Le 19 mai 1940, l'armée allemande bombarde Amiens. Des dizaines de civils perdent la vie. Le lendemain, la ville tombait aux mains des Allemands. Notre journaliste Jean-Paul Delance revient sur cet épisode historique, avec les photos de sa collection personnelle.
Le 10 mai 1940, les 95 000 habitants d’Amiens se réveillent comme ceux de toutes les villes de France avec l’annonce diffusée par la TSF de l’attaque allemande sur la Belgique et la Hollande. Aucune inquiétude dans la population qui vient de vivre les huit mois de la drôle de guerre où presque aucun coup de feu n’a été tiré entre les ennemis. Et puis militaires et politiques n’ont-ils pas certifié que nos frontières étaient inviolables ?
Carrefour de liaisons ferroviaires stratégiques, Amiens est le siège de la 2e région militaire qui englobe la Somme, l’Aisne, l’Oise et les Ardennes. Seules trois batteries anti-aériennes protègent la cité des bombardements ennemis. Les troupes affectées à sa défense sont peu nombreuses et accusent un manque cruel de matériels et de munitions.
16 mai : l'exode contre l'avis des autorités
Le 13 mai, première alerte, des hauteurs de la ville on perçoit des échos de canonnades. Faute d’informations précises, on n’ose pas croire à l’arrivée imminente de l’ennemi. Le 14 et le 15, on voit arriver les premiers réfugiés belges. Le 16, l’exode de la ville s’organise. Les habitants du Pas-de-Calais et de l’Aisne viennent bientôt garnir les rangs d’une population gagnée par la fièvre du départ, aussi les autorités appellent au calme. Militairement, on installe par précaution dans l’urgence des barrages en périphérie d’Amiens.
À l’aube du 18, le général Frère arrive à Amiens. Il vient de prendre le commandement d’une 7e armée reconstituée avec des troupes qui descendent en désordre de Belgique et d’autres qui arrivent d’Alsace. Sa mission : tenir coûte que coûte sur la Somme et l’Oise. Intention louable mais contrariée dès l’après-midi par le premier bombardement aérien qui vise principalement les voies ferrées et les gares.
Un train transportant des soldats anglais du Royal Sussex est touché, faisant plusieurs morts. Dans ces conditions tragiques, on comprend mal l’attitude de la préfecture et de la municipalité qui donnent comme mot d’ordre aux habitants de rester sur place.
19 mai : bombes sur la ville
Le 19, la catastrophe redoutée se produit : une pluie de bombes larguées par plusieurs escadrilles de bombardiers s’abat sur la vieille cité picarde, réduisant en cendres 2 000 ans d’histoire. L’incendie ainsi provoqué se propage pendant 5 jours. La mort comme dans toutes guerres fait ici son oeuvre. On relève dans les décombres des dizaines de victimes civiles.
20 mai : Amiens aux mains des Allemands
Le coup de grâce intervient le lendemain. Le 20, dès 8 heures du matin, les panzers du général allemand Guderian arrivent au contact des barrages de la route d’Albert qui cèdent rapidement après un violent combat.
Les chars continuent leur progression par le boulevard de Beauvillé. Le capitaine Tassart, posté près de la gare, met un canon de 75 en batterie et détruit trois blindés avant d’être obligé de se replier. Peu après, un petit char Renault de la Grande Guerre crée la panique chez l’ennemi en surgissant de la rue Jules Barni. À l’intérieur, un sergent et son mécanicien qui ne veulent pas reculer sans se battre.
3 obus allemands mettent fin à cet acte d’héroïsme et de sacrifice. Au soir du 20 mai, la ville "imprenable" en 1918 est aux mains des allemands qui installent une "tête de pont" au sud jusqu’au village de Dury. L’armée française n’a pourtant pas dit son dernier mot et réagira dans les jours suivants.
Personnellement, ma famille a été touchée par cet épisode de la guerre. À l’époque, mes grands-parents maternels et ma mère, alors enfant, habitaient aux pieds de la cathédrale sur une placette détruite par les bombardements à peu près à l’emplacement actuel de la rue Dusevel. Leur belle maison historique en pierres de taille a été pulvérisée le 19 mai après-midi.