Une trentaine de familles exilées expulsées de leur hébergement d'urgence, "comment être joyeux quand on est dans la rue ?"

Déboutées de leur demande de droit d’asile, une trentaine de familles exilées ont été expulsées de leurs hébergements d’urgence du jour au lendemain ou le seront d'ici au 18 août. Un rassemblement de soutien a été organisé jeudi 10 août à Amiens.

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Miriam a fêté son 11ème anniversaire dans la rue. Sans-papiers et déboutés du droit d’asile, ses parents, ses deux petites sœurs et elle ont récemment été expulsés de leur hébergement d’urgence à Amiens. Sans autre solution, la famille vit à cinq dans une voiture.

Scolarisée à Amiens, la jeune Géorgienne s'exprime dans un français parfait et est bien au fait de la situation de sa famille : "Mes parents, ils essayent toujours que mes sœurs et moi, on se sente bien même si tout va mal. Là, d'être à la rue, c'est très difficile pour eux de nous faire ressentir de la joie. Comment être joyeux quand on est dans la rue ?", questionne-t-elle.

"On ne comprend pas pourquoi, on n'a aucun endroit où aller."

David, père de famille

La famille est arrivée à Amiens il y a quatre ans, après avoir fui la Géorgie. David, le père, ancien militaire, assure avoir été menacé par des pro-Russes : "J'ai fait la guerre contre la Russie en 2008. La Russie a reçu des dossiers sur des militaires géorgiens. J'ai commencé à recevoir des menaces et j'ai eu peur pour ma famille". Pour David, l'annonce de cette expulsion a été "la pire sensation de [sa] vie", confie-t-il en pleurs. 

À l’approche de la rentrée scolaire, la situation est d'autant plus difficile : "Avec ma sœur, on est de très bonnes élèves. J'adore aller à l'école. Là, je vais passer au collège et être dans la voiture, ça va être difficile pour travailler et se concentrer", regrette Miriam, qui considère Amiens comme sa maison.

32 familles à la rue

Comme celle de Miriam, une trentaine d’autres familles exilées, sont ou se retrouveront à la rue cet été après le rejet de leur demande d'asile. Expulsées de leur hébergement d'urgence, le 115 refuse désormais de loger ces familles, sur demande de la préfecture de la Somme. 17 de ces familles étaient dehors le 6 août, les 15 autres le seront avant le 18 août. Au total, 45 adultes, 16 mamans isolées, 68 enfants scolarisés à Amiens ou aux alentours sont concernés par ces expulsions.

Pour certaines de ces familles, le Réseau éducation sans frontières (RESF) a trouvé une solution d'hébergement provisoire, en leur payant quelques nuits à l'auberge de jeunesse. Mais, l'association n'en a dorénavant plus les moyens. "RESF a dû dépenser un budget énorme, heureusement grâce des aides provenant de syndicats, des particuliers, des partis politiques. Mais ce n'est pas le rôle des associations de prendre en charge ce que fait l'État", fustige Martine Tekaya, militante à l’association Femmes solidaires, membre de RESF. "Mon inquiétude est pour les enfants à la rue, des enfants en très bas âge, et pour les mamans isolées qui pour protéger leurs enfants seront à la merci de réseau de prostitution, de harcèlements, de prédateurs", dénonce-t-elle.

"Je ne comprends pas que dans un pays comme la France, on puisse mettre des femmes et des enfants à la rue."

Martine Tekaya, militante Femmes solidaires

"Dans toutes ces familles, il y a des enfants. Un grand nombre d'entre eux doivent en principe faire leur rentrée à Amiens. Ils se retrouvent dans la rue, dorment dans des parcs, dans des camions, dans des voitures, dans des couloirs d'immeubles", déplore Didier Cottrelle, militant au Réseau éducation sans frontières.

Le dispositif d'hébergement d'urgence "saturé"

Dans un communiqué de presse publié le 9 août, la préfecture de la Somme justifie ces dernières expulsions par "la saturation du dispositif de nuitées hôtelières disponibles dans le cadre de l'hébergement d'urgence" et la nécessité de "libérer une partie des places occupées". Tout en annonçant augmenter le nombre de places en hébergement d'urgence en nuitées hôtelières de 89 à 115 places pour l'année 2023.

Selon la préfecture, la situation de ces familles expulsées "ne justifie plus le maintien de leur prise en charge" car déboutées de leur demande d'asile, ne possédant pas de titre de séjour et pour certaines, sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Elle estime que ces expulsions sont "en cohérence avec l'objectif premier des capacités hôtelières de l'hébergement d'urgence d'une mise à l'abri temporaire dans l'attente de l'orientation vers un dispositif pérenne".

Un manque d'intégration ?

Dans son communiqué, l'État assure que des entretiens personnalisés "proposés pour chaque famille", n'ont pas permis de conclure à la perspective pour ces ménages d'obtenir une régularisation de leur situation administrative, "au regard des démarches d’intégration insuffisantes ou inexistantes au sein de la société française (non maîtrise de la langue française, absence de recherche de formation ou d'emploi, commission de faits délictuels)".

"La solution pour moi, c'est le logement inconditionnel des personnes à la rue."

Martine Tekaya, militante Femmes solidaires

Une justification contraire au principe d'inconditionnalité de l'accueil de l'hébergement d'urgence pour les associations. D'autant que certaines familles expulsées s'attachent à s'intégrer dans la société. "Je fais du bénévolat à la Croix Rouge, j'ai deux enfants à l'école, le premier est au collège. Les enfants travaillent très bien. Moi, je prends des cours de français et je cherche du travail, mais on ne nous en donne pas, parce qu'on n'a pas de papiers. C'est difficile", témoignait Sosana, une mère de famille arménienne auprès de France 3 Picardie à la fin du mois de juillet.

 "La solution pour moi, c'est le logement inconditionnel des personnes à la rue, qu'elles soient françaises ou étrangères. Notre président l'avait promis lors de sa première campagne présidentielle et je constate que rien n’est fait et au contraire, on met à la rue des familles qui pour le moment étaient hébergés avec des enfants scolarisés", dénonce Martine Tekaya.

Le centre de préparation au retour de Péronne proposé

La préfecture indique avoir proposé à plusieurs familles d'être logées dans le centre de préparation au retour situé à Péronne (DPAR). Ce que les familles refusent par crainte d'être transférées contre leur gré dans leur pays d'origine. "On leur propose Péronne, mais je suis allée à Péronne et on leur propose 10 mobil-homes, dont certains semblent déjà occupés. Ça veut dire maximum 50 personnes hébergées. D'après les informations de RESF, il y a déjà plus de 100 personnes à la rue. On va les mettre où ? Où va-t-on scolariser les enfants à la rentrée ?", poursuit la militante.

Un rassemblement solidaire 

À l'appel des associations Cimade et Femmes solidaires, de RSEF, du Centre d'action sociale protestant (CASP) et du syndicat Solidaires 80, un rassemblement solidaire s’est déroulé jeudi 10 août à 18h30 place René Goblet à Amiens, pour dénoncer "une situation dramatique" et demander un accueil inconditionnel sur l'hébergement d’urgence. Une centaine de personnes étaient présentes.

En décembre 2022, trois familles exilées s'étaient déjà retrouvées à la rue à Amiens du jour au lendemain, en pleine trêve hivernale. Là aussi, la préfecture de la Somme leur refusait tout hébergement d'urgence.

Avec Marie Sicaud/FTV

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