Une entreprise de pompes funèbres, dont trois de ses agences se situent dans la Somme, propose de filmer les enterrements durant cette période de confinement.
"On a lancé cette solution dans l'urgence", témoigne Minna Holleville, gérante d'une entreprise de pompes funèbres qui possède des agences à Abbeville, Longpré-les-Corps-Saints et Saint-Valery-sur-Somme. En cette période de confinement, elle a dû trouver un moyen de s'adapter. "On a mis le dispositif en place lundi dernier et on a filmé le premier enterrement ce vendredi matin", explique-t-elle.
Depuis la mise en place des mesures de confinement, le nombre de personnes pouvant assister aux enterrements a nettement diminué. Aujourd'hui, seulement 20 personnes peuvent se rendre aux obsèques. Un déchirement pour certains membres de la famille qui ne peuvent pas accompagner leur proche disparu.
Au regard du contexte, il est quasiment impossible de faire le travail de deuil. Minna Holleville, gérante d'une entreprise de pompes funèbre
"On se retrouve face à des familles qui sont complètement apeurées et décontenancées, notamment par les circonstances, on s'est déjà occupés de personnes qui sont décédées du Covid à Abbeville", confie Minna Holleville. "Donc au regard du contexte, il est quasiment impossible de faire le travail de deuil car toutes nos habitudes de vie, mais aussi de séparation sont bouleversées depuis l'apparition de ce virus", poursuit-elle.
Diffusion en direct
Après avoir investi près de 1 000 euros dans le dispositif, l'entreprise propose ce nouveau service pour 49 euros. "L'idée n'est pas de se faire de l'argent mais de proposer un service en plus à la famille et de pallier le désarroi qu'elles ont en ce moment", confie le mari de Minna, également gérant de l'entreprise.William Holleville filme les enterrements à l'aide de son téléphone portable et du matériel de prise de son adapté. La vidéo est diffusée en direct via le site de partage Vimeo. Un lien privé est envoyé aux membres de la famille qui peuvent se connecter à l'aide d'un mot de passe. "Elles peuvent également laisser un message de sympathie en direct, un peu comme un registre de condoléances virtuel", souligne Minna Holleville.
A la perte de l’être cher, s’ajoute la gestion de l’éloignement. Nathalie Serero, victimologue à Paris
Pour Nathalie Serero, victimologue à Paris, "le contexte est particulièrement difficile. Et les deuils vont être d’autant plus compliqués que nous ressentons des craintes autant pour nous que pour notre entourage. La pandémie que nous connaissons et le confinement qui est imposé, impliquent un bouleversement de nos repères qui va aggraver l’épreuve de deuil. A la perte de l’être cher, s’ajoute la gestion de l’éloignement. Le premier bouleversement avec cet éloignement est d’être certain.e de la mort que l’on apprend. Le questionnement s’alimente de l’incertitude."
Les rites, essentiels pour ceux qui restent
"Une fois le décès avéré, la douleur change de nature, expliqe la psychologue. On est en butte à l’impression d’avoir abandonné celle ou celui que l’on aime. Et terrorisé.e à l’idée qu’elle ou il se soit senti abandonné. Cette peur est compliquée à calmer. Accepter que les pensées, les prières ont été un accompagnement aussi fort que la présence physique est un processus à part entière. Un autre travail commence à la suite. Celui des obsèques."
L’important dans le cycle du deuil est d'accompagner l’être disparu jusqu’à sa dernière demeure.
Nathalie Serero poursuit : "on voit bien en Italie par exemple que la nature même des enterrements est modifié, avec ces convois de camions de l’armée qui conduisent des morts déjà en bière. Or les rites sont essentiels pour celles et ceux qui restent. Qu’ils soient religieux ou païens. L’important dans le cycle du deuil est cette phase qui consiste à accompagner l’être disparu jusqu’à sa dernière demeure."
Elle ajoute que "voir le corps n’est pas essentiel. Si pour les chrétiens cette dimension est importante, elle est totalement absente du rite hébraïque par exemple. En revanche le cercueil ou le linceul porte la représentation de la mort et de la possibilité d’entamer le cycle de l’acceptation."
"La proposition de cette entreprise de fait est exceptionnelle. Il y a tellement d’absence dans les étapes préalables, tout est mieux que le vide, reconnaît Nathalie Serero. La vidéo en direct permet de remplir ce vide. De donner une réalité à la mort. De s’approprier le départ. En donner du sens au terme « mon proche. Ce qui va continuer de manquer ce sont les gens autour bien sûr. Raison pour laquelle il serait essentiel après cette cérémonie d’organiser un événement de partage."La vidéo permet de remplir le vide.
Etre ensemble durant un enterrement c’est structurant sur le chemin du deuil. (...) Le virtuel peut tenir son rôle.
Et de conclure : "être ensemble durant un enterrement c’est structurant sur le chemin du deuil. Comme on le voit depuis quelques temps, le virtuel peut tenir son rôle. Un moment convivial par la vidéo permettra de conclure les obsèques. Parler de celui ou celle que l’on ne voit plus est primordial. Evoquer des souvenirs, sourire de moments passés ensemble, la ou le faire vivre, encore…"
Lors du point presse quotidien de la Direction générale de la santé vendredi 27 mars, Camille Chaize, porte-parole du ministère de l'Intérieur, a annoncé que selon "l'avis du haut conseil scientifique, les proches peuvent faire le visage du défunt sans risques sanitaires". Les cérémonies funéraires restent limitées à 20 personnes.
Développer le service après le confinement
Filmer les enterrements, ce n'est pas une première pour l'agence de pompes funèbres. "Il nous est déjà arrivé de répondre à ce genre de demandes, on procédait à des montages vidéos et on les envoyait à des familles qui habitaient loin, mais on n'a jamais réalisé la captation en direct", explique Minna Holleville.L'agence compte ainsi développer ce service après le confinement. "Les familles sont de plus en plus éclatées, donc nous pensons que c'est un service qui peut les satisfaire", estime William Holleville.