Après le rejet de leur demande d'asile, des dizaines de familles se sont retrouvées sans hébergement à Amiens. Le Réseau éducation sans frontières a trouvé une solution provisoire pour certaines d'entre elles, mais d'autres n'ont pas d'autres solutions que de dormir dans la rue.
L'annonce a fait l'effet d'un coup de massue pour Sirine. Cette Algérienne, mère d'une enfant de 4 ans et demi, était hébergée par le 115, mais s'est retrouvée à la rue du jour au lendemain après que la préfecture a rejeté sa demande d'asile.
"La première nuit, on a appelé le 115 plusieurs fois, il faisait très froid et ma fille est très sensible au froid. Le 115 n'a pas accepté, et nous a dit qu'ils n'avaient pas de places, qu'il fallait rester dehors. J'ai été obligée de rester la nuit dehors, avec ma fille, c'était très difficile", raconte-t-elle. Elle a passé la nuit dans un parc avec Sosana, une mère de famille arménienne qui s'est retrouvée dans la même situation avec son mari et ses trois enfants.
"Ma fille a dormi, mais moi, je ne pouvais pas dormir, j'avais peur. Une femme toute seule peut être agressée. Je n'oublierai pas cette nuit de toute ma vie."
Sirine, mère d'une petite fille de 4 ans et demi
Une solution provisoire dans une auberge de jeunesse
Sirine et Sosana ne sont pas les seules dans cette situation. D'après le décompte du Réseau éducation sans frontières, 21 familles et 46 enfants pourraient se retrouver dans cette situation cet été à Amiens. L'association est parvenue à mettre à l'abri 12 enfants et 8 adultes en leur payant quelques nuits à l'auberge de jeunesse. Un répit de courte durée. "On était très contentes de passer trois ou quatre jours ici, ma fille était très contente, assure Sirine. Mais demain, on devra peut-être partir, il y a encore du stress."
Les deux femmes ont du mal à comprendre ce qui leur arrive. Elles font toutes les deux du bénévolat, cherchent un emploi et prennent des cours de français. Sirine est très fière d'avoir réussi le DELF, un diplôme officiel de langue française qui prouve sa capacité à travailler ou suivre une formation en langue française.
"On aimerait que la préfecture nous aide parce que nous sommes des familles intégrées à la société, ma fille est très bien intégrée à l'école. J'essaie de faire le mieux pour moi et pour ma fille"
Sirine, mère d'une petite fille de 4 ans et demi
Même son de cloche chez Sosana. "Je fais du bénévolat à la Croix Rouge, j'ai deux enfants à l'école, le premier est au collège. Les enfants travaillent très bien. Moi, je prends des cours de français et je cherche du travail, mais on ne nous en donne pas, parce qu'on n'a pas de papiers. C'est difficile."
Les solutions proposées par la préfecture ne convainquent pas
D'après RESF, le 115 devrait pouvoir héberger ces familles. "D'année en année, les conditions d'accueil des étrangers se durcissent. Le 115 est à la base un hébergement inconditionnel, rappelle Sibylle Luperce, bénévole de l'association. Normalement, quelle que soit la situation administrative de la personne, elle a droit à un hébergement d'urgence, mais aujourd'hui ça n'est plus le cas."
De son côté, la préfecture se défend de toute discrimination envers les personnes déboutées du droit d'asile dans le cadre de l'hébergement d'urgence, et assure que la situation est due à la saturation du dispositif, précisant que "le manque de places disponibles ne permet plus de répondre à l'ensemble des demandes de prises en charge". Elle indique également avoir proposé à plusieurs familles d'être logées dans le centre de préparation au retour situé à Péronne.
RESF confirme que ces familles ont refusé cette alternative. "C'est un centre de préparation au retour, sauf que ces familles ne souhaitent pas retourner dans leur pays d'origine qu'elles ont fui pour des raisons qui leur sont propres, souligne Sibylle Luperce. Elles veulent rester en France." De son côté, la préfecture dément et assure que l'accueil dans ce centre "ne signifie pas qu'une procédure d'éloignement est automatiquement enclenchée".
Pas de quoi rassurer les familles, qui, pour certaines, craignent pour leur sécurité dans le cas d'un retour au pays. C'est le cas de David, qui a fui la Géorgie il y a près de cinq ans avec sa compagne et ses trois filles. Militaire, il assure avoir été menacé par des pro-Poutine.
"Je n'ai pas envie de quitter la France"
Son aînée, Mariam, n'a que dix ans, mais elle est très au fait ce qui se passe pour sa famille. "C'est moi qui fait la traductrice dans ma famille, donc je sais tout en même temps que mes parents. C'est très difficile pour moi de supporter autant de choses", exprime-t-elle dans un français impeccable. Elle considère Amiens comme sa maison et n'imagine pas en partir. "Mes sœurs et moi, on est parmi les meilleures élèves de l'école. Je n'ai pas envie de quitter la France, pas envie de partir d'Amiens. J'ai mes amis ici, je suis scolarisée ici. Amiens, c'est comme mon lieu de naissance ! Ça va faire cinq ans que je suis là..."
Cette période de cinq ans est fondamentale : c'est le temps de présence en France nécessaire pour pouvoir prétendre à un titre de séjour. Certaines familles ne sont à quelques semaines de la date anniversaire de leur arrivée et pourraient déposer leur demande très bientôt. Mais leur expulsion vient compliquer la chose : il faut obligatoirement avoir une adresse physique pour monter le dossier. "C'est la double peine, déplore Sybille Luperce. Elles se retrouvent à la rue, et elles ne peuvent pas déposer une demande de titre de séjour sans cette adresse."
Avec Christelle Juteau / FTV