Louise Boyard s’est lancée dans le combat de l’anti-gaspillage il y a six ans. À Amiens, sa ville natale, elle a créé l’association Robines de bennes, qui récupère les denrées alimentaires et les vêtements pour les redistribuer. Une véritable activité à temps plein pour la militante, qui nous raconte les origines de son engagement.
Louise nous accueille ce jour-là à l’occasion d’une de ses freeperies mensuelles, organisées par son association, les Robines des bennes. La salle n’est pas encore ouverte au public. Comme à chacune de nos rencontres, la jeune Amiénoise est à cent à l'heure. Elle trie, plie et range les vêtements, échange quelques informations avec les bénévoles, organise les derniers détails. Elle court partout. Et il faut la suivre !
Déjà en septembre 2019, nous l’avions suivie dans les poubelles des supermarchés. Plusieurs nuits par semaine, elle s’en allait, armée de cabas, de cageots et de sa précieuse lampe torche et plongeait dans les bennes avec quelques acolytes. Elle récupérait alors les denrées encore consommables, jetées dans les bennes et elle les redistribuait. La présence d’une équipe de télévision lors ces sorties était l’occasion, pour elle, de montrer l’ampleur du gaspillage alimentaire. Car c’est bien la préoccupation majeure de Louise, celle qui lui donne la force de bouger les lignes : le gaspillage.
De l'anti-gaspillage à l'aide aux plus démunis
Cinq ans plus tard, l’association s’est structurée, Louise est salariée des Robines, elle travaille avec près de 150 bénévoles et développe de nombreux projets. Celui de la freeperie est né le 2 février 2020 avec le premier évènement organisé à Amiens sur deux jours. L'association a fait du chemin.
Ce samedi 28 septembre 2024, une foule attend à l’entrée du bâtiment de la rue Valentin Hauy, une salle mise à disposition par la mairie. Les portes s’ouvrent et déjà, des personnes seules mais aussi des familles, équipées de cabas vides, se pressent pour être les premiers à entrer dans cette caverne d’Ali Baba. Ici, vêtements, accessoires, chaussures, pour tous les âges sont donnés.
Mais, avant de pouvoir pénétrer dans cette "boutique" éphémère, il faut montrer patte blanche. À l’entrée, Lorraine veille. "Bonjour, bienvenue chez les Robines. Avez-vous votre carte d’adhérent ?" Une carte annuelle d’un montant de deux euros dont il faut s’acquitter pour pouvoir profiter de tous les services proposés. "Avec cette carte, vous pourrez bénéficier de toutes les distributions alimentaires, de tout ce qui est végétal et des freeperies gratuites. Et là, vous pouvez remplir un cabas par personne", explique la bénévole aux nouveaux adhérents.
Sur des portants, des tables et des boîtes, les vêtements sont triés par taille, les "clients" fouillent et autour d’eux, les bénévoles s’activent pour réassortir les étals. Des dons qui proviennent à 90 % de particuliers et 10 % d’entreprises partenaires. "L’objectif, c’est de donner une seconde vie à ces vêtements et en plus, on les rend accessibles à tous. C’est une activité phare des Robines des bennes qui nous permet de toucher beaucoup de gens. On lutte contre le gaspillage textile et on agit sur la précarité vestimentaire", explique Louise, qui s’active dans les rayons.
Ça me réjouit de voir des gens aussi différents dans un même espace. Quelle mixité sociale !
Louise Boyard, présidente de l'association les Robines des bennes
Autour d’elle, des étudiants et des familles nombreuses dans le besoin mais aussi des personnes sensibilisées au gaspillage textile. "On rencontre pas mal de jeunes qui veulent éviter d’acheter du neuf, qui sont convaincus par le développement durable. C’est tout ce petit monde qui se retrouve dans les freeperies. Ça me réjouit de voir des gens aussi différents dans un même espace. Quelle mixité sociale !", souligne Louise.
