Mardi 14 janvier, aux alentours de 7h30, environ 200 personnes se sont réunies devant le lycée de l'Acheuléen à Amiens. Ils soutenaient Joël Okonga, un jeune Congolais de 22 ans, menacé d'expulsion alors qu'il doit passer son bac cette année.
"J'ai peur qu'on vienne me chercher et qu'on m'embarque". Aujourd'hui, Joël Okonga vit avec la peur au ventre. Il interrompt régulièrement l'entretien, dès qu'il entend un bruit dehors. Depuis cet été, Joël Okonga vit sous la menace d'une expulsion vers la République Démocratique du Congo (RDC). Un retour dans son pays d'origine, qui mettrait sa vie en danger. Débouté du droit d'asile, ce jeune Congolais de 22 ans a reçu une obligation de quitter le territoire français. En parallèle de cette situation stressante, Joël prépare un Bac pro Technicien en installation des systèmes énergétiques et climatiques (TISEC) au lycée de l'Acheuléen à Amiens. Des centaines de personnes se sont mobilisées devant le lycée mardi 14 janvier, pour qu'on le laisse, au moins, passer son bac en France.
Orphelin à 11 ans et enfant des rues
Joël est arrivé en France en 2015. Ses parents sont décédés alors qu'il n'avait que 11 ans. Malgré son jeune âge, il est contraint de vivre dans la rue. "A son arrivée en France, Joël était dans un état de délabrement total", explique Didier Cotrelle de l'association Réseau Éducation Sans Frontières (RESF). "Je me débrouillais pour trouver à manger" raconte Joël. Le jeune homme vivait sur le marché à Kinshasa avec ses deux frères. "Je n'avais pas peur dans la rue, car on était trois", souligne-t-il.Pour survivre, Joël rendait service aux commerçants du marché. "Habiter au marché, ça permet d'avoir plus facilement accès à de la nourriture", se souvient-il. Sa rencontre, avec "maman Brigitte", une vendeuse du marché, change son quotidien. "Maman Brigitte vendait sur le marché. Elle m'a proposé un petit boulot. Je devais lui trouver des clients et je touchais un pourcentage". Joël travaille pour elle pendant six ans. Une activité qui lui permet d'améliorer son niveau de vie et celui de ses deux frères.
C'est quelqu'un de très sérieux et de très généreux
En grandissant, Joël aidait les enfants des rues, appelés au Congo les Sheguey. "Sur le marché, les grands ne voulaient pas que les plus jeunes viennent. Il y avait peu de nourriture et ils ne voulaient pas partager, raconte Joël. Aider les petits, ça m'a valu quelques bagarres".
Dans les rues de Kinshasa, Joël occupe son temps par la danse. Avec une dizaine d'amis, il monte un groupe. Une passion qu'il entretient à Amiens. "J'ai rejoins un club de danse. J'y fais du Hip-Hop et des danses africaine", reconte-t-il. Pour Didier Cotrelle, "Joël a un vrai talent pour la danse. Il pourrait même percer dans ce milieu".
Participe aux manifestations meurtrières de janvier 2015
Au contact de "maman Brigitte", Joël se construit une conscience politique. Elle met les trois frères en relation avec un des leaders de la contestation du pouvoir de Joseph Kabila. "Le gouvernement ne s'occupe pas de nous, dénonce-t-il. Il y a des enfants qui meurent dans la rue tous les jours". Une situation qui pousse Joël et ses frères à s'engager dans ce mouvement de contestation.Il échappe de peu à la mort
Le 19 janvier 2015, l'opposition organise une manifestation pour protester contre la réforme de la loi électorale prévue par le gouvernement. Joël et ses frères battent le pavé aux côtés de centaines de manifestants. Rapidement, la manifestation dégénère. 15 personnes sont tuées selon les autorités, 62 selon la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH). Des dizaines de manifestants sont arrêtés. Parmi eux, Joël et son grand frère. Le troisième frère disparait au cours de la manifestation. Joël n'aura plus de nouvelles de lui."En prison, j'ai été torturé, frappé. J'y ai perdu l'usage de mon oeil droit. Un de mes goeliers m'avait dit 'toi tu ne sortiras pas vivant'". La mort, Joël y a échappé de peu. "Un jour, ils m'ont embarqué dans un camion. Je savais que c'était pour en finir avec moi, lâche-t-il la voix tremblante. On a eu un accident sur la route, j'ai réussi à m'échapper. Mon frère, lui n'a pas survécu à cette journée".
