Alexandre de Bosschère, procureur de la République d’Amiens, rejoint le mouvement. Comme de nombreux collègues en France, il demande que chaque parquet soit doté d’assistants spécialisés ou de juristes assistants consacrés à cette mission.
Il embraye le pas. Celui de plusieurs procureurs de la République en France qui, depuis lundi 7 juin, communiquent sur leurs manques de moyens pour lutter contre les violences faites aux femmes. Dans un communiqué transmis aux rédactions des médias locaux, mardi 8 juin au matin, Alexandre de Bosschère, procureur de la République d'Amiens, réagit lui aussi.
Ce ne semble pourtant pas être son genre que de monter au créneau : depuis sa nomination dans la capitale picarde en 2016, Alexandre de Bosschère n'en a jamais dit plus que ce qui lui paraît utile. Alors s'il parle aujourd'hui, c'est pour défendre l’institution judiciaire qu'il représente et tirer la sonnette d'alarme.
"Les procureurs s'investissent sans compter pour lutter contre ce fléau, qui est un fléau extrêmement complexe à gérer. Mais face à l'augmentation incessante du nombre de plaintes et un budget de la justice qui est structurellement très inférieur à ce qu'il se pratique à l'étranger, on ne peut plus faire et on risque de faire des erreurs. Il faut absolument que l'on soit soutenu", alerte le procureur de la République sur le plateau du JT de France 3 Picardie.
Lutte contre les violences conjugales : une priorité
Il rappelle que "la lutte contre les violences conjugales est l’une des priorités majeures des procureurs de la République et des magistrats des Parquets. Il s'agit d'une lutte contre une délinquance très particulière, qui nécessite une action à tous les niveaux, ceux de la poursuite pénale et de l'exécution des peines mais aussi ceux de l'éducation, de la prévention de la délinquance, de la lutte contre les addictions".
Sur les 14 magistrats qui composent le Parquet d’Amiens, 3 sont dédiés à cette lutte et à la protection des mineurs.
Des chiffres en hausse
Mais les chiffres parlent d’eux-mêmes pour montrer à quel point c'est insuffisant. "Depuis 2016, les poursuites sur défèrement des auteurs de violences conjugales ont été multipliés par deux et demi", alerte le procureur. Ce qui représente en moyenne une personne par jour dans la Somme.
Dans les affaires jugées en comparution immédiate et en audience correctionnelle à juge unique, 25% sont des violences conjugales. "Le nombre de victimes bénéficiaires de téléphones grave danger, déjà très important sur le ressort, a augmenté de 23% en 2020". Déployé en décembre dernier, le bracelet anti-rapprochement (BAR) complète le dispositif. Trois ont été attribués au tribunal judiciaire d'Amiens.
Le procureur de la république d'Amiens souligne que d'autres dipositifs ont été mis en place par la justice dans le département : "des protocoles innovants ont été signés avec les centres hospitaliers et l’académie pour faciliter la révélation des faits et l’ouverture d’enquête", souligne Alexandre de Bosschère.
"Aucun renfort"
"Depuis le début de l’année 2020, les juridictions ont reçu 10 circulaires et dépêches nouvelles de politique pénale sur ce seul thème (…) mais qui n’ont été accompagnées d’aucun renfort en moyens humains appropriés pour permettre leur mise en œuvre" déplore le magistrat. "À défaut de renfort en magistrats, pourtant indispensables, l’exemple de la ‘justice de proximité’ en matière pénale a montré que les Parquets, lorsqu’ils étaient dotés de moyens fléchés, étaient capables de développer immédiatement de nouvelles actions innovantes (…) Il faut désormais agir de la même manière en matière de lutte contre les violences conjugales", préconise-t-il.
À l’instar de ses confrères, Alexandre de Bosschère souhaite doter chaque Parquet d’un assistant spécialisé ou d’un juriste assistant "dédié spécifiquement à cette grande cause nationale". "Un assistant spécialisé ou un juriste assistant, c'est la possibilité face à un traitement de masse de faire du sur-mesure, d'adapter la réponse à chaque personne et de suivre les parcours des auteurs et des victimes tout au long de la procédure, indique le procureur sur notre antenne. Une victime de violences conjugales, on sait très bien que si on la laisse seule, sans soutien, sans accompagnement, il y a un fort risque de retour au domicile de l'auteur et on peut voir dans l'actualité les conséquences dramatiques que cela peut avoir."
Samedi 22 mai, plus de 200 personnes ont participé à la marche blanche organisée en hommage à Claire, dont le corps a été retrouvé le 9 mai, lardé de coups de couteau dans le quartier de Longpré-lès-Amiens. C’était le 42e féminicide de l’année 2021.
Cette affaire n’est malheureusement pas isolée. Comme à Amiens, les meurtres de femmes se succèdent partout en France insinuant l’idée que l’institution judiciaire en porterait la responsabilité. "Face à chaque féminicide, chacun doit prendre sa part de responsabilité, répond Alexandre de Bosschère. Après chaque homicide conjugal, on fait un retour d'expérience extrêmement complet en associant l'ensemble des parties qui ont pu examiner la procédure. On découvre parfois des défaillances, mais qui peuvent être le fait d'enquêteurs, le fait de la justice, d'une association d'aides aux victimes, donc il faut vraiment que l'on puisse travailler ensemble. Ce ne peut pas simplement déboucher sur une simple mise en cause de la justice en disant : on a qu'à les envoyer en prison. Cela ne marche pas comme ça."