le corps enseignant des dérives potentielles liées à ces outils, on lui a toujours répété "qu'il s'agissait d'un enjeu de triche et que ça relevait de la responsabilité de l'élève" explique-t-il.
Mais en ce début d'année scolaire, il a décidé de prendre le problème à bras-le-corps. "Je me suis rendu compte que les élèves qui l'utilisaient m'impactaient." C'est pourquoi il a adressé une lettre ouverte à la direction de son établissement, détaillant les "ravages parfois invisibles que cause l'intelligence artificielle au sein des établissements scolaires de l'éducation nationale."
L'IA, le nouvel outil de triche en salle de classe
"Dans les lycées, on a 40% de contrôle continu. L'évaluation de ce contrôle continu ne s'effectue pas dans des conditions « type bac »" témoigne le lycéen. Cela laisse donc la porte ouverte aux différentes techniques de triches. Ces derniers temps, une manière plus sophistiquée s'est démocratisée chez les élèves : l'intelligence artificielle.
L'accès à Chat GPT, Gemini et consorts étant si simple, "on arrive à des proportions d'un tiers, voire la moitié d'une classe qui utilise l'IA. Et les professeurs n'interviennent pas parce qu'ils n'en ont pas forcément les moyens" constate-t-il.
Je me suis rendu compte que l'établissement venait à récompenser l'élève qui utilise l'IA.
Clotaire, 17 ansÉlève de terminale au lycée Robespierre d'Arras
L'aide apportée par ces outils est telle "qu'on a des classes où avec l'IA, on peut gagner deux points de moyenne générale. Mais dans les conseils de classe, le système de récompense est tributaire des notes. Je me suis rendu compte que l'établissement venait à récompenser l'élève qui utilise l'IA." Une injustice pour Clotaire, parce que l'intelligence artificielle peut apporter une aide dans tous les domaines et dépasse l'efficacité des antisèches les plus classiques.
Son aide va bien au-delà des rappels des points essentiels de cours. Clotaire y voit un outil "fourbe", parce que difficilement détectable par les professeurs, et prend l'exemple des cours de philosophie : "L'élève peut entrer toute la méthodologie de cours dans l'IA, ainsi que les notions de cours. Une fois devant le sujet de philosophie, l'IA rédige son devoir. C'est indétectable. Il peut même lui demander de faire des fautes d'orthographe ou de syntaxe pour que ça paraisse plus authentique."
Interdire l'IA ou réguler ses usages ?
Le fond du problème pour Clotaire, c'est que cela vient discréditer le travail accompli sans IA. "Dans les travaux de groupe, lorsqu'un élève utilise l'IA, il a l'ascendant sur l'élève qui ne l'utilise pas. En cinq minutes, il peut envoyer promener un travail fourni par le plus consciencieux des élèves."
Ce genre d'exemples l'ont amené à s'interroger sur la notion d'égalité en classe. Faut-il interdire l'intelligence artificielle à l'école ou faut-il en réguler ses usages ? Face à cette question, Clotaire a une opinion bien tranchée.
Bien sûr qu'il faut apprendre à utiliser l'IA, mais il faut aussi apprendre à utiliser notre esprit critique.
Clotaire Landriu, 17 ansÉlève de terminale au lycée Robespierre d'Arras
Pour certains "l'école est un temple du savoir, où on ne doit pas avoir d'outil numérique, c'est un point de vue qui se défend, mais je ne pense pas que ça soit la bonne solution" expose-t-il. Au contraire, il voit dans l'intelligence artificielle un "atout" pour ceux qui ont une "capacité critique", et prend l'exemple des "universitaires." Mais chez les collégiens et les lycéens, cette compétence n'est pas encore pleinement acquise selon lui. Il plaide pour une école qui travaillerait de concert avec l'IA.
"Pour travailler avec l'IA, il faut repenser le système éducatif complètement. Il faut repenser les programmes de l'éducation nationale dans leur intégralité en l'incorporant dedans", estime-t-il. "Bien sûr qu'il faut apprendre à utiliser l'IA, mais il faut aussi apprendre à utiliser notre esprit critique. L'interdire, ce serait prendre du retard par rapport aux attentes du supérieur."
"On a besoin d'une concertation générale"
Pour que l'intelligence artificielle puisse s'intégrer dans un projet pédagogique et ne soit plus uniquement un outil de triche, il a donc décidé d'alerter, seul, toute la communauté enseignante. Son cheval de bataille, réduire les inégalités générées par l'outil. "Il y a des distances qui se créent entre les élèves. Ceux qui en souffrent l'intériorisent, c'est pour ça que c'est important d'en parler."
Fruit d'une réflexion personnelle et au fil d'une discussion avec les élèves en vie de classe, et les professeurs de l'établissement, Clotaire a pris sa plume. Dans une lettre à destination du proviseur de son lycée, mais aussi pour tous les établissements de l'Arrageois, il a décidé "d'alerter [pour] enclencher une concertation globale, pour trouver une solution unanime à l'échelle de la France."
"Il ne s'agit en rien d'accabler ou de dénoncer qui que ce soit" écrit-il. "Simplement, il semblerait que faire face à ces nouvelles difficultés nécessite urgence, bienveillance, raison et unité."
À court terme, il espère que son courrier permettra la mise en place de différentes solutions dans le lycée, "telle que la mise en place de boîtes à smartphone, numérotées et sécurisées à l’entrée des salles de classe" ; "mettre à disposition des professeurs un outil de détection des travaux effectués par une IA" ou "la rédaction d’une circulaire indiquant une conduite à tenir face ou bien avec l’IA."