Coronavirus - Violences conjugales et confinement : la justice et les associations face à l'urgence dans la Somme

Selon le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, les interventions à la suite de violences conjugales ont augmenté de 32% en zone de gendarmerie depuis la mise en place du confinement. Dans la Somme, travailleurs sociaux, forces de l'ordre et Parquet gèrent l'urgence.

Jeudi 26 mars, le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a annoncé que les interventions des forces de l’ordre à la suite de signalements pour des violences conjugales ont augmenté de 32% en zone de gendarmerie et de 36% à Paris depuis la mise en place du confinement en France en raison de l'épidémie de coronavirus.

Une problématique prise à bras-le-corps par l'association Agena dans la Somme. "Nous accueillons des femmes qui cachent l'existence de leur téléphone portable à leur conjoint et qui nous appellent lorsqu'il est au travail. Mais depuis le début du confinement, nous avons très peu d'appel. Aujourd'hui, il est difficile de savoir comment ça se passe dans les foyers." Selon Safia Drah, assistante sociale à l'association Agéna, la situation de confinement est encore plus anxiogène pour les victimes de violences conjugales. "Nous sommes inquiets pour ces femmes dont le conjoint pourrait profiter de cette période pour exercer encore plus d'emprise sur elles. Elles qui connaissent souvent déjà l'enfermement."
 

L'association Agena mobilisée pour répondre aux appels

L'association Agena, située à Amiens, héberge des victimes de violences conjugales. La mission de ses travailleurs sociaux est d'écouter les victimes, orientées par la plateforme téléphonique 3919, de les informer sur leurs droits et de les préparer, si besoin, au départ du domicile conjugal. La rencontre physique est alors indispensable. Depuis 10 jours, leur travail est bouleversé.
 

Notre travail est de rencontrer les victimes. Désormais, on ne peut traiter que l'urgence.


"Notre travail est de rencontrer les victimes. Les entretiens sont très longs. Nous avons besoin des documents qui sont désormais difficiles à obtenir, nous devons évaluer les situations avec elles et souvent les accompagner au commissariat. Par téléphone, c'est impossible. Désormais, on ne peut traiter que l'urgence", ajoute Safia Drah.

Et cette urgence, les intervenants sociaux peuvent y répondre 24h/24. Depuis le début du confinement, l'association n'a reçu que deux appels, immédiatement orientés vers le 115, le numéro pour obtenir un hébergement d'urgence.
 
L'association Agena possède 45 hébergements d'urgence dans la Somme, soit 120 places disponibles pour les femmes et leurs enfants victimes de violences intra familiales."La première urgence est d'héberger ces femmes, les protéger physiquement. Mais il est difficile d'organiser l'éviction des maris violents en ce moment, c'est très compliqué car tous les services tournent au ralenti." Les femmes hébergées actuellement le seront jusqu'à la fin du confinement.
 

La justice vigilante sur les cas de violence conjugales

Ces situations nécessitent une forte réponse du Parquet. Mais certains magistrats travaillent aussi à distance et la plupart des audiences sont annulées ou reportées. À l'exception de celles qui doivent statuer les demandes d'ordonnances de protection des victimes.

Parmi les mesures prises par le gouvernement à l'issue du Grenelle contre les violences conjugales en novembre 2019, l'obligation pour les juges des Affaires familiales de convoquer sous six jours les deux parties et de statuer. Et ces audiences sont maintenues malgré le confinement.

Là encore, l'urgence est la priorité, selon Alexandre de Bosschère, procureur de la République d'Amiens. "Nous avons conscience que le confinement peut aggraver la situation des victimes. La permanence du parquet continue de fonctionner normalement. Les comparutions immédiates se tiennent toujours et permettent de juger les faits les plus graves. Nous avons aussi la possibilité d'interdire tout contact d'un auteur de violence avec sa conjointe et les téléphones grave danger sont toujours attribués pendant la période de crise sanitaire", indique-t-il.
 

Les voisins ont, dans ce contexte, un rôle très important à jouer.


L'inquiétude, d'après le procureur d'Amiens, se porte sur les difficultés que certaines femmes pourraient avoir pour alerter les forces de l'ordre. "J'ai demandé aux policiers et aux gendarmes d'être particulièrement vigilants sur cette question, sachant que les mesures de confinement ne facilitent pas la révélation des faits de violence par d'autres canaux, comme les collègues de travail, ou les enseignants. Les voisins ont, dans ce contexte, un rôle très important à jouer."
 

Le 17 de la Somme enregistre 80% de plaintes en moins

À la police nationale d'Amiens, l'accueil du public a été réorganisé et centralisé au commissariat rue Marché Lanselles. Pour respecter le confinement, les pré-plaintes sur internet sont privilégiées concernant les atteintes aux biens.

