Témoignage. "C'est toute une vie qui a été bousillée" : Jean-Marc Davergne, indemnisé 55 ans après son viol par un prêtre

Publié le Écrit par Romane Idres

Jean-Marc Davergne a subi des abus sexuels lors de son enfance, par le prêtre de l'église dans laquelle il était enfant de chœur, à Amiens. 55 ans plus tard, il est l'une des premières victimes à recevoir une somme d'argent en guise de réparation.

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Aujourd'hui, Jean-Marc Davergne raconte son histoire assez facilement. Il a pris l'habitude. Pourtant, pendant des décennies, ses traumatismes d'enfance sont restés enfouis. Les premiers faits remontent à l'année 1967, alors qu'il était enfant de chœur à l'église Sainte-Thérèse d'Amiens.

"On faisait une petite réunion le mercredi ou le jeudi pour préparer la messe du dimanche. Comme à la maison nous n'avions pas de télévision, le prêtre me prenait sur ses genoux après la réunion pour regarder les émissions de jeunesse, et me masturbait", se souvient-il. Il est alors âgé d'une douzaine d'années, et ne réalise pas tout à fait ce qui se passe. "À l'époque, dans mon innocence la plus totale, je ne savais pas si c'était bien ou si c'était mal. Je ne me posais pas de question." Il n'en parle pas à ses parents, des catholiques très pratiquants. Ces attouchements continueront de manière régulière pendant deux ans. 

Un traumatisme longtemps enfoui

À 14 ans, il part en camp scout dans les Vosges, avec ce prêtre. Pendant longtemps, il a refoulé le souvenir du 20 juillet 1969. Ce jour-là, l'homme fait son premier pas sur la lune. C'est aussi le point de bascule de la vie de Jean-Marc. "Le prêtre m'a demandé si je pouvais dormir dans sa tente, parce que j'étais le seul enfant à avoir un réveil, pour pouvoir réveiller la troupe. J'ai accepté sans arrière-pensée. Même si je savais qu'il me tripotait pendant les réunions d'enfants de chœur, j'ai pas refusé. Il savait aussi à qui il s'adressait : un enfant qui ne dit pas non, précise-t-il. Le lendemain matin, je me suis réveillé très bizarre. (...) On s'est retrouvé devant la télévision dans le village voisin pour voir l'événement. Et dans la journée, j'ai fait une fugue."

Il savait aussi à qui il s'adressait : un enfant qui ne dit pas non.

Jean-Marc Davergne, victime d'abus sexuels

À l'époque, il justifie cette fugue soudaine par le vol de son porte-monnaie. "Pour moi, la raison, c'était ce vol. Et bizarrement, les mots vol et viol, c'est presque la même chose. Peut-être que dans un esprit d'enfant, il y a des choses qui se confondent." S'il ne réalise pas ce qu'il vient de subir, il décide tout de même de quitter les scouts et les enfants de chœur. "Je pense qu'inconsciemment, je ne voulais plus subir les agissements de ce prêtre.

Une fois adulte, il a des relations amoureuses, et fait même deux enfants avec une femme. "On construit une famille, je pense que ça m'allait bien, mais on n'était pas en phase sur le plan intime, ce qui fait que j'allais voir ailleurs, j'étais très infidèle." Un schéma qu'il reproduira avec sa compagne suivante. "Je pense que cette hypersexualité, ce besoin constant d'aller chercher des aventures, était lié à mon traumatisme. Ça a été comme ça tout au long de ma vie, mais je ne m'en rendais pas compte." 

Je me suis demandé si j'étais pas complice de l'agresseur (...), alors qu'en fait, le coupable, ce n'est pas moi. Je suis victime, purement victime.

Jean Marc Davergne, victime d'abus sexuels

Cette situation le trouble et il décide de suivre une thérapie pour comprendre ce qui le pousse à agir de la sorte. C'est la méthode EMDR, qui consiste à faire émerger des souvenirs traumatiques puis à les traiter, qui lui permettra de "faire remonter ce traumatisme ancien, qui était le viol de la nuit du 20 juillet 1969". À ce moment-là, il est trop tard pour déposer plainte. Les faits sont prescrits, et le prêtre est décédé. Mais il racontera son histoire, notamment à la Commission idépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase). Un acte qui fait partie de la thérapie. "Raconter l'histoire, c'est aussi se libérer", estime-t-il. Il a fallu aussi se défaire de la culpabilité. "Je me suis demandé si j'étais pas complice de l'agresseur, puisque je ne disais rien quand il me faisait subir des attouchements. Je me disais, 'tu es peut-être coupable', alors qu'en fait, le coupable, ce n'est pas moi. Je suis victime, purement victime."

"L'indemnisation ne sera jamais à la hauteur de ce que j'ai subi"

En saisissant l'Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr), mise en place en 2022, il se verra octroyé la somme de 31 000 euros, comme une réparation financière pour les abus subi. "On ne peut pas parler d'indemnisation totale, parce qu'on ne peut pas réparer avec de l'argent tous les traumatismes d'une vie. Mais ça représente malgré tout une reconnaissance, et ça c'est déjà une chose importante." L'argent couvre en partie sa thérapie, qu'il poursuit encore aujourd'hui, auprès d'une psychologue et d'une sexologue. Il s'est aussi acheté un beau violon, "pour le plaisir", parce que jouer de la musique est aussi un acte thérapeutique pour lui. Le reste servira à ses projets d'avenir, avec sa compagne

Aujourd'hui, il est heureux en couple. Mais il est comme marqué au fer rouge par son passé traumatique. "L'indemnisation, de toute façon, ne sera jamais à la hauteur de ce que j'ai subi, parce que c'est toute une vie qui a été bousillée. Dans les documents de reconnaissance, il y a marqué que c'est une vie faussée... c'est vrai, parce qu'il y a des choses que j'aurais jamais fait si j'avais été bien dans mes baskets." 

L'argent ne répondra pas non plus aux questions qui restent, encore aujourd'hui, sans réponse. "J'essaie avec mes thérapeutes, de comprendre comment une personne qui se réclame de Dieu, qui représente Dieu sur terre, peut faire subir des choses comme ça un enfant. Est-ce que lui, dans son enfance, n'a pas subi de choses comme ça ? Mais ce n'est pas une raison, je ne peux pas excuser ce genre de choses, parce que quand je pense que quand on est adultes, on doit prendre du recul et ne pas faire subir aux autres ce qu'on a soi-même subi.

Ce prêtre a été protégé. Ils savaient, et ils n'ont rien dit.

Jean-Marc Davergne, victime d'abus sexuels

Sa reconstruction est aussi passé par un pèlerinage. Sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, qu'il a parcouru à deux reprises par des voies différentes, il a tenté de se réconcilier avec l'Église. Mais ça n'a pas tout à fait été le cas. "J'en veux à l'institution religieuse, parce que je pense que ce prêtre-là, s'il avait eu un évêque au-dessus de lui qui lui dise stop, je ne serais pas là aujourd'hui à vous parler. Ce prêtre a été protégé. Ils savaient, et ils n'ont rien dit." 

Alors, il ne met "plus les pieds dans une église, sauf pour un mariage ou une communion". À près de 70 ans, il veut aller de l'avant. Son rêve ? Ouvrir un gîte en Bretagne, avec sa partenaire. Un projet qu'il espère réaliser avec l'argent de l'indemnisation.

Avec Narjis El Asraoui / FTV

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