Pendant plus de vingt ans, Christelle Doisy a changé d'identité, de ville, d'apparence et de compagnon pour commettre des escroqueries. Son procès se tient ces 12 et 13 septembre au tribunal judiciaire d'Amiens.
C'est un procès qui s'annonce dense et complexe : le tribunal aura deux jours pour retracer l'improbable parcours de Christelle Doisy, une quinquagénaire originaire de l'Yonne qui s'est spécialisée dans les arnaques et les impayés depuis la fin des années 90. D'Albert à l'Ardèche, en passant par Amiens, Tours, la Côte d'Azur, la Belgique, le Maroc et la Grèce, Christelle Doisy a multiplié les identités, les cavales et menti à certains de ses maris pour les ruiner.
Frédéric Descours, son dernier époux en date sera entendu comme témoin, il attend que son volet de l'affaire soit versé à la procédure pour être considéré comme victime. Son précédent mari est jugé comme complice mais veut également être reconnu comme victime. De nombreuses personnes seront présentes en tant que parties civiles. Les accusés devront répondre de 42 délits commis entre 2010 et 2016, mais ce n'est qu'une partie des nombreuses arnaques pour lesquelles Christelle Doisy est inquiétée par la Justice. Panorama d'un dossier aux innombrables ramifications et rebondissements.
Les premières arnaques
Christelle Doisy est connue des tribunaux depuis 1997, où elle est condamnée à six mois de prison avec sursis par le tribunal de Sens, dans l'Yonne, pour escroquerie et outrage sur personne dépositaire de l'autorité publique. Mais c'est en 2001 qu'elle fait pour la première fois de la prison ferme, à la suite d'une condamnation du tribunal du Mans pour vol, falsification de chèques, faux et usages de faux.
D'après nos confrères du Parisien qui ont eu accès aux rapports d'enquête, la mère de Christelle Doisy, entendue par la police à l'époque, relate que sa fille avait déjà pour habitude de ne pas payer ses loyers et d'inventer des histoires pour manipuler son entourage. Elle sera condamnée dans différents départements tout au long des années 2000.
En 2010, Christelle Doisy refait surface dans le sud de la France, où elle séduit Frédéric Descours sur un site de rencontres. Il dit ignorer qu'elle est alors en cavale : elle s'est échappée en 2009 de la maison d'arrêt d'Agen où elle bénéficiait d'un régime de semi-liberté, qui autorise les sorties pendant la journée pour favoriser la réinsertion des détenus. Elle utilise le prénom Alexandra pour contacter ce retraité de la Marine nationale âgé de 55 ans qui vit avec ses parents à la campagne.
"Alexandra" contre les tueurs à gage
Après quelques échanges en ligne, Frédéric Descours rencontre "Alexandra" et leur couple se forme. Elle tombe rapidement enceinte et ils se marient en 2011 au Danemark, sur une île connue comme le "Las Vegas européen" où une union peut être officialisée en un quart d'heure. Elle accouche en Belgique en juin de cette année et le couple multiplie les domiciles en France, part quelque temps au Maroc, revient en Belgique en 2013 pour la naissance de leur fille puis s'installe dans différents départements de France.
Dans ses témoignages accordés à la presse, Frédéric Descours se souvient avoir habité une cinquantaine d'appartements différents en six ans. Le couple utilise de fausses identités, ne paie pas les loyers des meublés qu'il occupe et en dérobe parfois les meubles. Ils sont en outre accusés d'autres vols et d'extorsions, en tout, 42 infractions pour lesquelles Frédéric Descours doit être jugé aux côtés de Christelle Doisy.
