Ils ont obtenu leur licence, ont postulé pour plusieurs masters, mais rien à faire. Tous leurs vœux sont refusés. Au mieux, ils sont sur liste d’attente. Inquiets pour leur rentrée, ces étudiants sans master dénoncent leur situation.
"On nous pousse à faire de longues études pour qu’on nous coupe dans notre lancée". À 20 ans, Mathilde Garcia est diplômée d’une licence de droit, obtenue à l’université d’Amiens. Son projet professionnel est clair : poursuivre ses études dans un master de droit pénal et devenir avocate pénaliste. La jeune femme a ainsi postulé à quinze masters, au sein de sept universités. Début juillet, les résultats tombent : "J’ai été refusée de partout pour résultats insuffisants, les listes sont pleines sauf à Amiens où je suis en liste d’attente". Pourtant, l’étudiante n’a pas un mauvais dossier :
Pour valoriser mon dossier, j’ai fait des stages, même non-obligatoires, dans des cabinets d’avocats. Lorsque je pouvais choisir entre une matière et un stage, je choisissais le stage.
Quatorze refus, une liste d’attente. Si rien n’est encore perdu, un mail est venu récemment amplifier les craintes de Mathilde Garcia, et certainement celles des autres étudiants sur liste d'attente. "Nous avons reçu un mail automatique de l’Université d’Amiens nous disant que nous aurions des nouvelles qu’au début du mois de septembre". Un mois et demi d’attente pour connaître le verdict et le flou total sur sa position sur la liste. "Ils ne nous donnent pas de numérotation donc je ne sais pas si je suis proche ou pas. La scolarité nous a dit qu’elle ne pouvait pas nous donner plus d’informations."
Un sentiment d’abandon
Face à cette situation, Mathilde Garcia se sent "abandonnée, impuissante". Sentiment qu’elle partage avec des centaines d’autres étudiants à travers la France. Certains ont lancé un mouvement sur les réseaux sociaux : #EtudiantsSansMaster. Allant même jusqu'à créer une pétition rassemblant à ce jour près de 3 000 signatures.
Signez la pétition « Stop en massacre de la sélection en Master ». Nous souhaitons une sélection unique, commune à tous, juste et équitable pour tous les étudiants français ⬇️⬇️ #EtudiantSansMaster #EtudiantsSansMaster
— Victor Edouard #EtudiantSansMaster (@dearvictor75) July 9, 2021
"C’est une source d’angoisse pour les étudiants. Ces personnes ont quand même fait trois années de licence. Pour certains, ils ont quand même des notes satisfaisantes, ils aimeraient continuer et on leur barre la route", explique Roman Laniel, président de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) de Picardie.
"Il y a de la peur aussi étant donné la conjecture qui n’est pas favorable pour les étudiants. Se dire qu’on va se retrouver juste avec une licence sur le marché, pour certains, c’est très anxiogène, ajoute Félix Bodoulé Sosso, président de la Fédération des associations étudiantes picardes (FAEP). C’est une situation qui collectivement est très difficile pour la communauté étudiante, mais aussi pour les universités, car ce n’est pas avec plaisir qu’ils refusent des étudiants en master".
Trop de candidatures, pas suffisamment de places
Car si les vœux universitaires en masters sont refusés, c’est qu’il n’y a simplement pas assez de places pour l’ensemble des étudiants obtenant leur licence. "Ce n’est pas qu’il y a de moins en moins de places en masters, c’est plutôt l’inverse", explique Félix Bodoulé Sosso de la FAEP.
Il y a une tendance à l’augmentation des places en masters en raison de l’ouverture de nouveaux masters. Mais ce qui pose souci, c’est le nombre d’étudiants qui augmente en licence. C’est bien que l’enseignement supérieur se démocratise, mais, le ratio de places en masters ne s’ouvre pas à la même vitesse.