C’est un vrai succès. On distribue entre deux et trois tonnes de vêtements par freeperie.
Louise Boyard, militante anti-gaspi
Louise sait fédérer. Depuis la première freeperie 100 % gratuite, lancée en 2020, chaque édition fait le plein, une fois par mois. Un concept itinérant qui accueille plus de 1 000 personnes à chaque évènement. "C’est un vrai succès. On distribue entre deux et trois tonnes de vêtements par freeperie. C’est incroyable ! Le textile, c’est une industrie super polluante avec la teinture, les conditions de travail affreuses et ensuite le transport, le coût carbone. Avec ces freeperies, on sauve des déchets", assure la présidente des Robines des bennes. "En commençant, je n’avais pas envisagé que cela prendrait cette ampleur, que ça allait autant changer le quotidien des gens. Je suis très émue", ajoute-t-elle.
L’association grandit. Il faut suivre, mais on a notre chef avec nous, notre mentor.
Lorraine Buignet, co-présidente de l'association les Robines des bennes
Aider, mais ne surtout pas assister "parce que chacun est maître de sa vie", une formule répétée par Louise comme un mantra pour garder ce cap. Et elle est valable aussi pour les bénévoles. Certains sont des compagnons de la première heure.
En 2019, Louise voit grand et organise une réunion publique pour réunir autour de ses valeurs anti-gaspi. Lorraine est là et accroche immédiatement. "À l’époque, mon conjoint et moi venions de perdre notre travail. J’étais au plus mal. Louise cherchait des personnes pour l’accompagner dans ses projets. Je ne regrette rien. Elle m’a beaucoup aidée à remonter la pente. Je lui dois tout", confie la bénévole.
Lorraine est désormais co-présidente de l’association. Elle est aussi assistante maternelle et tous ses temps libres sont désormais dédiés aux évènements des Robines. D’ailleurs, elle ne cache pas sa fatigue. "Une bonne fatigue", souligne-t-elle, "de celles qui nous poussent. L’association grandit. Il faut suivre mais on a notre chef avec nous, notre mentor. Louise est toujours agréable, joyeuse mais elle a aussi son caractère. C’est pour ça que les choses avancent. On est toujours en action", sourit Lorraine.
Les origines de l'engagement
Louise est une infatigable, une passionnée. Elle commence sa vie militante à l’âge de 23 ans. "En 2015, je me suis retrouvée devant des abattoirs. À l’époque, je militais pour les animaux. Ça a été un déclic pour moi. Je me suis rendu compte qu’il existe vraiment des êtres moins privilégiés. Et puis, parce que je suis une femme, j’ai pris conscience aussi des inégalités homme/femme. En 2017, avec des nanas extraordinaires, on a créé le collectif lesbien et féministe 'Les bavardes', pour commencer à déconstruire. Pour moi, la lutte contre l’oppression est centrale."
On faisait les poubelles pour récupérer les denrées consommables et se nourrir. Et là, je me suis rendue compte du gaspillage alimentaire. Ça m’a bouleversée.
Louise, militante anti-gaspi
Louise découvre et vit l’aventure jusqu’au bout. C’est lors d’un voyage de six mois à Montréal, en 2018, qu’elle est sensibilisée au gaspillage. "Je suis partie d’Amiens sans argent, sans logement sur place, pour changer d’air. Je vais alors habiter chez les gens que je rencontre. Une Québécoise m’initie au dumpster diving, littéralement : la plongée dans les bennes. On faisait les poubelles pour récupérer les denrées consommables et se nourrir. Et là, je me suis rendu compte du gaspillage alimentaire. Ça m’a bouleversée", se souvient-elle.
En rentrant de son périple, Louise décide de continuer ses fouilles à Amiens. "J’ai motivé deux amis. On est partis avec ma petite voiture. On n’est pas allés bien loin parce que dès qu’on est arrivés aux poubelles du premier supermarché, on a su que l’on ne pourrait pas tout prendre. La voiture était pleine. Il y avait des jouets, des livres, de la nourriture partout." Louise décide de poursuivre ses recherches dans les profondeurs des bennes et de distribuer de chez elle.
