Les autorités de santé sont claires : zéro alcool pendant la grossesse. Pourtant, d'après l'association SAF France, 15 000 bébés naissent chaque année en France avec des malformations liées à la consommation d'alcool durant la grossesse.
Un espace anormalement grand entre le nez et la lèvre supérieure, une tête plus petite que la moyenne, un retard de croissance, des troubles du développement et du comportement : les symptômes du syndrome d'alcoolisation fœtale sont nombreux et parfois irréversibles. Ce syndrome est causé par une consommation excessive et régulière d'alcool pendant la grossesse.
Des risques même avec quelques centilitres d'alcool
Mais attention, contrairement à ce que l'on pourrait croire : le risque ne concerne pas que les mères souffrant d'une addiction à l'alcool. "On a des enfants qui ont probablement des syndromes a minima, qu'on dépiste plus tard dans l'enfance. (...) On ne connait pas le seuil à partir duquel l’alcool peut être dangereux pour le fœtus, et ce seuil varie certainement suivant les individus. Du coup, qu’on boive un petit verre, un grand verre ou même un dé à coudre, il peut y avoir des lésions du système nerveux", assure le docteur Raïssa Brulé-Pepin, pédiatre à la clinique Victor Pauchet d'Amiens.
"On estime qu'il y a entre 10 et 15% des patientes qui consomment de manière occasionnelle de l'alcool au cours de la grossesse", confirme son collègue gynécologue, le docteur Antonin Mercuzot. Les deux médecins s'accordent à dire qu'un effort plus grand doit être fait sur la prévention. "On a beaucoup d'informations à donner au cours de la grossesse, et on ne passe pas forcément beaucoup de temps sur la prévention, sur la consommation d'alcool. On pose la question généralement en début de grossesse, 'consommez-vous de l'alcool pendant la grossesse ?', et si la patiente répond non, le plus souvent, on passe à autre chose", admet-il.
"On n'a peut-être pas fait complètement ce qu'il fallait sur la prévention, car il reste un certain nombre de femmes qui ignorent que quelle que soit la dose d'alcool, ça peut être dangereux. (...) Les gens ont encore souvent dans l'idée que c'est seulement une ivresse aiguë qui pourrait avoir des conséquences sur le développement du fœtus,", confirme la pédiatre. D'après un sondage réalisé par Opinion Way, 46% des Français n'ont jamais entendu parler du syndrome d'alcoolisation fœtale. À noter que d'après cette étude, les parents des départements et région d'outre-mer sont en moyenne mieux informés que ceux de France hexagonale.
Un sujet encore tabou
Le corps médical se heurte également au tabou qui règne autour de ce sujet : même si elles sont au courant des dangers pour le fœtus, les femmes ont encore trop souvent tendance à cacher leur consommation d'alcool.
"On essaie de l'évoquer dès le projet de naissance, ou même avant le projet de grossesse, mais c'est une question qui n'est pas toujours facile à aborder, car les patientes sont parfois réticentes à en parler, et d'autant plus lorsqu'elles ont une consommation importante"
Docteur Antonin Mercuzot, gynécologue
Une tendance qu'il a également constatée avec la consommation de cannabis, mais pas avec le tabac. "La plupart des patientes qui consomment un verre ne vont pas le mentionner quand on leur pose la question, alors que pour le tabac, elles répondent facilement."
"Non, la bière ne favorise pas la lactation"
Et même s'il est tentant de prendre un petit verre pour fêter la naissance, la prudence doit rester de mise pour les femmes allaitantes. L'alcool est même plutôt à proscrire pendant les premières semaines d'allaitement, car il se transmet par le lait maternel. La tétée se faisant à la demande, il est trop difficile de prévoir à quel moment le bébé souhaitera prendre le sein et d'être certain qu'il n'y aura aucune trace d'alcool dans le lait.
Par ailleurs, contrairement à une vieille croyance qui persiste, l'alcool ne stimule pas la production de lait. "Dans le temps, pour nos mamans et nos grands-mères, il était même encouragé de boire de l'alcool. Mais heureusement, aujourd'hui, il y a beaucoup d'études médicales qui prouvent que non, la bière ne favorise pas la lactation. Au contraire, le sommeil du bébé peut être de moins bonne qualité", rappelle la pédiatre Sophie de Butler, consultante en lactation à la maternité Victor Pauchet.
Pour s'assurer que le message passe bien et que les recommandations soient suivies, les équipes médicales doivent faire preuve de beaucoup de pédagogie, tout en évitant la culpabilisation des femmes. Pour les aider à aborder ce sujet, l'association Addictions France propose aux professionnels de santé des kits d'animation sur le sujet, avec des affiches, des supports pédagogiques et des quiz. Une campagne de sensibilisation financée par l'ARS Hauts-de-France qui semble avoir convaincu les soignants : une cinquantaine d'établissements de santé ont passé commande.