"Quand j’étais au 115, on me faisait sortir dehors. La journée, je la passais à la gare", Esther, mineur isolée, nous confie son parcours chaotique

De nombreux adolescents fuient chaque année leur pays, seuls, et se retrouvent à la rue lorsqu’ils n’ont pas obtenu la protection de l’État. Face à cette situation dramatique, le Réseau d’éducation sans frontières les accompagne, les scolarise et organise leur hébergement. Esther fait partie de ces mineurs isolés. Nous l’avons rencontrée dans sa famille d’accueil.

Comme tous les vendredis soir, Esther rentre du lycée où elle est scolarisée depuis la rentrée. Un établissement dans une commune, située au nord d’Amiens, où la jeune fille de 17 ans suit un CAP restauration. La semaine, elle dort à l’internat. Le week-end, elle est hébergée chez Hubert et Sandrine, sa famille d’accueil.

Lorsqu’elle retrouve le couple, en fin de semaine, c’est l’occasion pour faire le point sur ses cours et son intégration au lycée. Une ambiance, dans une famille ordinaire, à la grande différence qu’Esther n’a pas eu un début de vie comme les autres adolescents de son âge. "J’ai été mariée de force dans mon pays. On a marié ma mère à l’âge de 13 ans. C’est l’âge où on marie les filles, dès la puberté. L’homme m’a fait du mal", confie Esther.

Une adolescence chaotique

L’adolescente a fui le Congo à l’âge de 16 ans, avec l’aide d’une femme. Lorsqu’elle est arrivée en France, à Paris, elle s’est retrouvée seule, à la rue, pendant plusieurs mois. Puis, elle est partie à Amiens, où elle a connu les foyers et les centres d’hébergement d'urgence. Elle n’a pas été reconnue comme mineure par l’Aide sociale à l’enfance et ne peut donc prétendre à aucune protection de l’État. "Quand j’étais au 115, on me faisait sortir dehors la journée et je rentrais à 19 heures. La journée, je la passais à la gare", explique Esther.

"Ici, je dors comme je veux, je n’ai pas de stress."

Esther, mineure isolée

Une vie d’errance, à seulement 16 ans, jusqu’à sa rencontre avec Sybille Luperce, une bénévole de Réseau éducation sans frontières. "Elle m’a aidée. Chaque jour, à la rue, je demandais où je pouvais dormir. Ici, je dors comme je veux, je n’ai pas de stress. Ma vie a changé. Au Congo, j'ai arrêté les études en primaire. Dans notre famille, les filles ne vont pas à l’école. Sybille m’a inscrite au lycée à Amiens. J’ai pu suivre des cours de français et cette année, je suis en cuisine et restauration, mais plus tard, j’aimerais m’occuper des personnes âgées", détaille la jeune fille.

Un réseau au chevet des mineurs isolés

Comme Esther, de nombreux mineurs isolés, de jeunes étrangers qui ont fui leur pays sans leurs parents, se retrouvent seuls, sans solution. À Amiens, ils font appel, quand ils le peuvent, au Réseau éducation sans frontières. Cette année, Sybille Luperce, membre de RESF 80, a pris en charge sept mineurs. "Ces jeunes se présentent parfois à nos permanences à Amiens. Certains m’appellent directement parce qu’ils sont à la rue, désorientés. Ils obtiennent mon numéro de bouche-à-oreille. Le premier besoin, c’est l’hébergement, car ils n’ont aucune protection de l’État, de l’Aide sociale à l’enfance. Ils n’ont pas été reconnus comme mineurs. Notre priorité à RESF, c’est aussi la scolarité de ces jeunes", explique la bénévole. Pour Esther, Sybille a dû agir dans l’urgence. À la fin de la dernière période hivernale, Esther s’est retrouvée sans prise en charge par le 115. La bénévole lui a trouvé un abri. Puis, elle l’a inscrite à l’internat du lycée et a mis en place des hébergements solidaires avec son entourage et ses amis pour les week-ends et les vacances scolaires.

