À Amiens, trois familles, dont 12 enfants et 4 adultes, déboutés du droit d’asile, ont été expulsées de leur centre d’hébergement en pleine trêve hivernale. La préfecture de la Somme leur refuse tout hébergement d’urgence. Une seule possibilité d’accueil : le camp de préparation au retour de Péronne. Une solution qu’ils refusent.
La famille Zanne et ses deux enfants, Arame Diop et ses quatre enfants, Ma-Joie Mpovi et ses six enfants se sont retrouvés à la rue le 30 novembre 2022, du jour au lendemain. Déboutés du droit d’asile courant octobre, ces 16 personnes se retrouvent en situation irrégulière sur le territoire. Le 115 leur refuse l’hébergement d’urgence.
Sans ressources, ni logement, ces familles ont sollicité les bénévoles du Réseau éducation sans frontières de la Somme (RESF 80). "Après des dizaines d’appels au 115, celui-ci a exceptionnellement accepté d’héberger une nuit la maman isolée et ses 6 enfants, mais personne d’autre. RESF a pris en charge le paiement d’une nuitée pour le couple avec deux enfants à l'auberge de jeunesse. L’autre maman isolée et ses quatre enfants ont été accueillis par une compatriote qui n’a pu les héberger qu’une nuit. Vendredi soir, une famille pourra dormir à l’hôtel grâce à l’aide d’un député qui a fait appel à la cotisation de ses soutiens. Mais nous n’avons aucune solution pour le week-end", explique Didier Cottrelle, militant RESF 80. Les trois familles passent leurs journées à La pause, une structure d’accueil de l’association Agena.
Le camp de Péronne ou rien
Douze enfants, scolarisés dans des écoles et collèges d’Amiens, sont menacés de dormir dehors ces prochains jours. "Nous nous inquiétons beaucoup pour eux. Ils suivent une scolarité, certains depuis 2018. Dans quel état vont-ils se rendre à l'école demain et les jours qui vont suivre ? Le risque c’est la déscolarisation si on les envoie dans le camp de retour de Péronne", s’inquiètent les membres du Réseau éducation sans frontière, dans un communiqué envoyé aux élus de la Somme.
Dans leur pays, ils risquent leur vie
Didier Cottrelle, militant RESF 80
Ce centre d’hébergement temporaire accueille les personnes déboutées du droit d’asile avant leur retour dans leur pays d’origine. Ces trois familles ont été orientées par la préfecture vers ce centre dans le cadre du dispositif préparatoire d'aide au retour volontaire.
Mais, toutes refusent cet hébergement qui implique un retour dans leur pays. "Ils sont ivoiriens et congolais. Dans leur pays, ils risquent leur vie. Ils sont venus en France pour se protéger et protéger leurs enfants. Un des pères de famille était journaliste dans son pays. Dans ses articles, il a mis en cause la corruption du régime de Kabila, au Congo. Persécuté, il a dû s’enfuir avec sa femme et ses enfants. Une des mères isolées a réussi à extraire ses enfants du pays car elles risquaient l’excision. Nous constatons que les dossiers de demande d’asile les plus fondés avec des arguments de poids et des critères évidents de mise en danger sont de plus en plus déboutés", détaille le militant.
Un durcissement des mesures d'expulsion
D’autres familles en situation irrégulière sont concernées par ces expulsions à Amiens. RESF 80 a interpellé la préfecture de la Somme et envoyé une demande d’audience concernant neuf situations de familles à la rue. Depuis plus d’un an, les associations d’aide aux migrants sont très sollicitées.
Le 17 novembre dernier, le Gouvernement, par la voix de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a encore durci les procédures en demandant aux préfets de renforcer l'application des obligations de quitter le territoire français (OQTF) envers "l'ensemble" des étrangers en situation irrégulière et plus seulement "les étrangers délinquants".
Nous nous sommes procuré cette circulaire. Il est précisé qu’en 2022, le nombre d’OQTF exécuté est en hausse de 22 % et "afin d’améliorer encore ce résultat", le ministre appelle les préfets à délivrer ces mesures "à l'issue d'une interpellation ou d'un refus de titre de séjour" et "d'exercer une véritable police du séjour". Il leur demande également de s’assurer que les droits sociaux des personnes sous OQTF soient suspendus et de vérifier "les situations administratives des étrangers pris en charge indûment par l’hébergement d’urgence".
Selon RESF, cela constitue un abus à la loi : "L’hébergement d’urgence inconditionnel doit être mis en œuvre dans la Somme comme ailleurs. Les injonctions au 115 pour ne pas accueillir des sans-abri en raison de leur situation administrative sortent du cadre de la loi républicaine encore en vigueur à ce jour."
Concernant la situation des familles à la rue à Amiens, la préfecture de la Somme nous a répondu qu’un hébergement est disponible pour eux à Péronne et qu’un point doit être fait sur les places disponibles. Dans l’après-midi, une solution a été trouvée pour la mère isolée et ses trois enfants. Ils seront hébergés à l’hôtel par le 115 sans précision de durée.
En attendant d’être reçu par la préfecture, RESF cherche des solutions d’accueil la nuit pour les autres familles avec enfants et celles qui doivent être expulsés des centres d’hébergement prochainement. "Nous sommes en période hivernale. Des enfants, parfois des bébés sont contraints de dormir dehors. RESF ne peut pas continuer à payer l’hôtel. Nous ne vivons que grâce aux dons", insiste Didier Cottrelle.
Le collectif et d’autres associations organisent un rassemblement devant l’école Beauvillé, à Amiens, le 6 décembre pour réclamer la mise à l’abri des familles.