Mais lorsque les gendarmes de la section de recherche de la gendarmerie d'Amiens défoncent la porte de leur domicile de Conty, dans la Somme, en 2016, Frédéric Descours affirme être, lui aussi, une victime de son épouse. D'après lui, elle justifiait leur vie de cavale en lui racontant "être poursuivie par des tueurs à gage après avoir participé à une expérience médicale interdite". Une histoire dont elle s'est également servie pour escroquer un garde du corps en 2014. Frédéric Descours dit avoir perdu 200 000 € dans cette relation, avoir été drogué et manipulé, réfutant toute complicité volontaire. Christelle Doisy, elle, affirme qu'ils prenaient les décisions ensemble. Une zone d'ombre supplémentaire que le procès devra éclaircir.
Une jeune Belge droguée et désorientée
En 2016 à Conty, les gendarmes retrouvent aussi une jeune femme Belge de 18 ans au domicile de Christelle Doisy et Frédéric Descours. Initialement, elle n'est pas capable de décliner son identité. Elle raconte aux enquêteurs qu'elle ne peut pas retourner dans son pays car elle y est recherchée à la suite du meurtre de son père par sa mère, qu'elle risque d'aller en prison ou de se faire tuer.
Il n'en est rien et les parents de la jeune femme la cherchent depuis des mois. Elle réalise qu'elle a été droguée avec des anxiolytiques et a travaillé gratuitement pour le couple, qui lui aurait en outre fait changer d'apparence plusieurs fois afin de prendre de fausses photos d'identité. Christelle Doisy et Frédéric Descours sont donc également poursuivis pour "traite d'être humains ayant placé la victime dans un état psychologique grave" et pour lui avoir administré des anxiolytiques à son insu.
Elle n'a jamais tenu les rênes de cette affaire. Toutes les décisions étaient prises en commun.
Paul-Henri Delarue, avocat de Christelle Doisy
Et là encore, Christelle Doisy, par la voix de son avocat affirme qu'"elle n'a jamais tenu les rênes de cette affaire. Toutes les décisions étaient prises en commun [...] La jeune fille au pair Belge, qui a vécu avec le couple pendant une longue période, a confirmé, même en confrontation avec Frédéric Descours et alors qu'elle n'a aucun parti pris, qu'il a joué un rôle. D'ailleurs, comment croire qu'un homme de 15 ans son aîné, militaire de carrière et dépeint par son entourage comme une personne avec un caractère bien trempé puisse être manipulé à ce point ?", relève Paul-Henri Delarue, avocat de Christelle Doisy.
"Il ne restait plus rien dans la maison, il n’avait même plus un slip"
Après leur interpellation en 2016, Christelle Doisy et Frédéric Descours sont placés en détention provisoire. Ils en sortent un an plus tard et Christelle Doisy ne perd pas son temps. Elle utilise un site de rencontres pour séduire Bruno L., ouvrier à Amiens. Il a alors 51 ans et vient d'hériter de 30 000 €. Elle gagne sa confiance, ils se marient en 2018 et c'est elle qui gère les finances du couple.
Tout bascule en août 2019, lorsque Bruno L. rentre chez lui après sa journée de travail. "La maison avait été totalement vidée par Mme Doisy, relate maître Angélique Crépin, avocate de Bruno L. Il ignorait qu’il était poursuivi par les huissiers car elle n’avait pas payé les loyers. Il ne restait plus rien dans la maison, il n’avait même plus un slip."
Menacé par un avis d'expulsion qu'il découvre dans la boîte aux lettres, Bruno L. se rend compte que Christelle Doisy a également falsifié sa signature pour contracter des prêts à la consommation et même, quelques mois plus tard, qu'elle a signé le bail d'un autre logement à son nom. Là non plus, les loyers n'ont pas été payés.
Il n’a pas été pris au sérieux, son dossier a été pris par-dessus la jambe
Angélique CrépinAvocate de Bruno L.
Criblé de dettes, son véhicule volé, accusé de fraude par la CAF, Bruno L. ignore encore l'histoire de Christelle Doisy lorsqu'il prend un avocat pour tenter de se dépêtrer de ce marasme financier. Sa plainte est initialement classée sans suite, "il n’a pas été pris au sérieux, son dossier a été pris par-dessus la jambe par les services de police et le procureur, regrette son avocate. Mais pour leur défense, c’était en plein COVID, je pense que ça a participé".
