"On dort dans des escaliers, parfois par terre et ça fait mal" : au moins une centaine d'enfants vivent à la rue à Amiens

Alors que la journée mondiale du refus de la misère est célébrée ce 17 octobre 2023, des milliers d’enfants en France dormiront dans la rue. À Amiens, le Réseau éducation sans frontières, tente de venir en aide aux familles, exclues des hébergements d'urgence depuis cet été.

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Les associations alertent. Le nombre d'enfants à la rue a augmenté de 20%, en France, en un an. Ils sont près de 2 000 mineurs sans domicile fixe. Ils dorment seuls ou avec leur famille dans des hébergements provisoires, des halls d’immeubles, des squats ou des voitures. À Amiens, le Réseau éducation sans frontières (RESF) en a dénombré une centaine, scolarisés dans les écoles du département de la Somme. Pour la plupart, ce sont des migrants. Ils sont accompagnés par les membres du collectif. Nous avons rencontré deux familles qui vivent de débrouille : deux mères célibataires et leurs enfants.

Des mères isolées et leurs enfants à la rue

Tous les matins, depuis qu'elles sont arrivées en France, elles accompagnent leurs enfants ensemble, à l'école du Bord de Somme, à Étouvie. Une journée commence pour ces cinq enfants qui doivent encore trouver du courage pour rester concentrés en classe. Avant de rentrer dans l'école, Simao, 10 ans, nous a confié ses difficultés. "Je n'arrive pas à bien voir en classe parce que je n'arrive pas à dormir la nuit. Il fait froid, la nuit. On dort dans des escaliers, parfois par terre et ça fait mal". Pour les deux mères isolées, la journée d'école est un répit. Elles la consacrent à trouver un abri pour la nuit suivante et de l'aide alimentaire auprès des associations.

Joanna est arrivée en France il y a un an, avec ses trois enfants de quatre ans, sept ans et dix ans. Elle a été hébergée dans le centre Coalia d'Amiens, un hébergement social pendant quelques mois, puis expulsée en mars dernier.

"On dort un jour dans l’escalier, un autre dehors. Quand je vois un immeuble ouvert, je profite pour y entrer et me cacher avec mes trois enfants."

Joanna

Depuis, la famille dormait dans les centres d'hébergement d'urgence, après avoir appelé, chaque jour, le 115, pour réserver une place. Mais, depuis le 9 août dernier, elle n'a plus accès à cette mise à l’abri temporaire. "C'est difficile. On dort un jour dans l'escalier, un autre dehors. Quand je vois un immeuble ouvert, je profite pour y entrer et me cacher avec mes trois enfants. C'est comme ça tous les jours. Mais il faut demander à la dame de l'immeuble et elle nous répond que c'est interdit et que la police va nous attraper. C'est compliqué", nous confie Joanna, à bout de forces.

La situation de Téka, l'autre maman, congolaise, n'est pas plus stable. Elle aussi, tente, chaque jour, de protéger sa famille, du froid et des agressions la nuit, depuis son expulsion d'un logement social. "On m'a donné un mois pour prendre mes affaires et sortir. On m'a fait sortir sous la pluie avec mes enfants et mon bébé de six mois. Je ne savais pas où aller. J'ai appelé le 115 qui m'a répondu qu’il n'y avait pas de places", témoigne la mère de famille.

Des familles exclues des hébergements d'urgence

Comme ces deux mères isolées, une quarantaine de familles à Amiens a été exclue du dispositif d'hébergement social. Dans un communiqué transmis en août, la préfecture de la Somme indiquait que la situation de ces familles expulsées "ne justifie plus le maintien de leur prise en charge" car déboutées de leur demande d'asile, ne possédant pas de titre de séjour et pour certaines, sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Elle estimait que ces expulsions étaient "en cohérence avec l'objectif premier des capacités hôtelières de l'hébergement d'urgence d'une mise à l'abri temporaire dans l'attente de l'orientation vers un dispositif pérenne". Depuis cet été, le 115 refuse de loger ces familles, sur demande de la préfecture de la Somme.

Pour nous, le combat c’est de protéger les mamans et surtout les enfants.

