Alors que les élus de la Somme et d’Amiens célébraient la Journée nationale de la Résistance, ce 27 mai, le projet de création d’un centre de mémoire au "poteau des fusillés", pour lequel une association se bat depuis dix ans, reste dans l’impasse.
C’est une forme de résistance. Malgré les sollicitations et coups de pression par voie de presse d’une association au nom (Centre de mémoire et d’histoire de la Somme - Résistance et Déportation) aussi long que son combat (elle a été créée en 2012), les élus amiénois et samariens, dont certains célébraient ce vendredi 27 mai la Journée nationale de la Résistance, se refusent toujours à engager la construction d’un centre de mémoire au "poteau des fusillés".
"On a des musées partout pour la première guerre mondiale, il faudrait quelque chose pour la seconde !", martèle inlassablement Anatolie Mukamusoni, actuelle présidente de l’association qui porte ce projet depuis une décennie.
Ancienne professeure d’histoire-géographie, elle souligne que "la Somme est le seul département des Hauts-de-France à ne pas avoir de centre de mémoire du genre".
Valoriser un lieu emblématique de la Résistance et de la Déportation
Cette structure, l’association la verrait bien au "poteau des fusillés", site historique du fossé de la Citadelle d’Amiens, le campus qui fait la fierté de l’Université de Picardie Jules Verne mais qui fut, sous l’occupation allemande, une prison sanglante, un lieu de torture avant déportation… ou exécution : 35 résistants, âgés de 17 à 61 ans selon l’association, y ont été tués durant la guerre.
Mais qui s’en souvient ? À part quelques militaires venus s’exercer au centre de tir installé là dans les années 60, qui aurait conscience de cette histoire s’il arrivait aujourd’hui face à cette porte close et ce petit bâtiment aux fenêtres murées ? Car c’est ainsi que se présente aujourd’hui le poteau des fusillés, sur la place des martyrs, au bout d’une impasse.
En 2016, l’association nous avait fait visiter les lieux pour, déjà, réclamer une meilleure valorisation du site, à commencer par ce triste jardin, au bout duquel nous ne pouvions qu’imaginer, le coeur lourd, les deux poteaux sur lesquels les résistants furent attachés avant de mourir.
Depuis, les lieux ont été rénovés : une stèle, des photos et de brèves biographies de victimes ont été installées en partenariat avec la mairie, propriétaire du terrain.
"Madame la maire nous a confié les clés pour faire visiter à des établissements scolaires ou lors des Journées du patrimoine", ajoute Anatolie Mukamusoni.
Mais la bénévole en voudrait plus.
Nous possédons des objets d’époque, des livres, des témoignages. Il faudrait permettre au public de les consulter dans le bâtiment. Nous avons fait faire une étude d’architecte, il est habitable, il faut financer son aménagement, mais le problème est surtout après : qui le gère ?
Anatolie Mukamusoni, présidente de l'association porteuse du projet de musée
L’association imagine une permanence tournante entre ses bénévoles et des étudiants en histoire à l’UPJV, mais le musée aurait besoin d’un directeur, que la structure n’a pas les moyens de rémunérer.
Des « soutiens » qui n’engagent à rien
En dix ans, l’association a eu le temps de se rappeler au bon souvenir de différents élus. Et même d’accumuler les mots de soutien. Deux ministres successifs, le président de région et le président du conseil départemental (Stéphane Haussoulier) se seraient dits "prêts à s’engager à hauteur de 25%", selon l'association. La mairie aussi assure que son intérêt est "indéniable". Mais aucun ne veut porter lui-même le projet, prendre le drapeau.
Mon dernier échange, c’était avec Monsieur Haussoulier. Il a demandé à la mairie de lui céder le terrain et nous a donné beaucoup d’espoir avant les élections départementales. Mais depuis, silence radio.
Anatolie Mukamusoni
Contacté, le conseil départemental renvoie à un vœu de "soutien" adopté le 4 avril, qui confirme autant son intérêt pour le projet que son indisposition à le piloter.
Le Conseil Départemental se prononce pour accompagner ce projet de création d’un centre de mémoire à la Citadelle d’Amiens avec les partenaires locaux qui s’engageront pour porter cette ambition pour notre territoire.
Vœu du conseil départemental de la Somme
Contactée à son tour, la municipalité répond également par une citation : un extrait du conseil municipal du 3 mars, avant le vœu départemental, qui "reste la position actuelle" de la mairie.
Questionnée par le chef de l’opposition de gauche Julien Pradat, l’adjointe au maire Nedja Ben Mokhtar (déléguée à l’Égalité entre les femmes et les hommes, à la Lutte contre les discriminations et à l’Aide aux victimes) répondait, en substance, que la ville ne pouvait que constater l’abandon du projet par le département.
La ville d’Amiens était disposée à céder le terrain au conseil départemental, qui prévoyait d’y réaliser un mémorial. Mais ce dernier en a abandonné le projet, eu égard à son coût très élevé.
Nedja Ben Mokhtar, 4e adjointe au maire d'Amiens
Dans sa réponse, Nedja Ben Mokhtar semble dédouaner le conseil départemental de la Somme, en évoquant un autre argument : "un projet de centre de mémoire est également envisagé et retenu par la mairie d’Abbeville".
Un musée, mais ailleurs
Effectivement inscrit au programme municipal de Pascal Demarthe, ce projet a été confié au directeur des archives municipales d’Abbeville.
Nous n’en sommes qu’aux prémices. Je ne sais pas du tout combien ça coûtera, on élabore à peine le comité scientifique et le comité de pilotage. Mais l’objectif est d’avoir un équipement structurant de transmission et d’explication de la Seconde Guerre mondiale.
Éric Berriahi, directeur du projet de centre de mémoire à Abbeville
Le site mémoriel s’appuierait notamment sur la Bataille d’Abbeville, où un certain colonel de Gaulle s’était fait connaître en repoussant pendant quelques jours l’armée allemande, fin mai 1940. En trois semaines, il allait être nommé général, intégrer le gouvernement, le quitter, et appeler à la résistance le 18 juin.
Une page d’histoire éminente pour la région comme pour la France, qu’il paraît délicat de placer en concurrence avec le poteau des fusillés d’Amiens. L’association a-t-elle vocation à intégrer l’aventure abbevilloise ? "Aucun commentaire, ils n’ont pas pris contact, je ne les connais même pas", constate Éric Berriahi.
L'espoir reste permis pour le projet amiénois, mais en l'état, il semble donc bien parti pour rester dans son impasse.