Au sein de l’Université de Picardie Jules Verne (UPJV), on justifie ce manque de places en masters par : "des filières en tension pour lesquelles nous ne pouvons pas ouvrir de places supplémentaires". L’UPJV a transmis quelques chiffres : en masters de droit, ce sont 3 244 dossiers qui sont étudiés pour une capacité d’accueil de 208. En psychologie, 2 592 dossiers sont étudiés pour une capacité d’accueil de 110. Soit respectivement 6 et 4% de chance d’intégrer ces masters.
Des recours possibles, mais sans forcément de débouchés
"Du côté de la fédération, on oriente les étudiants qui nous envoient un message. On a plusieurs démarches à leur proposer", explique Félix Bodoulé Sosso. En effet, des recours sont possibles pour les étudiants sans master.
Un étudiant peut s'adresser à la scolarité de la composante qu'il souhaite intégrer. Il y a des adresses mail auxquelles écrire. Sans réponse favorable à sa demande, et s'il a bien fait ce que demandait la procédure e-candidat, il peut demander une saisine au rectorat de grande région : les dossiers sont étudiés, et nous proposons des places dans les masters en disposant encore.
Seulement, le master proposé à l’issue de cette démarche peut ne pas convenir au projet professionnel de l’étudiant. "Les recours ne donnent pas systématiquement des réussites. Une partie des étudiants ne remplissent pas nécessairement les conditions pour demander un recours, une partie des étudiants sont refusés malgré le recours", continue Félix Bodoulé Sosso.
Au vu de sa situation, Mathilde Garcia, n’imagine pas une issue favorable à un possible recours. "Actuellement, je ne peux pas faire de recours au rectorat, car pour le faire, il faut n'avoir eu que des refus et comme je suis sur liste d’attente sur un master, je suis bloquée jusqu’à septembre", explique la jeune femme. "Si je suis refusée en septembre, le recours au rectorat ne servira à rien, car ils auront déjà donné toutes les places", se résigne-t-elle.
De nouvelles places créées
Vendredi 9 juillet, Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur, a annoncé qu’entre 3 000 et 4 000 places supplémentaires seraient créées à la rentrée prochaine, dans les filières en tension.
EN DIRECT | Conférence de presse #MaRentréeEtudiante https://t.co/EzuZrshNSP
— Ministère Enseignementsup, Recherche, Innovation (@sup_recherche) July 9, 2021
"4 000 places, c’est dérisoire. À l’UPJV, on est 30 000 étudiants et en France 2,7 millions. Proportionnellement, ça ne va pas", fustige Roman Laniel de l’UNEF. À l’UPJV, l’annonce est directement désamorcée : "Nous ne pouvons pas ouvrir de places supplémentaires dans les filières en tension : manque de locaux, manque d'enseignants, manque de moyens financiers, et manque de débouchés".
Ainsi, pour pouvoir réellement accueillir les étudiants souhaitant poursuivre leurs études, la question d’un investissement réel dirigé vers l’Éducation nationale se pose. Une mesure défendue par l’UNEF :
De manière générale, on souhaite un investissement réel dans les universités pour qu’il y ait plus d’amphithéâtres, plus de places afin de permettre au plus grand nombre de bénéficier des études qu’il souhaite.
Pour la FAEP, l’orientation avant même l’entrée à la fac permettrait de désengorger l’entrée en master. "Le travail d’orientation permettrait d’éviter que des filières soient en surtension, car tous les étudiants sont orientés vers les mêmes domaines ou qu’ils n’ont pas entendu parler d’autres filières peut être même plus professionnalisantes. C’est un enjeu majeur pour les capacités d’accueil de masters même si ça a l’air d’être des problèmes décorrélés, il y a une vraie causalité", explique Félix Bodoulé Sosso.
Dans un peu plus d’un mois, Mathilde Garcia, elle, sera fixée. En cas d’énième refus, elle postulera dans un diplôme universitaire, là encore, très sélectif.