Didier Cottrelle, membre de RESF

Livrées à elles-mêmes, elles ont trouvé du soutien auprès du Réseau éducation sans frontières de la Somme (RESF). Pour certaines de ces familles, ce collectif de citoyens a trouvé une solution d'hébergement provisoire, en leur payant quelques nuits à l'auberge de jeunesse. C'est le cas pour Joanna, Téka et leurs enfants qui, de temps en temps, peuvent se reposer. "Pour nous, le combat, c'est de protéger les mamans et surtout les enfants. Ils sont fatigués, ils vont à l’école, se conduisent comme des hommes et des petites femmes. Ils essaient de ne pas montrer leur désarroi, en particulier à leurs mamans. Et les risques pour ces mamans seules et pas très âgées sont importants dans la rue, quand tous les trois jours, elles doivent chercher des solutions à gauche et à droite", expose Didier Cottrelle, un membre de RESF, en contact permanent avec ces familles.

Un collectif au chevet des familles

Après l’école, retour à l’auberge de jeunesse où les deux mamans sont hébergées pendant deux jours, grâce aux dons récoltés par le collectif. D'autres familles sont logées là, quelques nuits. Dans cet établissement de tourisme social, qui accueille des étudiants et des touristes, elles peuvent aujourd'hui faire une pause dans leurs recherches pour faire le point sur leur situation administrative avec Didier. Joanna et Téka ont toutes deux demandé l'asile à la France, il leur a été refusé. Durant des mois, elles ont accumulé des preuves d'intégration pour réitérer leur demande. Scolarisation des enfants, participation aux œuvres caritatives, apprentissage du français, leur dossier est épais et représente, pour elle, un sauf-conduit. "Je suis arrivée en France au mois d'août 2022. Dès le mois de septembre, j'ai commencé mes activités. J'ai déjà noué beaucoup de relations ici. J'ai fait du bénévolat pour la Croix-Rouge, j'ai participé à trois cours de français. Je n'ai pas le droit de travailler, mais je fais beaucoup de choses pour m’intégrer parce que c'est pas bien d’arriver dans un pays et de se cacher", justifie Joanna.

Joanna a fui l'Angola, nous confie-t-elle, parce qu'elle était recherchée par la police après avoir manifesté avec son mari contre les conditions d'éducation dans le pays. Son mari a été arrêté lors de la manifestation. Depuis, il a disparu. Téka, elle, était menacée de mort au Congo. Toutes deux confient ne pas pouvoir faire marche arrière en retournant dans leur pays respectif. "J’ai décidé de quitter mon pays parce que des gens voulaient me tuer. Je ne peux pas rester là où je suis en danger", ajoute Téka. Leur seul moyen pour s'en sortir : obtenir un titre de séjour pour pouvoir travailler et s'intégrer. Et c'est auprès des membres de RESF qu'elles ont trouvé de l'aide pour monter leur dossier. "Lors de nos permanences, nous recevons de nombreuses personnes qui sont en plein désarroi. On regarde leur situation administrative et si elles peuvent faire une demande de titre de séjour. Elles ont une chance de l'obtenir si elles ont cinq ans de présence en France. Mais entre la demande d'asile et celle du titre de séjour, il s'écoule plusieurs années où les personnes n'ont pas le droit de travailler et se retrouvent, sans ressource, en hébergement d’urgence", explique Didier Cottrelle.  

Une situation explosive

Le dispositif des hébergements d'urgence est saturé depuis cet été et le collectif n'a plus les moyens d'assurer l'hébergement de ces familles et de se substituer au devoir de l'État. D'après la Convention Internationale des droits de l'enfant, ratifiée en 1989 par 197 États dont la France, chaque enfant, qu’il soit français ou étranger, a "le droit d’avoir un refuge, d'être secouru et d'avoir des conditions de vie décentes".

"Nous allons accroître nos efforts avec près de 500 places d’hébergement temporaire et nous allons développer d’autres places avec les collectivités pour la période hivernale."

Rollon Mouchel-Blaisot, préfet de la Somme

Interrogé à ce sujet par nos confrères de France Bleu, le 10 octobre dernier, le préfet de la Somme, Rollon Mouchel-Blaisot indiquait qu'il s'agissait d’une situation explosive. "Tout le système est aujourd’hui embolisé. On a dégagé des places d'hébergement d'urgence. Sur les autres dispositifs, nous allons accroître nos efforts avec près de 500 places d'hébergement temporaire et nous allons développer d’autres places avec les collectivités pour la période hivernale."

De leur côté, les associations dénoncent une situation d'urgence pour toutes ces familles à la rue. Elles réclament dès aujourd'hui leur mise à l’abri à l’hôtel Saint-Roch, à Amiens, un bâtiment inoccupé.   

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