Elle décrit un homme "terrassé" qui a "perdu sa dignité". La justice change finalement d'avis en février 2024 et l'enquête est rouverte, mais en fin de semaine, il n'interviendra qu'en tant que témoin. D'après Angélique Crépin, Frédéric Descours espère que le témoignage de Bruno L. participera à le disculper. L'avocate attend quant à elle que son client puisse être reconnu comme victime à part entière, dans ce procès ou dans un autre, car une procédure contre Mme Doisy est également ouverte dans le sud de la France.
Rien n'arrête Christelle Doisy ?
Le dernier chapitre de ce feuilleton n'est pas le moins croustillant. Après sa "disparition" de la vie de Bruno L., Christelle Doisy continue les arnaques avec son nouveau compagnon, Guillaume T., chauffeur routier. Ils laissent de nouveaux loyers impayés dans la Somme, puis en 2022, alors qu'elle est sous contrôle judiciaire, le couple embarque avec les deux enfants de Christelle Doisy pour l'Ardèche où ils ouvrent un restaurant dont ils ne régleront jamais la caution ni les loyers.
L'aventure dure d'avril à novembre, les gendarmes retrouvent leur trace, les enfants sont remis à leur famille d'accueil. En janvier 2023, Christelle Doisy est à nouveau libre et retourne dans le Sud, près de Nice. Le couple loue à nouveau un restaurant dont les loyers ne seront pas honorés.
En mai 2023, le procès pour ses escroqueries de 2010 à 2016 doit s'ouvrir à Amiens, elle se dit alors victime d'un accident de scooter et fournit un certificat médical au tribunal. Le procès est renvoyé à la fin du mois de novembre. Mais le premier novembre, Christelle Doisy disparaît avec ses deux enfants âgés de 10 et 12 ans à bord d'un camping-car volé. Ils sont retrouvés dix jours plus tard sur l'île de Samos, en Grèce. Christelle Doisy est incarcérée en France le 25 novembre 2023 mais refuse de comparaître à son procès, ce qui entraîne un nouveau renvoi... en avril 2024.
En avril, elle affirme avoir fait une mauvaise chute entraînant un traumatisme crânien durant son incarcération. "Je ne suis pas capable de m'exprimer parce que je ne me souviens pas" indique-t-elle aux magistrats. Son avocat rapporte qu'elle a également entamé une grève de la faim de trente jours, en mai, qui l'a considérablement affaiblie. "Elle a entamé cette grève de la faim parce qu'elle considérait, qu'après deux accidents graves en détention, elle n'avait pas été correctement suivie sur le plan médical".
Une personnalité déviante
Le procès est finalement renvoyé aux 12 et 13 septembre 2024. Le tribunal ne devrait pas avoir à débattre de la culpabilité de Christelle Doisy, qui reconnaît les faits, mais de la personnalité de l'accusée. Son avocat Me Delarue devrait d'ailleurs s'appuyer sur l'expertise psychologique "qui ouvre une piste sur les raisons des comportements déviants de ma cliente, de ses vies multiples et de ses infractions", abonde-t-il. Selon l'expert, mandaté par le juge d'instruction, "L’histoire infantile et familiale que rapporte Mme Doisy plaide en faveur de carences affectives, particulièrement avec la mère. [...] Son sentiment de privation est intense. Le vécu rapporté par l’intéressée [...] souligne des ruptures de liens qui ont certainement contribué au développement d’une personnalité marquée par un intense vécu de manques, de frustrations [...] susceptibles d’induire [...] une avidité, un besoin de satisfaction à la source de conduite délictueuse à visée matérielle ou financière".
Cette fin de semaine sera peut-être l'épilogue de cette impressionnante cavale, à moins que Christelle Doisy n'ait encore quelques surprises à réserver au tribunal.
