La préfète de la Somme avait autorisé une période complémentaire permettant la vénerie sous terre des blaireaux jusqu’en septembre. Le tribunal administratif d’Amiens a retoqué l’arrêté préfectoral, en avançant que la chasse aurait touché "des petits" et porté préjudice à une espèce à la reproduction particulièrement lente.
"On est très contents. Annuler une période complémentaire, a priori, c’est une décision inédite dans la région", sourit Corinne Vasseur. C’est pourtant le sens de la décision prise par le tribunal administratif d’Amiens, le mardi 21 juin. Ce dernier a jugé, que les éléments présentés pour motiver la décision de la préfète de la Somme, Muriel Nguyen d’étendre la période de chasse aux blaireaux et plus précisément la pratique de la vénerie sous terre, n’étaient pas suffisants.
"C’est la preuve que les arguments sur la souffrance animale commencent à être entendus", se réjouit la membre du groupement de défense de l’environnement du Pas-de-Calais. "La vénerie sous terre, qui consiste à déterrer les animaux au fond de leur terrier, à les terroriser pendant des heures à l’aide de chiens de chasse est une pratique barbare. Rien ne justifie un tel acharnement contre les blaireaux, ils ne sont pas nuisibles, mais malheureusement encore chassables en France."
Cette décision d’annulation de la période complémentaire d’une chasse s’inscrit dans une dynamique assez récente. "Après les victoires de l’ASPAS dans la Meurthe-et-Moselle, en Ardennes et en Ille-et-Vilaine, les bonnes nouvelles continuent de pleuvoir pour les blaireaux en 2022", rappelle l’ASPAS, association pour la protection des animaux sauvages qui a interpellé le tribunal aux côtés de l’AVES, sur son site.
Le difficile recensement des blaireaux
Deux éléments ont servi de pivot à cette décision qui empêche donc à la vénerie sous terre de se poursuivre jusqu’au 17 septembre comme l’y autorisait l’arrêté. En l’espèce, le juge a estimé que la préfète s’était "bornée" alors que les éléments présentés concernant les effectifs et la densité des blaireaux ne justifiaient pas "des mesures de régulation destinées à préserver un équilibre agro-sylvo-cynégétique qui serait compromis par cette espèce", précise-t-il dans son ordonnance. "La décision ne fixe pas le nombre maximum d’animaux pouvant être tués", ajoute-t-il.
La prolifération de l’animal est au cœur des divergences entre chasseurs, agriculteurs et associations de défense pour les animaux. "Je n’ai pas les chiffres précis, mais visuellement, entre les terriers, le comptage par gueules et le fait qu’ils ont des structures familiales assez définies, on sait qu’il y en a beaucoup", avance le porte-parole de la Fédération de chasse, Hubert Séré. "Ils ont sorti une étude il y a peu, mais elle n’est pas scientifique, rétorque Corinne Vasseur. Pour attester de la présence d’un blaireau ou plusieurs, on ne peut pas se contenter de dire : 'il y a un terrier, donc il est habité par une famille, on demande à l’agriculteur le comptage par gueule et on prend l’estimation haute'. Il faut passer plusieurs fois, prendre des photos, ça prend du temps."
Si les chasseurs sont peu exposés aux blaireaux, ce n’est pas le cas des agriculteurs, selon Hubert Séré. "Le blaireau n’a pas de prédateur et il se reproduit assez vite. On a peur qu’il y ait un gros pépin un jour avec une machine par exemple qui s’enfonce, parce qu’ils sont capables de creuser d’énormes cavités", confie le porte-parole.
La mise en danger des blaireautins
Une vitesse de reproduction contestée par différentes études indépendantes pour une espèce dont la mortalité périnatale est extrêmement élevée. "En plus, avec les différentes sécheresses, le printemps a été compliqué, avec des blaireautins mal nourris, en carence. On est à un taux de mortalité qui dépasse les 70%", précise Corinne Vasseur.
L’arrêté attaqué n’empêche pas l’exercice d’une chasse à l’aveugle au cours de laquelle des petits seront nécessairement touchés, peut donc porter préjudices (…) à la population du blaireau eu égard à la dynamique de reproduction particulièrement lente.
Ordonnance du tribunal administratif d’Amiens datée du 21 juin 2022
La prolongation du déterrage du blaireau aurait empiété sur une période cruciale de la reproduction de l’animal. Les blaireautins étant "encore en période de sevrage en mai et juin et leur dépendance aux adultes peut prendre fin entre août et novembre", a appuyé le juge. L’arrêté ne respecte pas l’article L. 424-10 du Code de l’environnement, selon lequel "il est interdit de détruire (…) les portées ou petits de tous mammifères dont la chasse est autorisée".
Corinne Vasseur espère que cette décision n’est que le début. "Il reste peu de terrain favorable aux blaireaux, on devrait se réjouir d’avoir cette chance dans la Somme. Si ces décisions peuvent mettre en lumière la situation de cet animal méconnu du grand public, de mieux le protéger et de mettre fin à la vénerie sous terre, pratique que même certains chasseurs ne cautionnent pas, c'est super."
D'après elle, la France fait partie "des derniers pays européens à persécuter les blaireaux, et elle est la seule à autoriser leur déterrage, tout comme celui des renards, en pleine période d’élevage des jeunes."