"Comment peut-on, en 2023, laisser des jeunes filles de 16, 17 ans à la rue ? Il y a quelque chose d’incohérent, d’anormal"

Sybille Luperce, membre de RESF 80

Mais, au-delà du casse-tête administratif et de l’organisation des hébergements pour tous ces jeunes, il faut également faire preuve de psychologie. "Les traumatismes sont présents. Ils en parlent peu parce que c’est douloureux. Ils ont quitté leur pays, pour certains, ils ont connu des évènements difficiles pendant leur traversée migratoire. Nous, on gère le quotidien pour leurs droits fondamentaux. Malheureusement, on se substitue au rôle de l’État. Aucune institution ne prend le relais pour leur hébergement. On se sent indignés ! Comment peut-on, en 2023, laisser des jeunes filles de 16, 17 ans à la rue ? Il y a quelque chose d’incohérent, d’anormal", déplore Sybille Luperce.

Le Réseau éducation sans frontières est né de cette colère en 2004, à Paris. Des collectifs locaux, des syndicats d’enseignants, des associations de parents d’élèves, de défense des droits de l’homme et des immigrés avaient lancé un appel à la régularisation des sans-papiers scolarisés, alors que plusieurs lycéens étrangers étaient menacés d’expulsion dans les établissements parisiens. Depuis, le collectif s’est développé et implanté dans de nombreuses villes de France. À Amiens, le RESF a créé une association pour recevoir des dons et a élargi son réseau. Tous les citoyens volontaires peuvent aider les familles étrangères, exclus de l’hébergement d’urgence et les mineurs isolés.

Un foyer pour se reconstruire

Sandrine et Hubert font partie de ce réseau de citoyens depuis 2016. Ils ont hébergé de nombreux jeunes dans l’urgence ou sur de courtes ou de longues périodes. Le couple a quatre grands enfants indépendants et profite des chambres libres dans la maison pour accueillir ponctuellement un mineur dans le besoin. Esther est arrivée avant l’été et elle est déjà bien intégrée dans la famille. "C’est facile parce qu’on a eu des enfants jeunes. Il suffit de faire comme avec eux. Quand il a fallu inscrire Esther au lycée, on est allé visiter l’internat avec elle, on lui a souscrit une assurance scolaire. C’est un enfant de plus et ça nous permet de rester jeunes", s’amuse Hubert.

Si les solutions étaient trouvées, si ces jeunes étaient mis à l’abri, on n’aurait pas besoin de jouer ce rôle

Sandrine, famille d'accueil

Le week-end à la maison, Esther peint, une passion pour la jeune fille. Elle fait ses devoirs aussi, aidée par Sandrine, car souvent, il lui manque du vocabulaire en français. Pour la mère de famille, cet accueil était une évidence. "Il faut bien tendre la main. Je me dis que si, pour une raison quelconque, je ne suis plus là demain et que mes enfants doivent fuir leur pays, j’aimerais bien qu’il y ait une famille qui puisse s’occuper d’eux. On ne se déracine pas comme ça, par plaisir. J’aimerais bien arrêter cet accueil parce que si les solutions étaient trouvées, si ces jeunes étaient mis à l’abri, on n’aurait pas besoin de jouer ce rôle", se désole Sandrine, qui profite tout de même des liens qui se tissent au gré des rencontres. "Quand ces jeunes viennent chez nous, c’est un peu comme nos enfants. On est comme une famille", ajoute-t-elle.

Pour Esther, ce foyer, qu’elle rejoint tous les week-ends, lui permet de se reconstruire, de dormir au chaud et de se concentrer sur son apprentissage. Mais malgré cette sécurité, elle ressent un vide. "Je suis bien, mais parfois, j’ai du mal parce que je suis seule en France, sans ma famille, mes parents, mes frères et sœurs", confie Esther.

L’adolescente pourrait suivre le même chemin que certains des adolescents accompagnés par RESF. De jeunes migrants, arrivés comme elle sur le sol français, sans famille et qui ont obtenu un titre de séjour ou la nationalité française à force de travail et après avoir prouvé leur intégration. Malgré ces exemples de réussite, les associations sont inquiètes pour la suite, après l’annonce par le gouvernement d’un durcissement des mesures d’accueil des étrangers dans le cadre de la loi sur l’immigration.

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