"C'était l'un des plus vieux de France" : le poirier de l’abbaye de Valloires, une histoire d’arbre remarquable, de Cuisse-Madame et de rois d’Angleterre

Il était, jusqu’à sa mort en 2023, le plus vieux de France. Le poirier de l'abbaye de Valloires, planté en 1756 lors de la reconstruction de l'église abbatiale, faisait partie du parc d'arbres fruitiers qui permettaient aux moines cisterciens de vivre en autosuffisance. Ils fabriquaient une liqueur de poire qu'on disait très appréciée à la cour d'Angleterre. La poire devenue le blason de l'abbaye. C'est l'histoire du dimanche.

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Il est accroché à la façade de l'abbaye depuis 1756, date de la consécration de la nouvelle église. "Il a été planté comme symbole du renouveau de l’abbaye qui a fait face à plusieurs dégâts : le clocher s’était effondré, il y a plusieurs incendies", explique Sarah Sgard, guide conférencière, aux visiteurs qui la suivent à travers l'abbaye de Valloires.

Une durée de vie 4 fois plus longue que la normale

Cela fait donc presque 270 ans que le poirier de Valloires fait corps avec le bâtiment. Et avec l'histoire des lieux. Il a longtemps été le plus vieil arbre fruitier de France. Jusqu'à l'été dernier où ses forces l'ont définitivement abandonné. Aujourd'hui, son tronc sonne creux sous son écorce asséchée. "Il a rendu l’âme petit à petit. On l'a vu décliner, raconte Bernard Peugniez, ancien président de l'abbaye de Valloires et spécialiste des abbayes cisterciennes. Depuis quelques années, on voyait le nombre de poires qu’il portait diminuer. Puis il a perdu toutes ses feuilles. Et il n’a plus fait aucun bourgeon. C’est toujours une perte de voir un arbre aussi vieux mourir."

Le poirier de Valloires s'est éteint doucement. Longtemps, ce Madeleine d'Angers ne fut pas le seul à pousser en espalier contre la façade de l'abbaye. "Sur cette façade est, il y avait un poirier tous les trois mètres jusqu’à il y a une dizaine d’années. Un entre chaque fenêtre, nous montre Bernard Peugniez. Ça fait neuf pour cette façade. Et il y en avait aussi sur le chevet de l’église. Pourquoi il a tenu plus longtemps que les autres ? Il n’y a pas d’explication rationnelle. La vie normale d’un arbre fruitier, c’est 60/70 ans. Donc 270 ans, ce n’est pas mal ! Je pense qu'il y a quelque chose de l’ordre de la bénédiction spirituelle. Valloires, c’est neuf siècles de vie spirituelle. Il y a dans l’air quelque chose de ça qui reste."

Comme ses congénères, le poirier de Valloires n'avait pas été planté par les moines pour faire joli. Il était le dernier témoin de l'activité économique de l'abbaye à laquelle il a grandement participé.

La Cuisse-Madame ou La grosse Madeleine

Au Moyen Âge, les moines cisterciens sont aussi des agriculteurs, des arboriculteurs et des jardiniers. Et donc des propriétaires terriens. Les religieux de Valloires, établis sur place depuis le XIIᵉ siècle, ne font pas exception : ils sont propriétaires de dizaines de milliers d’hectares dans le Ponthieu répartis en une dizaine de centres d’exploitation agricole sur 200 à 300 hectares chacun. "Ils étaient proches de la nature. Ils avaient planté des centaines d’arbres pour leur consommation personnelle et pour la vente sur les marchés, explique Bernard Peugniez. Tous les monastères au Moyen Âge cultivent énormément de fruits, de légumes, de fleurs et d’arbres fruitiers dans leur clos pour leur autosuffisance. Ce n’est pas de l’autarcie pure, mais de l’autosuffisance : ils doivent d’abord se nourrir et vendre l’excédent sur les marchés ou dans des relais. Les moines de Valloires en ont un à Abbeville et un Montreuil-sur-Mer. L’autosuffisance, c’est 'je ne consomme rien d’autre que ce que je produis'. Les moines de Valloires vont jusqu’à exploiter une ou deux salines dans la région pour avoir du sel qui était un important moyen de conservation des aliments."

Et avec les poires de leurs poiriers, ils fabriquent une liqueur dont on ne sait pas grande chose, si ce n'est qu'on l'appelait la Cuisse-Madame ou La grosse Madeleine et qu'elle était très appréciée à la cour d'Angleterre. Car au Moyen Âge, le Ponthieu, région où Valloires est implantée, est une terre anglaise : "par le truchement de mariages et d'héritages, les rois d’Angleterre sont les comtes de Ponthieu : Edouard Ier, Edouard II, Edouard III, qui viendra nous embêter à la bataille de Crécy, sont des rois d’Angleterre qui ont leur pavillon de chasse dans la région du Ponthieu. Donc la cour d’Angleterre est très proche de l’abbaye de Valloires", souligne Bernard Peugniez.

Forte de sa puissance économique, l'abbaye fait de la poire son blason. Une poire striée d'or et de bleu.

Prospère jusqu'au XIIᵉ siècle, la congrégation monastique va ensuite subir les affres de la Guerre de Cent ans puis de celle de Trente ans. Délabrée, elle est reconstruite au début du XVIIIᵉ siècle. Mais l'église abbatiale s'effondre. La nouvelle sera consacrée officiellement le 5 septembre 1756, date de la plantation du poirier. 

Son successeur est déjà planté

Avec la Révolution française, les biens de l’Église sont vendus. Les moines de Valloires partent et l'exploitation agricole s'arrête. Les lieux entrent en possession du seigneur local, "un gros négociant en grains et qui s’installe ici pour continuer à faire fructifier le domaine. Il y a toujours eu des propriétaires successifs qui ont entretenu le lieu, qui en ont pris soin et qui lui ont donné leur vie. En 1880, il y a des enfants qui vivent ici puisque l’abbaye devient un orphelinat agricole. Pendant la guerre 14/18, environ 4500 soldats passent par ici en remontant du front pour être soignés, détaille Bernard Peugniez. Ensuite, il y a eu la création de l’Association de Valloires 100 ans par Thérèse Papillon pour accueillir des enfants menacés de tuberculose. Aujourd’hui, elle accueille toujours des enfants, mais qui ont des problèmes sociaux. C’est plus de la protection de l’enfance".

Autant d'époques que le poirier a vu défiler sous ses branches aujourd'hui toutes sèches. Crucifié sur la façade de l'abbaye, il faudra bien un jour le dessoucher. Une décision que l'association de Valloires ne peut pas se prendre seule "parce que l’abbaye est classée Monument historique depuis 1907. On doit voir ça avec les autorités culturelles compétentes. De toute façon, on ne pourra pas replanter tout de suite sur un mur qui a lui-même besoin d’une restauration."

Il est fort à parier que l'arbre va rester en place pendant encore un moment. Le temps que son successeur, un jeune poirier de la même variété planté il y a deux ans, prenne un peu d'ampleur et d'envergure. C'est qu'il faut du temps pour devenir le plus vieux poirier de France. Presque 270 ans...

Avec Gontran Giraudeau / FTV

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