En route vers l'Europe
En danger dans son pays, Joël sait qu'il n'a plus d'autre choix que de le quitter. Avec l'aide de "maman Brigitte", il quitte la RDC. Rejoint la Turquie où il est recueilli par une famille. "Je travaillais pour eux, ils ne me payaient pas, mais me donnaient à manger", raconte Joël. Par l'intérmédiaire de cette famille, il trouve une embarcation de fortune pour rejoindre la Grèce.Avec un groupe de Syriens, il rejoint la Macédoine, puis la Serbie, la Hongrie et enfin l'Allemagne, où il s'arrête à Munich. "Là bas, je rencontre un Français qui me propose de m'amener en France". Il arrive d'abord à Paris, puis l'homme l'amène avec lui à Amiens.
Il apprend à lire et écrire
Dès son arrivée, Joël fait une demande d'asile. Il trouve de quoi se loger dans un foyer d'Amiens Acceuil et Promotion. Scolarisé au lycée de l'Acheuléen, il est d'abord en classe accueil. Cette classe est réservée aux primo-arrivants. Pendant une année, il apprend à lire et à écrire. "La nuit, il travaillait dur pour rattraper son retard", raconte Didier Cotrelle.Ce pays m'a donné la chance d'aller à l'école
Diplômé d'un CAP Sanitaire et d'un BEP technicien, maintenance, Joël prépare désormis son Bac Pro... qu'il pourrait ne jamais passer si il est expulsé. "C'est important pour moi d'avoir le bac, explique le jeune homme de 22 ans. Je n'ai jamais étudié avant d'arriver en France. Ce pays m'a donné la chance d'aller à l'école. Avoir le bac, ça me rendrait tellement fier !".
Sa générosité, Joël ne l'a pas perdue depuis son arrivée en France. Bénévole à la Croix-Rouge d'Amiens depuis novembre, il se lève tous les samedis matins pour collecter des denrées alimentaires. "C'est quelqu'un de très sérieux et de très généreux" détaille Paul Garde, responsable à la Croix-Rouge dans la capitale picarde.
"Rendre à la France ce qu'elle m'a donné"
Depuis qu'il s'est vu refuser le droit d'asile, Joël est assigné à résidence. Il a même été emmené dans un centre de rétention, où il a échappé de peu à un retour en RDC. "Il a été libéré samedi car avec les grève des avocats, il n'avait personne pour le défendre", explique Didier Cotrelle. "Tout ce qu'on demande, c'est qu'il puisse déposer une demande de titre de séjour, pour qu'il passe son bac" soupire-t-il.Joël, de son côté, ne comprend pas pourquoi on s'attache tant à le renvoyer en RDC : "Je n'ai rien fait de mal. Je ne vole pas, je ne vends pas de drogue...". Didier Cotrelle estime que Joël est même un citoyen engagé puisqu'il travaille pour la Croix-Rouge. "La France m'a amené à l'école. Donner de mon temps pour aider les autres avec la Croix-Rouge, c'est en quelque sorte rendre à la France ce qu'elle m'a donné". La semaine prochaine, Joël se retrouvera sans logement. "Je n'ai pas encore trouvé de solution pour me loger, concède-t-il. Je vais sans doute dormir dans la rue, mais bon, j'ai l'habitude".