Les faits de délinquance constatés ont baissé de moitié depuis la fermeture des bars et l'absence de circulation sur la voie publique. "Nos hommes continuent de patrouiller dans les rues mais l'activité a considérablement baissé. Nous avons enregistré 80% de plaintes en moins", indique David Preud'homme, directeur départemental de la sécurité publique de la Somme.
Mais, dans le confinement des logements, la violence est-elle cachée et a-t-elle pris de l'ampleur ?
 


La brigade de protection des familles en télétravail

À la gendarmerie rue des Jacobins à Amiens, tous les agents de la brigade de protection des familles est opérationnelle. Habitués à se déplacer chez les victimes signalées pour vérifier les faits et intervenir en cas de besoin, les cinq intervenants privilégient désormais le contact par téléphone. "Depuis le confinement, nous travaillons en deux équipes séparées. Une partie de la journée est consacrée aux appels et l'autre partie, nous participons aux patrouilles de surveillance du confinement. Depuis 10 jours, nous n'avons pas reçu d'appel d'urgence. Nous traitons les dossiers que nous avions à notre connaissance par téléphone. Mais nous pouvons continuer à rencontrer des victimes si cela est nécessaire. Il faut continuer à appeler le 17 en cas d'urgence", assure le major Claude Guyart, commandant de la brigade de protection des familles.
 

Les 3e et 4e semaines pourraient mettre au jour des comportements anormaux.


À la deuxième semaine de confinement, mis en place par les autorités pour enrayer la propagation du coronavirus, gendarmerie et police n'ont pas reçu de signalement de violences conjugales dans la Somme. Mais d'après les associations et les forces de l'ordre, ce n'est que le début.

"Il faut être attentifs car cette période est compliquée pour tout le monde. Les 3e et 4e semaines pourraient mettre au jour des comportements anormaux. Les membres d'une même famille n'ont pas l'habitude de vivre ensemble 24h/24. Certains parents découvrent leurs enfants et les adolescents en difficultés pourraient développer de la violence envers leurs proches", précise le Major Guyart, spécialiste des relations intra familiales.


Après la fuite, préparer la suite

Pour tous ces acteurs de la lutte contre les violences intrafamiliales, l'enjeu est d'autant plus important que les faits sont plus facilement cachés qu'en temps normal. Il s'agit aussi pour les intervenants sociaux de préparer la suite. "Parmi les femmes que nous accueillons au centre d'hébergement, trois d'entre elles préparent l'après confinement. Elles sont venues se réfugier chez nous mais il faut organiser leur protection durable après la crise sanitaire, l'éviction de leur conjoint du domicile. Et surtout faire en sorte qu'il ne les retrouve pas après le confinement. Leur vie et parfois celle de leurs enfants est en jeu", explique Safia Drah, de l'association Agena.

Les psychologues de l'association répondent à tous les appels de victimes en détresse pour leur permettre de se ressourcer, de trouver la force de fuir ou de penser à l'après.

Pour toutes ces femmes confinées, l'urgence n'est pas seulement sanitaire. Le huis clos avec leur agresseur, les rues désertes et l'impossibilité parfois de communiquer avec l'extérieur est le plus anxiogène.

En réponse à cette problématique le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner a annoncé jeudi 26 mars que les femmes victimes d’actes violents peuvent désormais donner l’alerte directement dans les pharmacies en utilisant un code. Le pharmacien alertera alors directement les forces de l'ordre.
 
Pour l'heure, les autorités commencent à établir les premières statistiques. Le Chiffre noir, celui qui se cache derrière les portes fermées, à l'abri des regards pourrait augmenter dans les semaines à venir.
 
Les numéros d'urgence

17 : Gendarmerie, Police

3919 : Violence Femmes Info est le numéro national de référence pour les femmes victimes de violences (conjugales, sexuelles, psychologiques, mariages forcés, mutilations sexuelles, harcèlement...). Il propose une écoute, il informe et il oriente vers des dispositifs d'accompagnement et de prise en charge.

Agena : Numéro d'accueil de jour : 03 22 52 09 52. L'association située à Amiens, conseille, accueille, héberge, les femmes en difficulté seules ou accompagnées d’enfants.

119, enfance en danger. Les travailleurs sociaux, eux aussi en télétravail, répondent à tous les appels et restent mobilisés pendant la période de confinement. Ils se relaient 24h/24 dans toute la France, y compris les départements d'Outre-mer. Ce numéro s'adresse également aux parents épuisés. Un soutien psychologique peut leur être apporté pour prévenir la violence. Les appels sont gratuits et confidentiels et n'apparaissent pas sur la facture détaillée du foyer.
 
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