Elle se fait connaître par les réseaux sociaux et les demandes affluent. "Ça demandait une sacrée organisation parce qu’il fallait y aller la nuit quand les magasins sont fermés. Et puis, c’était interdit car les poubelles sont considérées comme des biens privés." Mais rien ne peut arrêter Louise, qui a déjà des valeurs bien ancrées. "Le but pour moi, c’était de questionner le capitalisme, la société de grande consommation et conscientiser les gens. Une fois qu’on a vu ces poubelles pleines de denrées consommables, impossible de ne pas s’investir."
Depuis, l’association a mis en place des partenariats avec les supermarchés et a cessé le dumpster diving mais l’esprit est toujours là. "On glane dans les champs avec l’accord des agriculteurs, on a développé des frigos partagés avec la ville d’Amiens, une conserverie citoyenne pour transformer ces denrées. En plus des freeperies, on a installé des chalets dans le centre-ville pour que les personnes à la rue viennent se servir de vêtements. Et on vient de lancer 'Sauve qui pousse', pour éviter le gaspillage végétal. On soigne les plantes abandonnées dans une clinique végétale", détaille Louise.
Attention au burn out
Et l’épuisement associatif dans tout ça ? Les idées foisonnent dans la tête de Louise et malgré l’embouteillage, elle parvient à les concrétiser, année après année. Mais elle n’ignore pas l’épuisement associatif. "Lutter contre l’oppression est épuisant parce qu’il y en a partout. Je fais attention à ne pas me faire aspirer. Désormais si je ne peux pas aller récupérer les légumes donnés par un agriculteur un jour, je me dis : "Ce n’est pas grave, j’irai demain". Se protéger et garder son énergie est essentiel pour pouvoir continuer. Penser aux autres, c’est chouette mais j’ai un peu de mal à penser à moi. Ma compagne me remet souvent dans le droit chemin", confie la militante, qui garde les pieds sur terre et n’oublie pas pourquoi elle a choisi cette voie.
J’ai fait des sacrifices pour en arriver là, c’est beaucoup de travail.
Louise
Formée comme éducatrice spécialisée, elle travaillait autrefois à la Protection judiciaire de la jeunesse, avec de jeunes délinquants sortant de prison. "C’était horrible. C’est là que j’ai perdu le sens. Je me fatiguais sur des institutions qui ne sont pas bienveillantes parce qu’elles sont imbriquées dans un système d’oppression. J’en suis sortie et j’en suis heureuse. Mener son propre bateau, ça a du sens pour moi. Mes valeurs sont respectées. Mais j’ai fait des sacrifices pour en arriver là, c’est beaucoup de travail."
Louise a fait une croix sur une paie régulière pour se retrouver au chômage pendant plusieurs années, avant de monter l’association. "J’ai beaucoup changé depuis mes débuts. Je me voyais un peu comme une révolutionnaire. Depuis, je me suis adoucie et je fais des compromis. Ça aide à tenir la distance. Et puis, le plus précieux, c’est qu’aujourd’hui, on a changé le monde de beaucoup de gens à Amiens. 10 000 bénéficiaires de nos distributions alimentaires, freeperies, ce n’est pas rien. Quand on peut faire évoluer les choses localement, c’est visible. Et on s’épuise moins."
Six ans après la naissance des Robines des bennes, Louise a déjà d’autres projets, plus grands encore. "J’aimerais faire de la politique et ça me pose beaucoup de questions. Mais, il faut que ce soit un bateau que je mène pour faire bouger les lignes. Si je dois quitter les Robines, je préparerai la suite. De toute façon, l’association ne peut pas s’effondrer parce que je ne suis pas seule. On est nombreux à vouloir garder cet esprit", conclut-elle.